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ENTRETIENS 29 mars 2024

Le piano baroque
d'Alexandre Tharaud

© Eric Manas

Depuis Marcelle Meyer, les enregistrements entièrement consacrés à Jean-Philippe Rameau au piano se comptent sur les doigts d'une seule main. Le jeune pianiste Alexandre Tharaud vient pourtant de prendre ce risque (pour Harmonia Mundi), avant de les interpréter le 5 novembre prochain au théâtre du Palais-Royal de Paris.
 

Le 31/10/2001
Propos recueillis par Yutha TEP
 



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  • Jouer Rameau au piano, n'est-ce pas un dĂ©fi aujourd'hui ?

    Cela fait dix ans que j'ai la partition de Rameau sur un coin de mon piano, parce qu'on ne peut pas ignorer Rameau quand on travaille des compositeurs comme Poulenc, Milhaud, Chabrier, Ravel ou Debussy. Rameau est devenu rapidement une véritable passion. J'avais envie de l'enregistrer depuis longtemps, mais c'était difficile de convaincre. Quand on est pianiste et qu'on joue Chopin ou Mozart, on ne peut pas s'engager dans Rameau tout de suite.

     
    S'il y a filiation entre Rameau et Poulenc ou Debussy, qu'y a-t-il entre les deux périodes ?

    La musique romantique française ne fait pratiquement jamais allusion à l'époque baroque. Je pense toujours à la réaction de César Franck quand il a entendu la première fois les Pièces pittoresques de Chabrier : un " miracle ", pour lui, Chabrier avait réussi à relier son époque à Rameau et Couperin. Et pourtant, cette suite de dix pièces est d'une grande modernité et a influencé tous les compositeurs qui ont suivi.

    Effectivement, il y a un grand saut dans le temps dans la musique française pour clavier, entre la période baroque et Chabrier ainsi que les compositeurs qu'il a influencés. On pourrait dire que dans cette famille que Rameau et Couperin sont les arrière-grands-parents, que Chabrier en est le grand-père et le groupe des six les derniers rejetons. N'oublions pas que Debussy a laissé L'Hommage à Rameau et Ravel, le Tombeau de Couperin. En concert, je joue ce dernier après Rameau et cela fonctionne merveilleusement bien.

     
    Et le rĂ´le de la danse ?

    Le système de la suite retrouvant des adeptes, les danses baroques ont naturellement suivi le mouvement. Chausson par exemple dans ses Quelques Danses où l'on trouve en particulier la Forlane. On peut dresser une liste sans fin d'hommages directs ou indirects à la musique baroque française.

    Dans le cadre du festival Octobre en Normandie (N.D.L.R. : le 21 octobre dernier), j'ai demandé à six compositeurs de ma génération, cinq Français et un Tchèque vivant à Paris, d'écrire un hommage à Rameau, un peu dans le style de Ravel, et j'ai demandé à chacun de prendre comme point de départ, un des mouvements de la Suite en la.

    Pendant ce concert, j'ai joué cette Suite en la, en faisant suivre chaque pièce de la composition qu'elle a inspirée à Guillaume Connesson, Bruno Mantovani, Thierry Escaich, Régis Campo, Thierry Pécou et Christophe Maratka ; un effet de miroir en quelque sorte. Il y a vraiment une couleur spécifique de l'école de compositeurs français.

     
    De votre côté, comment avez-vous conduit votre travail sur Rameau ?

    Ce programme Rameau m'a demandé deux ans de travail. J'avais la partition depuis longtemps et je l'ai déchiffrée et encore déchiffrée. Pour le disque, je suis parti des éditions Le Pupitre et Bärenreiter, j'ai aussi acheté des fac-similés de la première édition. Puis, j'ai recherché tout ce que je pouvais trouver sur Rameau, des livres, des disques, en particulier tout ce qui existait pour le clavier.

    Au piano, il y a la magnifique intégrale de Marcelle Meyer, mais aussi des pianistes comme Kempf qui a joué un peu de Couperin ou Gilels qui a lui joué un peu de Rameau. Bien sûr, dans les années cinquante, tout est resté éparpillé, mais depuis cette grande période, il n'y a pratiquement plus rien eu. En conséquence, j'ai surtout écouté les clavecinistes.

    J'ai beaucoup travaillé avec Olivier Beaumont, que je ne connaissais pas avant et à qui je dois de précieux conseils. Dans un premier temps, j'ai essayé d'imiter le jeu des clavecinistes, d'approcher au plus près le jeu baroque, tout en sachant que j'aurais, le moment venu, à me défaire de tout cela. J'ai effectué ce travail de rejet au bout de deux mois, pour revenir à mon instrument et essayer d'offrir quelque chose de cohérent.

     
    Vous n'avez pas eu peur, à un moment, de vous heurter à une certaine résistance du milieu baroque ?

    Non, à aucun moment. Toutes les personnes que j'ai contactées, en particulier des grands spécialistes de cette musique, comme par exemple Ivan Alexandre, Marc Minkowski ou William Christie, tous ont eu des réactions très positives, ce qui m'a conforté dans mon choix.

    Grâce à ces spécialistes, grâce aux clavecinistes, on peut jouer au piano Rameau ou Couperin ou d'autres compositeurs de cette période, avec tout l'acquis qu'ils ont apporté et dont ne disposaient pas les interprètes des années cinquante. Et surtout, j'ai pour moi la réaction du public, qui est merveilleuse : un silence étonnant, une attention incroyable, car cette musique est vraiment magique. Je sais que les gens l'aiment. En outre, la maison de disques, Harmonia Mundi a parfaitement perçu l'idée, senti que l'instant était venu de faire cela.

     
    Quelles sont les contraintes propres à l'interprétation de Rameau sur un piano ?

    Un milliard de choses. Il y a déjà, élément essentiel, le travail sur les ornements, les agréments. Cela demande un effort phénoménal, car ils sont difficiles sur un piano. Par exemple, il faut toujours les alléger au maximum. Il faut aussi les jouer sur le temps, ce qu'on ne m'a jamais appris à faire au Conservatoire où de toute façon, on ne parlait pratiquement jamais de Rameau.

    Ce simple fait a changé beaucoup de chose pour moi. Avec un piano, on peut jouer sur les plans sonores. Rameau pratique l'écriture à trois ou quatre voix, et chacune est importante, on peut faire ressortir ces plans sonores, chose qu'on n'obtient pas toujours au clavecin. On peut jouer sur les nuances, les dynamiques, cela va bien à cette musique.

    J'ai aussi été frappé par l'extrême liberté du compositeur. Les premiers mois de travail ont été très difficiles, parce que mon jeu était enfermé dans une autre technique, mais j'ai conquis aujourd'hui une sensation de liberté incroyable. Il faut dire que cette musique est très moderne, sensuelle (l'Enharmonique par exemple) et ne sent à aucun moment l'exercice de style.

     
    Et Couperin ?

    J'aimerais bien m'y attaquer
    C'est encore un autre monde, tout aussi fascinant. J'ai envie de jouer Couperin et Scarlatti, car si l'on regarde bien, on ne les enregistre pas si souvent que cela. Ni Bach soit dit en passant : il est souvent joué en concert par les pianistes, mais peu enregistré.



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    Le 31/10/2001
    Yutha TEP


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