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ENTRETIENS 26 avril 2024

Nelly Miricioiu,
la techno Callas ?


D.R.

Cette remarquable technicienne du belcanto a souvent été comparée à Maria Callas. Le genre de comparaison dont une chanteuse sort rarement indemne. La Roumaine s'en explique pour Altamusica.
 

Le 18/01/2002
Propos recueillis par Yutha TEP
 



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  • La réaction du public le soir de la première de Tosca a été assez dure pour vous. Êtes-vous surprise ?

    Surprise et très blessée
    C'est le genre de chose qui m'arrive très rarement. Cela a été le cas à Orange, mais là, je peux le comprendre : le public d'Orange attend des voix énormes, ce qui n'est pas mon cas. Mais à Paris, je n'ai jamais rencontré un tel accueil !

    Je n'ai pas chanté à Paris depuis maintenant dix ans, peut-être le public m'a-t-il oublié, et par conséquent, je l'ai désarçonné par ma manière de chanter Tosca. Même si j'ai donné à certaines notes beaucoup de volume, je ne suis pas une Tosca à la Maria Guleghina. J'aborde le rôle en belcantiste, et j'ai aussi voulu respecter la musique : je n'ai pas peur de discuter de la partition avec les critiques, j'aimerais tellement défendre de vive voix ma vision de Tosca auprès du public.

    Je pensais avoir fait de mon mieux ce soir, j'étais très contente, car j'aime beaucoup cette production, j'adore mes collègues qui sont avec moi sur le plateau, j'adore Maurizio Benini, avec qui je travaille souvent, ou encore l'orchestre de l'Opéra de Paris. Maurizio Benini m'a parfaitement comprise, et vous avez entendu quelles couleurs il tirait de l'orchestre !

     
    Vous ne pensez pas que le public a fait une comparaison maladroite avec Maria Callas ? C'est l'une des remarques que l'on fait souvent à votre sujet. " C'est Maria Callas, avec la technique en plus " revient souvent sous la plume de certains confrères.

    Peut-être. Mais ce n'est vraiment pas volontaire ! J'ai presque cinquante ans, et si je chantais comme chantait Maria Callas, je ne serais pas sur scène à l'heure qu'il est : toutes les chanteuses qui ont voulu la copier, l'ont payé très cher ! Moi, je suis très fière de la fraîcheur que ma voix a gardée. Cette comparaison remonte à loin.

    Quand j'ai passé mon premier concours à Athènes, je venais de Roumanie, à une époque où la guerre froide battait son plein. Je ne savais même pas qui était Maria Callas. Quand la présidente, une vieille dame très digne, s'est exclamée " Nous avons une jeune Maria Callas ", je me suis demandé qui elle était !

    C'est à cette occasion que j'ai entendu pour la première fois le nom de Callas, et depuis, bien sûr, il ne m'a jamais quittée. Sérieusement, je ne veux pas la copier : au contraire, je suis totalement obsédée par la technique, surtout avec le répertoire que je chante. Je travaille comme une folle, tout le temps.

     
    Quel est exactement votre répertoire ?

    Je chante beaucoup de belcanto, naturellement, mais Tosca est clairement le rôle que je chante le plus souvent. Chaque fois que j'aborde Tosca sur scène, j'essaie de créer un nouveau personnage, plus jeune, plus complet aussi. Pour moi, il est impensable de chanter Tosca de manière routinière. De toute façon, c'est vrai pour tous les rôles.

    Si j'aborde très souvent des partitions inconnues, c'est en partie pour avoir la possibilité de créer des personnages nouveaux, sans tout le poids des interprétations passées et des a priori qui conditionnent la perception que le public a de moi. Je chante aussi très souvent Violetta, Gilda, Manon Lescaut. Il y a aussi Butterfly, mais je ne veux pas trop me frotter à Butterfly, sauf si je trouve un bon chef, qui respecte la musique.

    En outre, je ne me sens pas à l'aise sur le plan physique ! Je suis très attachée à une certaine vraisemblance scénique, et ma physionomie n'est pas adaptée à Butterfly
    Pour reprendre la comparaison, c'est peut-être pour la même raison que Maria Callas n'a pas non plus beaucoup chanté ce rôle, alors qu'elle a laissé un disque extraordinaire.

    J'ai investi toute ma vie dans le chant et ce n'est pas un exercice superficiel ! Je comprends les souffrances de Maria Callas ou de Renata Tebaldi, qui montaient sur scène en sachant qu'une partie du public détestait l'une ou l'autre. C'est vraiment terrible, un vrai cauchemar.

     
    Pourriez-vous résumer en quelques mots votre parcours musical ?

    Je viens d'une famille musicienne. Ma mère adorait Nelly Melba, je lui dois mon prénom. J'ai commencé la musique à cinq ans. J'ai toujours chanté. J'ai fait mes débuts sur scène à quatorze ans, et je ne me suis pas arrêtée depuis. Ma mère a voulu très tôt que j'embrasse une carrière de chanteuse, mais elle a compris qu'il ne fallait pas toucher à ma voix avant l'âge de dix-huit ans.

    Après cela, j'ai très vite chanté la Reine de la Nuit, j'étais donc une colorature. Je pense être maintenant une vraie coloratura drammatica, comme la Colbran et comme l'a été Maria Callas. J'ai mis du temps à m'en rendre compte, et j'ai donc fait beaucoup de vérisme avant de comprendre vraiment ce qu'était ma voix.

    Un jour, le Concertgebouw d'Amsterdam m'a demandé de chanter Tancredi. Quand j'ai vu la partition, j'ai eu très peur : il me semblait qu'il m'était impossible de chanter autant de notes en si peu de temps ! J'ai essayé et j'ai été sidérée de me sentir complètement à l'aise ! C'est comme cela que j'ai découvert le belcanto.

     
    Les grands labels semblent vous ignorer, comment l'expliquez-vous ?

    Je ne suis pas sûre d'avoir une personnalité qui leur convienne. Je suis concentrée sur mon art, je manque peut-être de cette volonté de carrière qu'ils aiment mettre en avant. Pourtant, je me sens plutôt à l'aise devant les micros. C'est bien sûr le cas avec Patrick Schmid, pour Opera Rara. La musique qu'il me propose, est toujours intéressante et adaptée à ma voix.

    Patrick a en réserve des tas de partitions qui le fascinent depuis longtemps, il me répète souvent qu'il est fou de joie d'avoir enfin trouvé une chanteuse capable de les interpréter. L'inverse est aussi vrai : grâce à lui, j'ai vraiment pu pleinement explorer les possibilités de ma voix. Cela fait dix ans que je collabore avec Opera Rara, pour mon plus grand bonheur.

     
    Écoutez-vous vos collègues ?

    Oui, bien sûr, dès que j'en ai le temps.J'avoue que je suis très attachée à un certain passé. Aujourd'hui, il y a de très beaux artistes actuellement, par exemple Sharon Sweet ou Angela Gheorghiu, que j'aime beaucoup, comme j'aimais avant la voix de Shirley Verett. Mais il me semble que ces formidables chanteuses sont parfois victimes d'un certain environnement, d'une mentalité que l'on crée autour d'elles et qui me fait peur

     
    Comment décririez-vous la condition du chanteur lyrique aujourd'hui ?

    Il y a vraiment une concurrence très forte. Le danger, c'est que quand une voix exceptionnelle fait son apparition, les directeurs ont tendance à l'engager pour toutes sortes de productions qui ne sont pas forcément adaptées à cette voix. De cette manière, elle se met facilement en danger.

    Ma famille m'a beaucoup soutenue, elle m'a permis d'être très prudente. J'ai aussi eu un très bon professeur, David Harper, à Londres. Cela fait dix ans que nous collaborons, jusqu'au plus petit détail. David Harper m'a donné des connaissances indispensables. Pour le reste, j'ai fait un travail personnel énorme, avec une remise en cause permanente qui est indispensable dans mon répertoire. Je fais de nombreuses expérimentations, dans le souci surtout de maintenir la longévité de ma voix. Malgré cela, j'ai eu très récemment une période très difficile.

    Cette Tosca parisienne est ma première apparition depuis longtemps. J'étais proche de la saturation ces trois derniers mois, alors j'ai décidé de prendre du repos, avant de venir ici. Je ne pouvais plus faire une note, et au final, c'est l'amour que je porte à ma profession et la perspective de chanter Tosca, qui m'ont tiré de ces doutes. Cappuccilli m'a dit une fois que l'artiste incapable de remonter sur scène après une désillusion, n'est pas un artiste.



    Cliquer ici pour visiter le site de l'artiste.

     

    Le 18/01/2002
    Yutha TEP


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