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ENTRETIENS 26 avril 2024

Laurence Equilbey,
soldat au grand choeur

© Naïve

© Naïve

Il y a dix ans, cette élève d'Eric Ericson fondait le choeur de chambre Accentus avec pour ambitieux projet d'explorer le répertoire en souffrance de la musique a cappella XIXe siècle, et celui, encore moins fréquenté du XXe. Elle s'est battue sur tous les fronts comme un brave soldat pour prouver que le combat en valait la peine.
 

Le 01/10/2001
Propos recueillis par Françoise MALETTRA
 



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  • Au bout de dix ans de travail avec Accentus, pensez-vous avoir atteint un point d'équilibre relativement confortable ?

    Non, il reste encore beaucoup de chemin. Pendant toutes ces années, je ne n'ai fait qu'essayer de rattraper le retard considérable que nous, français, nous avons pris dans le domaine de l'art vocal. Ce qui suppose une sorte de torsion pour réussir à rééquilibrer les choses. C'est comme un processus physique : si l'on veut qu'il y ait un entraînement nécessaire, il faut une montée en puissance plus importante que celle de tous les pays européens actuellement. C'est pour cette raison que notre activité peut paraître en ce moment florissante, avec beaucoup de bourgeons ici ou là, mais pour avancer, il faut continuer de tirer la machine dans tous les sens.

     
    N'avez-vous pas néanmoins le sentiment que tout est allé très vite pour Accentus ?

    Oui, si je mesure notre situation présente. Mais nous ne sommes réellement professionnels que depuis 1995, et il n'y a pas très longtemps que nous avons acquis un niveau national et international. Nous avons commencé de façon presque confidentielle, dans un esprit d'atelier expérimental dès 1990. Il a fallu développer l'écoute très particulière que chaque chanteur doit avoir de l'autre dans un choeur a cappella, apprendre à jouer avec la spécificité des timbres, des couleurs, et surtout faire de notre groupe une petite communauté parfaitement soudée.

     
    Que gardez-vous de vos années d'apprentissage auprès d'Eric Ericson, le chef des choeurs de la Radio suédoise ?

    C'est la façon de travailler une pièce, d'en montrer les arcanes principales, d'en dégager la structure, d'en percevoir la texture interne. En fait, le problème des voix a cappella présente autant d'avantages que d'inconvénients, car la matière est très homogène. Pour la balance, il faut se poser les bonnes questions, sinon la restitution peut parfois être complètement opaque, et rechercher le dosage idéal des sonorités en tenant compte de toute leur diversité. Après, on peut commencer à inventer, mais seulement après. Eric Ericson m'a appris ça.

     
    Dans un ensemble comme Accentus, le plus important serait donc que la personnalité de chaque voix reste toujours identifiable, le grand enjeu étant la fusion ?

    C'est le travail que l'on fait quotidiennement. Quand je recrute des chanteurs, c'est d'abord la richesse du timbre que je retiens, et les harmoniques qui s'en dégagent. Pas question de les gommer. Ensuite, pour obtenir cette fusion, je dois réaliser un passionnant alliage en utilisant cette sorte de capillarité auditive que possèdent la plupart des chanteurs. Finalement, c'est à eux de la trouver. De mon côté, ça veut dire enlever un peu de vibrato ou mélanger des timbres voisins. Impossible dans ses conditions d'envisager un ensemble à géométrie variable. D'ailleurs, vous constaterez que les chanteurs sont presque toujours les mêmes.

     
    Vous n'aimez pas que l'on vous qualifie de " chef de choeur ". Pourquoi ?

    Effectivement, ma spécialité c'est le choeur, et j'ai décidé d'en faire les deux tiers de mon existence artistique, mais

     
    Et le troisième tiers ?

    J'essaye de diriger un opéra par an. J'adore tout l'arsenal des métiers mis en oeuvre dans une production lyrique. Accentus c'est magnifique, mais tellement technique. C'est comme chez un trapéziste : ce sont toujours des gestes techniques. À l'opéra, il n'y a pas que la musique qui compte, on peut s'ouvrir à d'autres problématiques, et c'est très bon à vivre.

    Et puis, de temps en temps, je m'autorise des petits chemins de traverse vers la musique baroque, et c'est bien pour mon épanouissement personnel. Je ne m'orienterai pas vers l'orchestre seul. C'est un chemin à part, comme l'est la pratique a cappella. Je crois qu'il faut prendre le temps de peaufiner son art et ne pas trop s'égarer ailleurs. Alors, franchement, chef de choeur, ça ne vous semble pas un peu réducteur ?

     
    Parlons de votre façon de travailler. Vous dites souvent que l'imagination sonore constitue 60 % de votre préparation


    C'est-à-dire que la préparation mentale doit être plus forte qu'avec un orchestre. Le fait d'imaginer le son dans votre tête fait qu'il y a une sorte de magnétisme qui inévitablement se transmet aux chanteurs ; On anticipe le son que l'on attend. C'est crucial pour l'intonation, l'équilibre, l'interprétation, pour tout. Parfois, c'est un peu flippant : quand toute cette partie technique n'est pas parfaitement assimilée, les chanteurs peuvent d'un seul coup s'arrêter net en concert, et c'est la catastrophe. Avec les instruments, il en va tout autrement.

     
    Dans un travail de si grande proximité, ne parvenez-vous pas à une forme d'intuition les uns des autres ?

    Ce qui se passe aujourd'hui, c'est que désormais nous avons un goût commun de la palette sonore, exactement comme dans l'atelier du peintre. On sait comment obtenir un son très timbré, ou plutôt poudreux, avec une mélodie irradiante ou masquée. Dans le répertoire tonal, on travaille la plupart du temps en intonation juste, ce qui suppose avoir un sentiment des intervalles justes.

    Comme notre répertoire de prédilection couvre le dix-neuvième et le vingtième siècle, on a choisi l'intonation juste jusqu'à l'intonation tempérée. C'est une culture de l'oreille très longue à obtenir. Par exemple, lorsqu'intervient une modulation, il faut savoir négocier le bon virage parmi toutes les options qui se présentent, sinon tout s'effondre.

    Mon objectif depuis dix ans était d'exprimer les plus grandes pages de ce répertoire, avec Schumann, Brahms, Strauss, Schoenberg et l'école de Vienne, les anglais du vingtième comme Vaugham Williams et Britten, les Français, essentiellement Francis Poulenc, ou les compositeurs scandinaves. Et si maintenant nous nous ouvrons à la création contemporaine, nous pouvons le faire en montrant aux musiciens ce qu'est l'instrument que nous mettons à leur disposition.

     
    Avez-vous une politique de commandes ?

    D'abord, il faut dire que je reçois beaucoup de partitions, à tel point que j'ai décidé de créer pour 2002 un comité de lecture qui mettra de l'ordre dans mes choix. Pour les commandes, c'est plus compliqué. Nous pouvons le faire que si nous sommes en coproduction avec un festival ou d'autres partenaires. Seuls, c'est impossible. C'est pourquoi j'ai eu l'idée d'une fondation, un fond d'aide à la création vocale contemporaine.

    C'est particulièrement important pour le Jeune Choeur de Paris que j'ai créé en 1995, un ensemble d'étudiants en résidence au Conservatoire du seizième arrondissement. Ce sont de futurs professionnels ou non, ils ont entre quinze et vingt-cinq ans, et aucun moyen de rémunérer des commandes, sauf par le choeur lui-même. Pour des amateurs, c'est grave. Et pourtant j'ai fait une trentaine de créations avec eux, des pièces de huit à dix minutes, et ils continuent d'être très demandeurs. 1 500 francs pour une commande, ce n'est pas délirant !

    Il faut rompre ce cercle vicieux, si on ne veut pas que les générations futures soient comme nous orphelines d'un répertoire national. Imaginez ce que l'on aurait pu demander à Ravel ou à Debussy si on avait eu l'instrument pour le faire. Recommencer les mêmes erreurs au début du vingt et unième siècle, ce serait absurde.






    3 disques pour découvrir le choeur Accentus :

    -Francis Poulenc, Figure humaine / Sept chansons / Un soir de neige, Choeur de chambre Accentus, Naïve-Valois
    -Felix Mendelssohn, Psaumes, Motet Hora est, Hymne Hör mein Bitten, Choeur de chambre Accentus, Musidisc
    -Pascal Dusapin, Requiem, Choeur de chambre Accentus, Naïve-Montaigne


    Prochain concert le 10 octobre dans le cadre du festival " Octobre en Normandie " avec le pianiste Jay Gootlieb.

     

    Le 01/10/2001
    Françoise MALETTRA


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