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ENTRETIENS 26 avril 2024

Pascal Dusapin, compositeur sans fumée

Entrée par la grande porte à l'Opéra de Paris pour Pascal Dusapin, avec son opéra Perelà, l'Homme de fumée. Un peu tout le contraire du compositeur, qui exprime son art et ses convictions sans fard ni contrefaçon. Rencontre avec l'un de nos compositeurs les plus actifs du moment.
 

Le 13/03/2003
Propos recueillis par Yutha TEP
 



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  • Perelà a constitué une grande première pour vous.

    Oui, c'est ma première commande de l'Opéra de Paris. Ce serait très immodeste de prétendre que cela ne me fait aucun effet
    La commande remonte à près de quatre ans maintenant, mais tout était déjà bien engagé dans ma tête, puisque j'ai découvert le sujet de Perelà en 92-93. C'est mon quatrième opéra. Les trois précédents sont de format très différent, moins important quand même, entre autres Medea en 91 qui a nécessité cependant des efforts très importants au niveau des décors.

     
    Vous vous sentez compositeur français ?

    A vrai dire, je ne me sens pas tout à fait compositeur français et je n'ai jamais réellement fait partie d'une école, je n'ai actuellement pas de disciple. Je me frotte de façon intense à l'italianité avec Perelà ! Nous avons toute une équipe de coachs italiens, et, même si on a loué mon travail sur l'italien, il paraît que j'ai fait pas mal de fautes ! On décale pas mal d'accents toniques
    Et James Conlon est d'une aide inestimable, car il parle merveilleusement l'italien, et ne transige pas sur ce point.

     
    Vous n'avez pas eu peur de voir votre oeuvre créée à Bastille ?

    J'avais certes demandé le Palais Garnier au départ, et Hughes Gall n'y était pas opposé. Mais j'ai finalement accepté Bastille, pour des questions de rapport scène/salle, et sur les possibilités technologiques sur lesquelles Hughes Gall a attiré mon attention. Et Peter Mussbach m'a aussi convaincu en deux secondes, en me disant : « à Garnier, le décor était derrière toi, alors qu'à Bastille, il est devant toi ». Et il n'y a pas une grande différence entre Bastille et Garnier pour la taille des plateaux. En outre, quand je suis allé à Garnier voir Juliette ou la Clé des Songes, je me suis rendu compte que je n'avais pas vu d'opéra depuis très longtemps, et je me suis trouvé très gêné dans le rapport avec le son. J'avais un peu peur du son à Bastille, et de toute façon, dans la mesure où je suis bien plus souvent allé à Bastille, je me suis mis à aimer Bastille. Et au moment même où j'ai fini Perelà, Jean-Claude Galotta donnait en mai 2001 des ballets avec quatre de mes partitions d'orchestre, j'ai eu cette chance extraordinaire d'entendre ma musique dans le lieu même où allait se jouer mon opéra !

     
    De même, vous n'avez pas eu peur qu'on vous accuse de vous consacrer à un genre moribond, l'opéra ?

    Je suis convaincu que l'opéra ne sera pas mort tant qu'il y aura une personne ayant envie d'entendre de l'opéra. Et puis, que veut dire une expression comme « la question de la symphonie » ? C'est un peu comme pour la sonate. Je dirais que la symphonie pose la question d'un temps long, je travaille depuis dix ans sur une oeuvre pour orchestre sur le temps long. Selon moi, la rhétorique qui est derrière l'opéra, la symphonie ou le quatuor à cordes, ne concerne même pas les oeuvres en elles-mêmes. Ce sont des questions typiques de l'après-guerre, qui ont leur légitimité. Pour ceux de ma génération, on ne peut plus parler en ces termes.

     
    La composition d'un opéra répond-il chez vous à un besoin intérieur ?

    En jouant un peu de la provocation, je dirais que l'opéra a quelque chose qui me permet d'oublier un peu la musique au profit de la métaphysique, sur la relation entre la littérature et la musique. Cela s'inscrit aussi dans ma propre culture, car je suis très amateur de littérature : la musique me permet de rapprocher d'une idée littéraire qui était pour moi inaccessible. Je suis un peu comme ces écrivains qui parlent tout le temps de musique, d'harmonie, de mélodie. Je signe le livret, ce qui est peut-être l'une des conséquences de mes passions, mais il ne faut pas se méprendre : je n'ai absolument pas dénaturé le texte de Palazzeschi, tous les mots chantés sont de lui. J'ai pris le parti très puritain de ne jamais retoucher une seule phrase de Palazzeschi.

     
    Le choix d'un texte italien correspond-il à l'influence d'un Donatoni, et plus généralement de la musique italienne de notre temps ?

    J'ai été très marqué, comme tout le monde le sait, par Xenakis, et c'est vrai que j'ai fait presque en même temps la rencontre de Donatoni, alors que j'avais une vingtaine d'années, mais je ne suis pas un élève de Donatoni. Il a en revanche été un grand ami. Mais c'est vrai aussi que dans les années 60, pour un passionné de musique actuelle, l'Italie représentait quelque chose d'incroyable, avec Berio, Maderna, Bussotti, Donatoni etc
    J'ai passé deux ans à la Villa Médicis, et on ne sort pas indemne de ce pays. Mais ma relation à l'Italie va de la pasta à la musique, elle est générale.

     
    Et avec Peter Mussbach ?

    Tout s'est merveilleusement passé avec Peter Mussbach, qui est une personne que j'adore, et qui surtout a une parfaite connaissance de la musique et un très grand respect pour les musiciens. J'ai eu la chance de vraiment pouvoir réfléchir avec lui, car il est loin de considérer que le compositeur a fini son travail une fois la partition terminée.

     
    Avez-vous eu des difficultés à composer sur un texte somme toute étranger ?

    Je n'ai jamais eu peur de me confronter à des langues étrangères. Nous sommes à l'époque de l'Europe quand même ! Ce qui m'a frappé par contre, c'est qu'on m'a dit qu'apparemment, aucun compositeur français n'avait entrepris ce genre de chose. Je ne sais pas si c'est vrai, il faudrait vérifier plus précisément. Je n'ai pas de justification réelle à donner sur mon choix de mettre de l'italien en musique, si ce n'est mon amour pour le texte de Palazzeschi. Je l'ai découvert en italien, je me suis mis à l'aimer en italien, et le faire traduire aurait lui ôter la moitié de son intérêt. Alors qu'on me la pose très souvent actuellement, pour ma part, je ne me suis même pas poser la question de la traduction. Je n'aurais également sans doute pas été dans les conditions musicales et techniques qui ont été les miennes à la composition.

     
    Vous n'avez pas envie de composer sur des textes français...

    Le français m'intéresse beaucoup moins, peut-être simplement parce que c'est ma langue de tous les jours... La question n'est pas si rare, un ami écrivain me faisait remarquer la même chose sur mon premier opéra, Roméo et Juliette. Transformer en oeuvre d'art la langue que j'utilise pour acheter mon pain, ce n'est pas si évident. J'ai mis longtemps pour m'en rendre compte, mais je me suis finalement rendu compte qu'il avait profondément raison. La musique offre l'avantage de nous immerger dans des passions plutôt obscures, non dites, et une langue étrangère permet peut-être d'installer encore une distance supplémentaire. C'est un peu comme en amour, il faut reculer un peu pour vraiment voir la personne.

     
    Amour, sentiments... Des mots importants et fréquents chez vous.

    Perelà me passionne parce que c'est une sorte de grand essui glace sentimental, de la spiritualité la plus religieuse à la grande gaieté d'un opéra bouffe, en passant par le dramatique et le tragique, avec des détours vers le mélo. Cela m'a permis de synthétiser des éléments que j'avais utilisés dans des partitions spécifiquement dédiées à tel ou tel sentiment. Avec les années, je me rends compte que mon projet est bel et bien expressif. J'attache beaucoup d'importance au don, dans le sens de donner quelque chose. La catégorie des musiciens pédagogues vivant dans leurs spéculations appartient pour moi à une époque révolue, on sait que cela mène à une rhétorique creuse. J'aime quand les gens sont contents au sens « intelligent » de la question, si je puis dire. J'aime pour ma part ce que je ne connais pas, ce qui m'intrigue.

     

    Le 13/03/2003
    Yutha TEP


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