altamusica
 
       aide















 

 

Pour recevoir notre bulletin régulier,
saisissez votre e-mail :

 
désinscription




ENTRETIENS 19 avril 2024

Jean-Yves Thibaudet : le piano fait homme
© Emi Classics

De Los Angeles à Paris, Jean-Yves Thibaudet aime cultiver les différences. Non par goût de la provocation, mais parce qu'il jure ses grands dieux que la musique ne connaît pas de frontières. De Rachmaninov à Evans, de Debussy à Ellington, ce marathonien du clavier continue de susciter aujourd'hui la curiosité de ses contemporains. Cet oiseau rare du piano international faisait escale à Paris, les 2 et 3 février, pour deux concerts avec l'Orchestre de Paris dirigé par Yan-Pascal Tortelier. Entretien.
 

Le 02/03/2000
Propos recueillis par Stéphane HAIK
 



Les 3 derniers entretiens

  • Ted Huffman,
    artiste de l’imaginaire

  • Jérôme Brunetière,
    l’opéra pour tous à Toulon

  • Jean-Baptiste Doulcet, romantique assumé

    [ Tous les entretiens ]
     
      (ex: Harnoncourt, Opéra)


  • La disparition de Friedrich Gulda a laissé les mélomanes sans voix.
    Dans les hommages qui lui ont été rendus dans la presse, certains ont
    écrit que vous étiez l'un de ses fils spirituels. Reconnaissez-vous
    cette filiation ?


    Me comparer à Gulda, c'est l'un des plus beaux compliments qu'on puisse me faire. Je ne sais pas si je suis l'un de ses héritiers. En tout cas, une chose est certaine : Gulda est l'un des rares musiciens qui ait atteint un si haut degré de compétence musicale tant en jazz qu'en classique. Et puis Gulda, c'était aussi un provocateur-né, jamais en panne d'idées folles pour égayer l'un de ses récitals, et bouleverser ainsi d'ancestraux rituels un peu désuets. Ce sens de la mise en scène, forme de happening avant l'heure, Gulda le ressentait au plus profond de lui-même : une manière d'être plus que de paraître, qui ne devait rien à des " coups " de marketing tels qu'ils peuvent aujourd'hui se pratiquer. Se dévêtir, apostropher le public, changer de répertoire en plein milieu d'un concert, au grand dam de son auditoire : seul Gulda avait le cran et le tempérament de ce genre de fantaisies. Un peu comme Dali en peinture. J'avoue ne pas ressentir ce besoin d'excentricités. En ce sens, je crois ne jamais pouvoir revendiquer la place de fils spirituel (rires).

     
    De Gulda, on peut dire que vous avez au moins hérité du souci de décloisonner les musiques. Chez vous, c'est presque devenu " une marque de fabrique ". Comment défendre ce dessein sans tomber ni dans la vulgarité, ni dans la démagogie outrancière ?

    La frontière est, il est vrai, souvent ténue entre ce qu'il convient de nommer le bon et le mauvais goût, et il n'est pas de solutions idéales et uniques pour éviter cet écueil. Le terme de " crossover " n'existe pas dans ma bouche ; il y a la bonne et la mauvaise musique. La vraie question est : comment populariser la musique classique, tout en lui conservant ses atours ? Attirer un public nouveau à Beethoven, c'est sans doute accepter de l'y conduire par des chemins de traverse : un concert de jazz de bonne qualité peut drainer un nombre significatif de mélomanes curieux, que le " monde classique " peut intéresser, à condition de les y amener en douceur. Prenons l'exemple de mon disque Bill Evans : celui-ci a sans nul doute poussé certains à aller plus en avant dans ma discographie, qui comprend aussi les concertos de Rachmaninov et les Préludes de Debussy. C'est une méthode comme une autre. Elle semble en tout cas pour l'heure l'une des plus efficaces.

     
    Que pensez-vous qu'un musicien de jazz puisse apporter à un musicien " classique " ?

    Incontestablement, un musicien " classique " en contact régulier avec le jazz bénéficie d'un gain de flexibilité expressive que sa formation d'origine ne lui a pas toujours offert. Sans oublier cette fascinante rythmique jazzy, à la fois immuable pulsation et espace de liberté inespéré : deux éléments aux antipodes qui rendent la pratique du jazz passionnante.

     
    Outre le jazz, votre c¦ur bat pour l'art lyrique. Il y a quelques années, au Met de New York, vous avez tenu le rôle du pianiste muet dans Fedora de Giordano, aux côtés de Domingo et Freni. Quel souvenir gardez-vous de cette expérience ?

    C'était incroyable, magique. Mon amour pour le chant atteignait là son paroxysme. Spectateur fidèle du Met, je ne me rendais pas vraiment compte à quel point ce que je voyais sur scène pouvait exiger une telle somme de travail en amont. Me mêler à cette production, c'était partager des émotions, dont je ne soupçonnais pas qu'elles puissent exister à pareille intensité.

     
    Le chant fait vraiment partie de votre univers. Vous avez été l'accompagnateur de Brigitte Fassbaender, d'Angelika Kirchslager, d'Olga Borodina et, en juin 1998, vous avez étiez présent aux côtés de Cecilia Bartoli au Teatro Olimpico de Vicence pour un concert diffusé en direct à la télévision et enregistré pour Decca. Le soliste international que vous êtes a dû faire preuve d'une certaine abnégation ?

    C'est un peu mon originalité : je mène une carrière internationale, mais suis capable de me mettre au second plan, lorsque des occasions exceptionnelles se présentent. Vous savez, je crois qu'il faut être prêt à beaucoup sacrifier pour la voix, qui est le plus bel instrument du monde.

     
    A vous entendre, le chant aurait beaucoup enrichi votre connaissance de votre instrument.

    Je serais même tenté de dire que l'art lyrique est la meilleure formation qu'un instrumentiste puisse recevoir : travailler avec un chanteur, pour un pianiste, c'est entendre ce qu'est un vrai legato, c'est apprendre à conduire une phrase, autant d'exemples qu'aucun professeur de piano ne pourra montrer avec une telle acuité. Je suis formel : un instrumentiste qui ne s'intéresse pas à l'art lyrique passe à côté de l'essentiel.

     
    Votre passion éprouvée pour le jazz et l'art lyrique fait de vous un pianiste presque atypique. Etes-vous toujours plus heureux aux
    Etats-Unis qu'en France ?


    C'est une vieille histoire. Aujourd'hui, je passe autant de temps outre-Atlantique qu'en Europe, et en particulier en France, même si l'on ne m'y voit pas beaucoup jouer. Vous voyez, il y a un malentendu qu'il faut dissiper : mon absence des scènes françaises n'est pas de mon fait. Sans doute n'a-t-on pas apprécié que je fasse carrière aux Etats-Unis. Bien que les choses se soient arrangées, la France demeure le pays dans lequel je joue le moins. Je crois que les organisateurs attendent de vous une grande disponibilité. Le problème en France, c'est que la musique, comme tous les autres arts d'ailleurs, est dépendante des fluctuations politiques. On travaille donc à court terme et, pour un artiste qui mène une carrière internationale, se libérer au moment voulu est parfois difficile. Il faut souvent savoir jongler avec les dates. Un art que le pianiste ne maîtrise pas toujours (rires).

     

    Le 02/03/2000
    Propos recueillis par Stéphane HAIK


      A la une  |  Nous contacter   |  Haut de page  ]
     
    ©   Altamusica.com