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ENTRETIENS |
19 avril 2024 |
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La disparition de Jacques Offenbach quatre mois avant la création des Contes d'Hoffmann à l'Opéra-Comique le 10 février 1881, a considérablement pesé sur la postérité de cet opéra. Dès sa création, l'ouvrage fut donc arrangé par différentes mains, et modifié à chaque reprise au cours du XXe siècle.
D'abord popularisé par une version contestable publiée par l'éditeur français Choudens, il faut attendre 1970 pour que le musicologue allemand Fritz Oeser propose une réalisation aussi fidèle que possible aux manuscrits. Mais chaque chef d'orchestre reste libre de composer sa propre version, pratique encouragée par de nombreux détails de la partition.
C'est donc une oeuvre qui n'existe que par l'actualisation de sa lecture, ce que ne réfuteraient ni les poètes fantastiques issus du romantisme allemand, au premier rang desquels E.T.A Hoffmann, ni les champions du " work in progress " d'aujourd'hui. |
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Bertrand de Billy, comment entendez-vous ces Contes d'Hoffmann ? En cinq actes ou en trois avec prologue et épilogue ?
En cinq actes, c'est à mon avis une erreur. Il y a trois actes, un prologue et un épilogue. La première question est d'équilibrer l'ensemble, sans rien oublier au point de vue des airs, des duos et des ensembles.
Prenons l'acte d'Olympia : dans la version Choudens que je n'apprécie pas beaucoup, il est rabioté. Je choisis donc sans hésiter la version Oeser. L'acte d'Antonia n'a pas de problème majeur car il est composé de A à Z. Pour l'acte de Giulietta, il n'existe pas de version qui ne comporte des problèmes en suspens : dans la version Choudens, il est réduit considérablement, les autres peuvent proposer plusieurs solutions, toutes imparfaites, donc inépuisables.
On appelle souvent cet acte, " l'acte de Venise ", parce qu'il se passe dans un palais vénitien, mais aussi à cause de la célèbre Barcarolle (Belle nuit, ô nuit d'amour) emprunté d'un autre opéra. Cet acte est plus léger, donc plus italien, à cause de la personnalité de Giulietta qui m'évoque Nana de Zola ou Violetta.
Giuletta est un personnage magnifique qui a 4 airs fameux, la Barcarolle, les couplets de cabaret qui rappellent son histoire passée, le quatuor avec choeur Vénus dit à la Fortune qui est toujours supprimé et que Fritz Oeser a rétabli, et le duo Ce que je veux de toi. Avec ces quatre éléments centraux, l'équilibre entre cet acte et les deux autres se fait naturellement |
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Et la Muse ?
Elle est toujours aux côtés d'Hoffmann, mi-femme mi-homme, elle prend différents aspects. C'est un véritable personnage sorti tout droit du fantastique germanique. C'est toujours elle qui annonce ce qui va se passer, et qui clôt le cycle. À la fin de l'oeuvre, j'ai replacé un interlude joué par quatre cors, qui existe dans la version de Choudens, afin de nous replonger, comme dans le prologue, dans l'univers romantique allemand. Avec ces éléments musicaux, on perçoit clairement qu'il y a une histoire dans l'histoire, donc trois actes insérés dans une narration qui commence au début dans le prologue et s'achève à la fin avec l'épilogue. |
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Est-ce que l'intervention du chef d'orchestre sur la structure de l'oeuvre se double d'une intervention sur le matériau musical lui-même ?
Il serait bon de réorchestrer certains passages. Par exemple : au début, le dialogue entre Hoffmann et le diable mériterait d'être réorchestré dans un style plus léger, plus opérette. Pour le finale qu'Offenbach n'a pas orchestré, on pourrait imaginer que chaque chef en fasse sa propre orchestration. Je ne l'ai pas fait
cette fois-ci !
Pour la prochaine production à laquelle je participerai, je garderai ma version basée sur Fritz Oeser pour les actes d'Olympia et d'Antonia, mais je ferai ma propre version pour l'acte de Giuletta. Je supprimerai notamment dans celui-ci le septuor qui n'est pas d'Offenbach. |
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Olympia, Antonia, Giuletta seront-elles chantées par une seule cantatrice ? On sait que Leontina Vaduva ou Natalie Dessay ont en projet de le faire
Oui, sans aucun doute. Pour moi, il ne faut qu'une seule voix pour chanter les trois rôles. Cette question rejoint naturellement celle de l'orchestration, voire celle du choix de la version. Je le dis sans ambiguïté : Les Contes d'Hoffmann ont été écrits définitivement pour une cantatrice, mais il n'y avait pas dans les années 1880 de voix capable de chanter les trois actes entièrement.
À propos des voix, on a parfois fait d'Olympia un personnage à la petite voix frileuse qui fait des acrobaties suraiguës. Les contre mi-bémol, contre sol et contre fa ne sont pas dans la partition originale. La voltige de Natalie Dessay ou de Patricia Petibon est magnifique, mais elle reste de la voltige ! Pour moi, c'est anti-artistique, anti-musical et anti-historique ! L'unique argument pour défendre cette pyrotechnie est dramatique. Une poupée mécanique est sur scène : qu'elle s'emballe dans des vocalises convient parfaitement à l'action.
Au point de vue vocal, le problème vient de Giuletta. La tradition veut que l'on distribue Giuletta à une mezzo grave, ce qui est faux parce que le rôle est assez léger. C'est dans ce sens que j'ai travaillé avec Marie-Ange Todorovitch.
J'ai demandé aux deux cantatrices qui chantent cet air fameux de rechercher une couleur vocale en parfaite osmose. L'unité, qui est le problème majeur de la construction des Contes, serait favorisée par une voix unique pour incarner les trois personnalités féminines rencontrées par Hoffmann au long de sa carrière de séducteur. On obtiendrait ainsi ce qui me semble être le sens profond de cette oeuvre : le poète Hoffmann recherche une figure unique à travers ses multiples rencontres féminines. N'est-ce pas là ce qu'il avoue à sa Muse ? |
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