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ENTRETIENS 28 mars 2024

Vesselina Kasarova, la perle bulgare
© Eric Sebbag

Elle vient de triompher à l'Opéra national de Paris dans l'Italienne à Alger de Rossini, s'affirmant aussi subtile comédienne qu'éclatante virtuose. La jeune cantatrice bulgare est parvenue en peu d'années au sommet d'une grande carrière internationale menée avec sagesse et intelligence.
 

Le 13/03/2000
Propos recueillis par Gérard MANNONI
 



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  • L'école de chant bulgare a formé depuis la dernière guerre certains des plus grands chanteurs du monde comme Boris Christoff, Nicolaï Ghiaurov, Raïna Kabaïvanska ou Anna Tomowa-Sintow. Vous considérez-vous comme l'héritière actuelle de cette tradition ?

    J'ai énormément de respect pour les artistes que vous venez de citer mais je ne les connais pas personnellement. J'appartiens à une autre génération et je ne sais pas si l'on peut vraiment parler d'école. Nous avons tous eu des professeurs différents. J'ai étudié uniquement avec Ressa Koleva au conservatoire de Sofia et c'est d'elle que je me sens réellement l'héritière. Je continue d'ailleurs à suivre ses conseils quand j'ai le temps de la rencontrer, pour savoir si ma voix est toujours bien en place, si tel ou tel rôle me convient, si je peux accepter de travailler avec tel metteur en scène. Pour moi, la spécificité du chant bulgare tient à notre langue qui s'apparente un peu à l'italien avec des voyelles très ouvertes, ce qui favorise l'émission vocale. Mais les grands chanteurs dont vous avez parlé avaient aussi des personnalités scéniques exceptionnelles. J'attache beaucoup d'importance au jeu théâtral. Il devrait être primordial. C'est lui qui peut attirer le public des nouvelles générations. J'admire beaucoup Maria Callas car elle est a prouvé qu'il était possible d'être une grande cantatrice et une grande actrice. Toute la difficulté est de rester naturel, crédible, sans rien exagérer.

     
    Vous êtes-vous bien amusée avec la mise en scène d'Andreï Serban pour l'Italienne à Alger ?

    Je m'amuse toujours en cherchant à m'adapter à ce que souhaite chaque metteur en scène. Certains chanteurs ont le tort de jouer toujours le même rôle de la même manière. J'adore au contraire incarner le même personnage dans des approches différentes. Je suis effectivement très contente d'avoir pu chanter l'Italienne à Paris autrement qu'à Berlin ou à Vienne. Cela peut paraître facile, mais c'est en réalité très difficile, car on a tendance à reproduire les gestes et les attitudes que notre corps a enregistré avec une musique donnée. Dès le début de mes études, je me suis intéressée au jeu dramatique car chaque geste est une expression du phrasé. Je réfléchis continuellement à la manière dont j'ai chanté tel phrasé et comment je l'ai accompagné sur scène avec mon corps.

     
    Vous aviez sans aucun doute beaucoup de facilités naturelles, mais avez-vous travaillé longtemps avant de monter sur scène ?

    J'avais fait beaucoup de musique, très jeune, puisque j'ai travaillé le piano pendant plus de quinze ans. Quand j'ai abordé le chant, j'ai effectivement travaillé beaucoup ma voix, tous les jours, pendant cinq ans. Je ne pense pas que l'on puisse parvenir à un certain niveau sans beaucoup de travail et de rigueur. J'habite la Suisse et j'y entends souvent des jeunes talentueux mais qui, selon moi, ne travaillent pas assez régulièrement. L'entraînement quotidien est indispensable, comme pour un sportif, et même si on ne se sent pas en forme. C'est la seule façon de maîtriser ses moyens pour être au niveau au moment adéquat. Beaucoup de chanteurs croient perdre leur voix après une dizaine d'années de carrière. C'est en fait un problème psychique qui vient de ce qu'ils ne contrôlent pas assez bien leur corps. Cela, seul un entraînement quotidien peut vous le donner. Au départ, bien sûr, il faut trouver sa vraie voix et s'y tenir, sans chercher à le rendre différente. De toutes manières, on ne peut pas forcer sa voix en chantant Rossini et Mozart, sans cela, le son n'est pas propre. Et puis, quand vous commencez un opéra, mieux vaut planifier votre interprétation, sans utiliser toutes vos forces dès le départ, en songeant qu'il faudra aller jusqu'au bout, avec peut-être comme dans l'Italienne, une note très aiguë à la fin, difficile à bien faire.

     
    Vous avez chanté la Damnation de Faust au Festival de Salzbourg et enregistré Charlotte dans Werther. Que pensez-vous du répertoire français ?

    C'est mon répertoire préféré. Aucun autre n'est aussi riche et débordant de sentiments. C'est aussi le plus élégant, car la langue elle-même est très élégante. Mais c'est aussi le plus difficile à prononcer. En revanche, on peut y mettre des couleurs fabuleuses, comme nulle part ailleurs. Werther et la Damnation sont à cet égard d'une richesse absolue, infinie.

     
    Pensez-vous aborder un jour Carmen et Dalila ?

    Carmen, c'est possible. Dalila, je ne pense pas. Dans une carrière, il faut savoir procéder par étapes et songer à ce que l'on fera dans dix ou vingt ans. Inutile de tout donner tout de suite. Pour l'instant, beaucoup de grandes cantatrices plus âgées que moi incarnent d'excellentes Carmen. Je ne vois pas la nécessité à ce stade de ma carrière, d'entrer en compétition avec elles. Ce serait une erreur de stratégie, comme pour d'autres rôles, d'ailleurs. Et puis, il faut aussi attendre que se présente un bon metteur en scène. La hâte et la précipitation sont nos pires ennemies !

     
    À quels personnages rêvez-vous ?

    Je ne rêve pas beaucoup car tout se réalise très vite. J'ai rêvé de Charlotte, que j'ai fait, et d'Octave, dans le Chevalier à la Rose que je vais faire très bientôt au Metropolitan Opera de New York. Il y a dix ans, je rêvais de Tosca, mais j'ai vite compris que c'était inutile ! En fait, mon rêve est de travailler avec de très grands metteurs en scène car on apprend ainsi jusqu'à la fin de sa carrière et ce sont eux aujourd'hui qui vous font progresser dans la connaissance des rôles. Jadis, les chefs d'orchestre étaient de vrais maîtres pour les cantatrices. Je pense à Toscanini, à Serafin, à Sabata. Ils connaissaient les voix et étaient de vrais guides dans une carrière. Ce n'est plus le cas maintenant. Nos rencontres sont trop brèves et la plupart des chefs ne se préoccupent que de mise en place, de tempo et de problèmes à résoudre avec leur orchestre. Les vraies exigences viennent du metteur en scène et c'est avec lui que l'on fait un travail en profondeur.

     
    Vous venez de publier un très beau disque de Lieder chez BMG. Est-ce un répertoire qui vous concerne autant que celui de l'opéra ?

    Incontestablement. Mon professeur était une grande interprète de mélodies et j'ai été formée dans le respect et la passion de cette forme musicale. C'est une manière différente de faire de la musique, peut-être plus instrumentale, plus dangereuse aussi car nous sommes totalement à découvert. Préparer un récital est une tâche considérable et je n'ai pas jusqu'à présent pu y consacrer assez de temps pour le faire régulièrement. Il faut aussi une certaine maturité. Je crois avoir maintenant atteint un âge où je peux commencer à intégrer cette activité de manière beaucoup plus fréquente. Il y a sept ou huit ans, je n'aurais pas été crédible. Aujourd'hui, je pense en avoir la légitimité et je compte bien désormais donner un maximum de moi-même dans ce domaine, comme dans tous les autres.

     

    Le 13/03/2000
    Propos recueillis par Gérard MANNONI


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