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ENTRETIENS 26 avril 2024

Paul O'dette,
le luth de classe

© Eric Sebbag

© Eric Sebbag

Sa fabuleuse technique sur le luth Renaissance et le Chitaronne se reconnait entre mille. Pourtant, Paul O'dette a débuté la scène avec une guitare électrique, pour aujourd'hui diriger des opéras de Lully qu'on aimerait bien entendre en France. Il se produisait en novembre dernier au Théâtre des Abbesses. Rencontre.
 

Le 09/01/2002
Propos recueillis par Eric SEBBAG
 



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  • Comment avez-vous débuté le luth ? J'ai ouï-dire que vous jouiez d'abord de la guitare électrique


    Ma mère était une chanteuse d'opéra professionnelle, mon père allait beaucoup au concert et avait une énorme collection de disques. J'ai donc grandi en écoutant de la musique classique. Assez tôt, j'ai étudié le violon mais avec un professeur qui m'interdisait de jouer autre chose que des études. Je le suppliais de me laisser jouer un morceau de musique, mais il refusait obstinément. À douze ans, je me suis rebellé et j'ai commencé à apprendre la guitare électrique en imitant Jimi Hendrix et Éric Clapton. Par la suite, j'ai joué pendant six ou sept ans dans un groupe, c'était un très bon entraînement à l'improvisation.

     
    Vous étiez donc un " Guitar Hero " ?

    Oui, mais dans la ville de Colombus en Ohio seulement ! J'ai cependant eu la chance de jouer en première partie du groupe Cream, et j'ai donc rencontré Éric Clapton. Dans le même temps, un ami de la famille a suggéré que j'étudie la guitare classique pour améliorer ma technique. La première fois que j'ai entendu une fugue de Bach à la guitare, cela m'a complètement fasciné. Cela m'a tout de suite donné l'idée : " si je pouvais jouer cette musique dans un de mes concerts, je suis sûr que cela aurait un effet extraordinaire. " Et je l'ai fait !

    Mais la musique de la Renaissance m'a également beaucoup fasciné, et j'ai donc rapidement réalisé des arrangements en Rock ! Et puis en réfléchissant, je me suis demandé pourquoi je devais la jouer à la guitare. La question suivante qui m'est venue à l'esprit était : " à quoi ressemblait un luth ? " Bien sûr, j'avais déjà vu des représentations de l'instrument, mais je n'en avais jamais entendu. Je suis donc allé chez un disquaire, et j'ai trouvé un enregistrement de Julian Bream. L'envoûtement a été immédiat.

    Le lendemain, j'ai tout de suite dit à mes parents : " je dois absolument trouver un luth. " Le surlendemain je répétais la même phrase à mon professeur et par bonheur, il possédait lui-même un luth ; et comme il ne le jouait jamais, il me proposa de l'acheter. En plus, il détenait aussi de nombreuses partitions et tablatures de la Renaissance. À cette époque, j'avais seize ans, j'ai encore joué de la guitare électrique pendant presque deux ans encore et puis, j'ai décidé de me consacrer entièrement au luth et à la guitare classique.

    En 1973, je suis allé à Bâle en Suisse pour étudier la musique ancienne. J'avais emmené ma guitare et mon luth, au bout de six mois, je me suis rendu compte que je n'avais pas ouvert l'étui de la guitare. J'étais donc devenu luthiste.

     
    Aujourd'hui, vous êtes réputé pour avoir l'un des meilleurs son sur le luth. Quel est votre secret ?

    C'est à Bâle que j'ai expérimenté la technique du jeu sans ongles, à l'instigation de Michael Schafer qui lui-même avait conçu cette idée simplement en observant les tableaux d'époque. Avec cette nouvelle technique, on peut dire qu'on partait véritablement à l'aventure. Ma sonorité est juste le résultat d'expérimentations et d'intuitions.

    Quand je suis arrivé à Bâle, Hopkinson Smith était élève en même temps que moi. Il a toujours eu une grande intuition du son, et nous avons tout de suite joué beaucoup de duos de musique médiévale et Renaissance ensemble. Il a expérimenté cette technique sans ongles en même temps que moi, l'échange avec lui était précieux.

    En 1975, Nikolaus Harnoncourt nous a invités à jouer du Chitarrone dans une production de l'Orfeo de Monteverdi à Zurich. C'était un défi pour nous deux, un nouvel instrument, un nouvel accord, une nouvelle technique et l'apprentissage de la basse continue. Nous avions juste trois mois pour mettre tout cela au point. Ma première réalisation de basse continue a été pour cet Orfeo. Pour moi, ce fut une aventure digne de Christophe Collomb.

     
    Par la suite, on a eu l'impression que vous vous êtes réparti le répertoire du luth : Smith le baroque et vous, le répertoire Renaissance. N'était-ce pas une sorte de Yalta du luth ?

    (Rires). Jusqu'à un certain point, c'était d'abord une question d'inclination personnelle mais aussi de technique. La technique de la figueta (ndlr : opposition rapide du pouce et de l'index pour pincer les cordes) était très facile pour moi, or elle convient surtout au répertoire de la Renaissance, particulièrement pour les diminutions. Hopi (ndlr : le diminutif d'Hopkinson) aimait beaucoup les possibilités de recherche de couleurs avec le luth baroque.

     
    Cet automne au Festival des Cathédrales, Hopkinson Smith est revenu au répertoire de la Renaissance. Je crois que vous auriez dû vous y rencontrer, n'est-ce pas ?

    Oui, malheureusement les événements du 11 septembre m'en ont empêché. Mais Hopi m'a appelé pour m'en parler, et je regrette beaucoup de l'avoir manqué. Je suppose que c'est maintenant à mon tour d'explorer le répertoire baroque

     
    Justement, vos incursions dans le répertoire baroque n'ont jusqu'ici pas dépassé le dix-septième italien sur archilute ou chitaronne. Jouerez-vous un jour le luth baroque en ré mineur ?

    Je joue bien sûr cet instrument en privé, mais je n'ai encore jamais franchi le pas pour la scène. En revanche, j'ai beaucoup pratiqué le continuo dans la musique du XVIIIe siècle, et c'est dans cette perspective, comme un prolongement, que j'aborderai probablement le répertoire baroque en soliste. La danse me semble une composante essentielle dans ce répertoire. Je pense que ça peut donner un point de vue intéressant pour la musique de Bach ou de Weiss. Mais j'ai tant de projets

     
    Une danse jouée sur un instrument soliste comme le luth doit-elle être dansable ?

    Pour moi c'est le point de clivage. Je commence toujours en pensant au caractère spécifique d'une danse, à sa chorégraphie, et au meilleur tempo pour la danser. Il me semble qu'une majorité de pièces fonctionne mieux en restant effectivement dansable. Mais bien sûr, il y a de nombreux contre-exemples.

    Certaines danses comme les Pavanes ou mêmes des Gaillardes de Dowland ont un caractère rhapsodique évident, et elles ne semblent pas faites pour être réellement dansées. Mais partir du caractère de la danse et de son tempo me semble toujours une base plus saine. Par ailleurs, il y a plusieurs témoignages d'époque selon lesquelles une danse jouée par un instrument soliste était d'abord destinée à faire sauter les auditeurs de leurs chaises !

    Par exemple, Roger North qui était un ami d'Henry Purcell, disait que si l'on joue une danse, même avec beaucoup d'ornements et de diminutions, il est important que les auditeurs puissent immédiatement reconnaître sa nature. Mais encore une fois il y avait aussi des danses très stylisées, très abstraites et très loin des préoccupations des pieds et des jambes.

    Cependant, même Bach ne doit pas forcément être considéré comme le champion de la danse figurée. À mon avis, sa grande Chaconne garde le souvenir des opéras et des ballets de Lully, elle doit conserver le même rythme de danse tout au long de ces variations. À l'époque baroque, si on disait Chaconne, Bourrée ou Gaillarde, la plupart des auditeurs, même non-professionnels, savaient réellement les danser.

     
    Ici, on rejoint un peu de vos origines de musiciens de Rock. Car le Rock n'est-il pas en premier lieu une musique de danse ?

    Absolument, je pense que l'expérience du Rock m'a beaucoup apporté pour comprendre cette musique : en particulier, l'importance du rythme et la spontanéité de l'improvisation. Pour beaucoup de musiciens classiques, jouer quelque chose qui n'est pas écrit sur la partition est très difficile. Au contraire, pour un jazzman ou un rocker, c'est 90 % de la musique qu'il joue.

    Et de fait, je pense que l'art véritable du luthiste à la Renaissance comme au baroque supposait non seulement une très bonne technique, mais aussi beaucoup d'imagination en tant qu'improvisateur. La majeure partie de la musique écrite qu'il nous reste de ces époques était essentiellement pédagogique. Peu de partitions donnent réellement une idée de ce qu'était l'improvisation, sinon peut-être le recueil El Maestro de Luis Milan.

    On sait que les musiciens baroques aimaient s'affronter dans des joutes improvisatoires. On sait aussi, que des musiciens comme Bach ou Weiss étaient capables d'improviser des fugues sur des thèmes imposés. Combien de musiciens spécialistes du baroque aujourd'hui en sont capables ?

     
    Aimez-vous toujours réaliser des arrangements de musiques modernes comme celle des Beatles ou de Scott Joplin au luth ?

    Ce sont des clins d'oeil en fin de concerts, mais il y a aussi des compositeurs du XXe siècle qui ont écrit pour le luth. J'ai joué il y a peu un mouvement d'une sonate de Johann Nepomuk David composée en 1947. Il y a aussi des compositeurs vivants qui écrivent pour l'instrument. J'aime l'idée d'étendre le répertoire dans toutes les directions, également en transcrivant de la musique d'autres instruments.

    On a retrouvé des arrangements de la musique de William Byrd ou Peter Phillips, donc je crois que les luthistes peuvent se sentir libres de piocher dans le Fitzwilliam Virginal Book et le répertoire de clavecin.

     
    L'utilisation de cordes en boyau a revêtu une grande importance dans le renouveau de la musique ancienne et plus particulièrement pour les violons. Elles sont plus rarement utilisées au luth, pourquoi ?

    Personnellement, j'utilise aujourd'hui des cordes en matériau synthétique dont la densité est identique à celle des cordes en boyau. Naturellement, je pense que le boyau reste le matériau idéal, mais je joue dans des endroits aux climats très différents qu'il supporte mal.

    J'ai eu ainsi de très fâcheuses expériences en concert : je passais plus de temps à accorder mes instruments qu'à les jouer. Le problème se repose aussi pour les enregistrements, je préfère les cordes en boyau, mais pour des raisons d'emploi du temps j'ai parfois enregistré avec des cordes synthétiques. Le boyau reste merveilleux si on ne change pas de climat.

     
    Quel conseil donneriez-vous à un guitariste qui souhaiterait s'essayer au luth ?

    La transition la plus facile consisterait à choisir un luth Renaissance de 6, 7 ou 8 choeurs. Ensuite, un professeur reste indispensable car les méthodes d'auto-apprentissage ne sont pas assez détaillées en ce qui concerne la technique digitale proprement dite. Elles offrent aussi des exercices déséquilibrés.

    Elles commencent souvent par des pièces faciles en do majeur, et 60 pages plus loin on se retrouve avec une Fantaisie de Dowland. Cela revient à peu près à commencer un recueil de piano avec le premier prélude du Clavier bien tempéré et finir par une Étude-Tableau de Rachmaninov. Aujourd'hui, le meilleur recueil est probablement celui de Pascal Boquet pour la Société Française de Luth, lequel comprend une sélection des pièces d'une difficulté réellement progressive.

     
    Et pour un luthiste amateur qui aurait déjà passé le cap des préludes ?

    Si je m'en réfère à ma propre expérience, j'ai progressé essentiellement par intuition. Dans ce cheminement, le fait d'entendre un maximum de luthistes et de musiciens différents me paraît déterminant. L'approche de l'instrument Hopkinson Smith n'est pas la même que celle de Rolf Lislevand, qui diffère aussi de Chris Wilson, tout autant d'Eugène Ferré, etc. Dans chacune, il y a un enseignement à retenir. Cela ne se limite pas aux luthistes, pour moi, travailler avec Nikolaus Harnoncourt ou Gustav Leonhardt fut un enrichissement de tous les jours.

    Or, je remarque que beaucoup de jeunes instrumentistes aujourd'hui se trouvent volontiers des "gourous" dont ils suivent l'enseignement aveuglément. Je me souviens d'élèves de Frans Bruggen qui allaient jusqu'à porter les mêmes chaussures, manger la même nourriture, etc. Cela crée un environnement musical où tout le monde sonne pareil.

    Ma manière de jouer Francesco da Milano est très différente de celle de Chris Wilson, nous ne sommes d'accord sur rien. Mais j'aime beaucoup l'entendre le jouer, car cela me stimule énormément.

     
    Qu'en est-il par exemple de l'utilisation du rubato qui vous éloigne tant d'un Hopkinson Smith, y compris dans la musique Renaissance ?

    Le rubato est un composant essentiel de l'expression musicale, la question est de savoir dans quelle quantité et quand l'utiliser. J'aime l'idée baroque que l'on puisse avoir structure et liberté en même temps, autrement dit, installer une large et solide pulsation, et beaucoup de liberté entre chaque impulsion.

    Excepté pour certaines pièces à la liberté évidente et revendiquée (les préludes non mesurés), je pense que la structuration reste essentielle en musique, tout particulièrement pour la danse. Ce que je recherche donc est un sens de la liberté et de l'improvisation au sein d'une carrure bien posée.

     
    J'ai eu l'impression que vous avez gagné une liberté supplémentaire quand vous avez abordé la musique espagnole, en particulier Murcia. Qu'en pensez-vous ?

    J'ai longtemps différé l'étude de ce répertoire, car je ne comprenais pas cette musique. Et puis j'ai eu occasion de travailler à plusieurs reprises avec un guitariste et danseur baroque féru du répertoire ibérique. Il était effectivement capable de danser les pièces que nous jouions. Grâce à lui, je sais maintenant où on peut être libre et ne pas l'être, dans ce répertoire.

     
    Aujourd'hui, le luth ne doit-il pas son renouveau au disque, lequel donne une image parfois déformée et trop amplifiée de l'instrument ?

    L'amplification est évidemment déformante, mais le pire est cette tendance moderne à vouloir entendre de plus en plus de détails. À mon avis, il y a un point de non-retour passé lequel on n'en retire plus que des désavantages. Si vous regardez une jolie femme à une certaine distance, elle peut vous séduire, mais si vous mettez sa peau sous une loupe très grossissante, elle deviendra beaucoup moins attirante.

    Beaucoup d'enregistrements de luth commencent à atteindre ce niveau de détail microscopique qui déforme la musique, car les microphones captent beaucoup de composantes sonores que l'oreille n'entend pas dans des conditions normales. Du point de vue du musicien, cela oblige à jouer différemment, de la même manière qu'un chanteur habitué au micro n'a pas la même technique et la même projection vocale qu'un chanteur sans micro.

    Le micro amplifie trop les attaques, cela sonne trop différemment de l'instrument au naturel. Je crois qu'il faudrait revenir à l'esthétique d'il y a vingt ans, qui offrait un rendu moins artificiel. J'espère y être parvenu avec mes enregistrements récents, mais ce ne fut pas sans peine.

     


    3 disques pour découvrir l'interprète :

    -Santiago de Murcia, Jácaras! (Harmonia Mundi HMU 907212).
    - Kapsberger, Il Tedesco della Tiorba (Harmonia Mundi HMU 907020)
    - Molinaro, Fantasie, Canzon e Balli, (Harmonia Mundi HMU 907295 ), son dernier disque

     

    Le 09/01/2002
    Eric SEBBAG


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