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ENTRETIENS 29 mars 2024

Alain Meunier ne met plus
d'eau dans son vin


Alain Meunier (© Concours de quatuor de Bordeaux)

Éclectique, passionné, suractif, le violoncelliste Alain Meunier a su rester discret et mener une vie de musicien et d'instigateur de musique très remplie ; à l'image de ce concours international de quatuors à corde dont il a repris les rênes d'Évian jusqu'à Bordeaux, soit d'une ville d'eaux à une ville de vins.
 

Le 08/10/2001
Propos recueillis par Jacques DUFFOURG
 



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  • D'Évian à Bordeaux, le célèbre concours international de quatuors à cordes a-t-il gagné au changement ?

    Nous sommes passés de l'eau des sommets au sommet des grands crus ! L'idée était de dénicher une ville dont on connaisse l'existence avec autant d'évidence : difficile de trouver mieux, que Bordeaux et son public. Quand on voit que le jour d'ouverture de la compétition de quatuors à cordes, le parterre est déjà plein, et même une partie des galeries, on comprend que la manifestation comble une attente réelle.

     
    Concours mis à part, quel est l'avis du violoncelliste chevronné que vous êtes sur la popularité actuelle de ce genre, en particulier auprès du jeune public ?

    S'il y a un genre de musique de chambre qui continue à jouir d'une grande notoriété, c'est bien le quatuor. Bien sûr, il souffre encore d'avoir été longtemps l'apanage d'une classe sociale qui seule fréquentait salons et salles de concert. Mais aujourd'hui, ce sont les musiciens, eux-mêmes venus de tous horizons, qui sont en train de jeter le frac aux orties !

    Pour ma part, je ne pratique pas volontiers la distinction entre public " jeune " et " moins jeune ", mais disons que pour les concerts en pleine journée, il est normal que le public soit un peu plus âgé - mais pas forcément inerte ou cacochyme !- car les plus jeunes sont en classe, à la faculté ou travaillent. Pour les spectacles de soirées et week-end, c'est beaucoup plus mélangé.

    Un point m'inquiète cependant. Dans toutes les grandes villes de France ou d'Europe, beaucoup d'élèves des conservatoires ne vont pas au concert. On a l'impression que la musique est une ennemie des études musicales. On apprend l'instrument ; mais aller en écouter paraît incongru

     
    Côté création, l'intérêt des jeunes compositeurs, lui, ne semble jamais avoir faibli


    Depuis Haydn, on a plus arrêté d'écrire pour cette formation. Pour les jeunes compositeurs de notre temps comme Bacri ou Dusapin, cela ressemble même à un passage obligé, une ascèse indispensable. Immédiatement, ils ont le regard de Haydn, de Mozart, de Beethoven, sur les épaules. Alors qu'on n'écrit pratiquement plus de trios à cordes, de trios avec piano ; presque plus de quatuors ou de quintettes avec piano, qui sont des formes typiquement romantiques.

     
    Les jeunes pianistes jouent désormais sans hésitation Ohana, Bacri, Dusapin autrement qu'en complément de programme. On a parfois l'impression que pour un ensemble à cordes, même un Messiaen fait encore un peu peur


    Non, dans l'ensemble, tout fait peur au public. Tout ce qu'il ne connaît pas hors d'un cadre réservé à la création l'inquiète. En tout cas, le très traditionnel Concours de Bordeaux a pour habitude de commander des oeuvres nouvelles aux compositeurs. Cela n'a pas été fait cette année, parce que l'Association Maurice Ohana m'a demandé d'intervenir en proposant un prix pour la meilleure interprétation d'un des trois quatuors du compositeur. Il m'a paru important de lui accorder cet hommage qu'il méritait, mais qu'il n'a pas vraiment eu de son vivant. En revanche, pour le prochain Concours, en 2003, j'ai d'ores et déjà demandé à une compositrice, Edith Canat de Chizy, d'écrire spécifiquement un quatuor pour le concours.

     
    Votre propre parcours de musicien témoigne un grand éclectisme, de Bach à toutes les oeuvres que vous avez créées. Avez-vous l'impression d'avoir gagné le public à cette ambition ?

    Le Concours d'Évian a toujours, depuis le début, proposé une oeuvre contemporaine. Éventuellement facultative, mais aventureuse (Boucourechliev, Kurtag, Penderecki, Lutoslawski, etc.). Je n'ai fait que perpétuer la tradition, mais pour être sincère, je ne sais pas si j'ai gagné le public
    Je l'espère.

     
    A quand remonte votre intérêt pour les oeuvres nouvelles ?

    J'ai participé pour la première fois à une création du temps du Conservatoire de la rue de Madrid, à Paris, à l'âge de quatorze ans. Il s'agissait d'un Trio à Cordes de Paul Méfano. Cela décoiffait pas mal. Tellement même que personne d'autre que moi au Conservatoire n'a accepté de le jouer, et je l'ai joué avec des partenaires qui avaient déjà une quarantaine d'années.

    La création m'a toujours passionné, et j'estime que jouer les sons d'hier à la lecture de la création d'aujourd'hui est une saine discipline. Je n'imagine pas de me couper des sons qui naissent aujourd'hui. Cela ne veut pas dire que toute la musique d'aujourd'hui me plait ; mais j'essaie d'être celui qui ne la juge pas, juste celui qui la joue. Mais bien sûr, il y en a qui j'apprécie plus que d'autres, où j'ai le sentiment de dire des choses plus fortes.

     
    Parmi les très nombreuses pièces qui ont été écrites pour vous, lesquelles étaient les plus exigeantes ?

    Sans doute, les pièces de Xenakis, très fatigantes physiquement, jusqu'à éprouver même l'instrument. Mais ce sont sans doute les oeuvres les plus intéressantes, et que peut-être on n'a encore jamais entendues comme il serait bon de les entendre


    Cela dit, je n'ai pas eu le sentiment d'avoir à créer des oeuvres qui posaient des problèmes techniques, ou des nouveautés de comportement insurmontables ; peut-être les Concertos de Cristobal Halsster. Grand compositeur espagnol, et chef d'orchestre excellent.

    Dans le monde instrumental, il y a une sorte d'évolution, si on ne s'en coupe pas, on n'est jamais vraiment surpris. Mais ce qu'il y a de merveilleux, c'est de travailler en complicité directe avec le compositeur. Ohana m'a écrit un Concerto pour violoncelle absolument magnifique, que j'ai enregistré avec la Sonate. Il me téléphonait quasiment tous les jours, j'aime bien cet esprit de connivence, d'atelier.

     
    Vos Suites de Bach (Harmonic Records) ne sont pas passées inaperçues dans une discographie pourtant pléthorique. Était-ce pour vous un aboutissement ?

    Il y a sûrement des gens qui ont joué beaucoup mieux que moi les Suites de Bach, mais je ne peux pas m'en passer ! C'est presque un besoin existentiel, comme pour se dire : " bon, je suis là, je suis ici, je ne suis pas ailleurs. " Mais j'ai eu le sentiment que c'était un point de départ et non un point d'arrivée. Je les referais volontiers dans dix ans.

     
    Une opinion sur la pertinence du choix des cordes, en boyau ou en métal, et des instruments modernes ou anciens, selon le répertoire interprété ?

    Sur mes quatre cordes, trois sont en boyau, recouvert d'aluminium ou d'argent. Mais c'est, malgré tout, du boyau, c'est-à-dire cette substance douce, élastique, même un peu molle : une corde avec laquelle on peut faire des pleins et des déliés, ce qui est rudement nécessaire pour faire de la musique !

    Ayant reçu des critiques élogieuses quant au son des Suites de Bach, je peux dire maintenant que je les ai enregistrées sur un Vatelot de 1980. Si j'avais fait porter sur la notice " joué avec un violoncelle de 1980 ", je me serais sûrement fait égratigner ! Je joue aujourd'hui couramment un Stradivarius mais je rejoue aussi un violoncelle milanais de 1921, une merveille absolue.

    De toute façon, avec le renchérissement du prix des instruments anciens, ils deviennent hors d'atteinte pour un particulier. Pour ma part, j'ai joué deux Vatelot différents pendant vingt ans. Je n'ai aucun tabou sur l'âge des instruments. En revanche, je suis contre cette facilité, voire cette vulgarité, qui consiste à écrire partout : " joue un instrument de" et puis on met une date. Au fond, cela ne regarde personne !

     
    Votre activité est impressionnante, depuis l'Académie Chigiana de Sienne aux multiples postes que vous occupez désormais, en passant par Marlboro, Naples et autres. Où trouvez-vous le temps ?

    En fait, la seule responsabilité qui est de nature à me sortir de mon état de violoncelliste, c'est ce Concours de Bordeaux. Etre la " mémoire " d'Évian ne prend pas beaucoup de temps : il suffit que les neurones fonctionnent encore un peu ! Tout le reste, le délicieux petit Festival d'Entrecasteaux, près de l'Abbaye du Thoronet, dans le Var, dont je m'occupe aussi, cela ne prend pas beaucoup de temps. Naples et l'Italie, c'est une vieille histoire entre Accardo, Ivaldi, Giuranna et moi. C'est un état d'esprit que nous avons fait naître ensemble, mais cela ne prend pas de temps, non plus. Si mon nom apparaît ici ou là, cela n'a pas plus d'importance que le temps nécessaire à l'inscrire

     
    In fine, n'avez-vous jamais été tenté par la composition ou la direction ?

    Non, je ne crois pas. J'en sais probablement assez pour être capable de bricoler un morceau mais je n'en ressens pas la nécessité, ce n'est pas mon " truc ". Idem pour la direction d'orchestre : faire un geste et puis entendre un son tonitruant, là, en se disant : " c'est moi qui ai fait cela, c'est génial, c'est grisant ". Quand on a un nom, c'est assez facile de faire illusion, juste en se plaçant devant un orchestre, mais je ne parle que pour moi ! C'est extrêmement difficile d'être chef, c'est un métier très sérieux
    et comme il est sérieux, je ne me sens pas la compétence pour le faire.

     


    Lire aussi le compte-rendu du concours de quatuor 2001

     

    Le 08/10/2001
    Jacques DUFFOURG


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