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ENTRETIENS 25 avril 2024

Pierre-Laurent Aimard : de Boulez à Beethoven
© Marco Borggreve

A la fois classique et atypique, célèbre sans être médiatique, Pierre-Laurent Aimard ne fait cependant rien comme les autres : il publie chez Teldec l'intégrale des Concertos de Beethoven sous la baguette d'Harnoncourt, en même temps qu'un disque couplant Ligeti et musiques pygmées. Rencontre.
 

Le 16/04/2003
Propos recueillis par Gérard MANNONI
 



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  • Vous avez, comme Michel Béroff, remporté le Prix Messiaen dès votre sortie du Conservatoire. Béroff saisit l'occasion pour plonger dans la carrière internationale, vous choisissez un chemin plus marginal en entrant comme pianiste à l'Ensemble Intercontemporain. Pourquoi ?

    C'était bien un choix délibéré. J'avais observé ce qui se passait sur le grand circuit international et j'en avais une image très négative. Il me semblait que si on n'était pas immédiatement détruit, on entrait dans le système pour y être manipulé, en fonction d'un comportement stéréotypé, sans vraie liberté de choix. Je voyais trop de gens incapables de faire la moindre proposition personnelle, surtout dans le grand répertoire. Je voulais d'abord continuer ma formation en voyageant. Je suis allé travailler à Londres avec Schnabel, en Hongrie et à Moscou avec différents musiciens pour recueillir le plus de témoignages possibles. Je voulais avoir une activité musicale variée pour éviter de tomber dans le « solisme ». J'avais ensuite un goût naturel pour la musique contemporaine et je voulais faire partie d'un groupe. Entrer à l'Ensemble Intercontemporain répondait à ces deux préoccupations, avec en outre la possibilité de travailler avec Boulez, personnalité qui me fascinait. Je n'ai pas voulu néanmoins m'y engager exclusivement. J'ai négocié un contrat à tiers temps, pensant rester quatre ans, non pas dix huit, mais le répertoire pratiqué s'est révélé très vite beaucoup plus large et diversifié que celui auquel je m'attendais ! Ce contrat me permettait de mener par ailleurs une activité normale de soliste, de chambriste et même d'accompagnateur avec certaines chanteuses comme Jessye Norman, Brigitte Fassbaender ou Felicity Lott à ses débuts. J'estimais me préparer ainsi à « paraître en vitrine » le jour où j'aurais vraiment une proposition intéressante à faire. Si j'ai été classé comme boulezien et contemporain, c'est dû au phénomène français des catégories et des étiquettes et à la force du phénomène Boulez chez nous.

     

    On a longtemps prétendu que jouer la musique contemporaine était dangereux, que cela desséchait la technique, tuait la sensibilité. N'êtes-vous pas l'exemple du contraire ?

    Le problème est plus compliqué que cela. Dans la succession des faits, il y a eu plusieurs techniques, à cause de l'évolution des instruments et des écoles qui engendrent des types de jeu différents. Jouer Mozart - mais est-ce du piano ? -, Liszt ou Bartok relève de technique très différentes. On peut en revanche essayer de trouver une attitude générale englobant tous ces aspects. Ce qui n'empêche pas de rester conscient des différenciations énormes qui existent dans la façon de produire le son, de le faire rayonner. Un cantabile parlant de Mozart n'a rien à voir avec un legato romantique ou une phrase parlée à la Bartok. Il faut gérer des esthétiques très différentes et donc employer des types de technique très différentes, tout en restant dans une attitude globale.

     

    L'enseignement a-t-il toujours pour vous la même importance ?

    Toujours, par goût et parce que la tendance actuelle de le séparer de l'acte professionnel du « showbiz » est une catastrophe. Se dire « dès que j'ai assez de concerts j'arrête l'enseignement » me semble criminel. On aboutit à la situation actuelle, avec des stars très prestigieuses, de super luxe, sans contact avec le réel, jouant toujours la même chose et sans dialogue avec les créateurs. Les vrais problèmes de vieillissements du public, de son éducation, de mise en danger des radios et du scandale de la télévision, de redéfinition de l'enseignement ne sont pas assez posés. C'est une condamnation à terme de notre activité. Il est donc primordial d'inscrire l'enseignement au coeur de tout projet artistique et surtout de ne pas perdre le contact avec les nouvelles générations. Outre ma classe de musique de chambre à Paris, j'ai une classe à Cologne où je m'efforce d'introduire la musique contemporaine, car la plupart des élèves venant de l'Est sont figés dans l'attitude traditionnelle conduisant tout droit à la situation que je dénonce. Ils jouent comme des dieux les grandes pièces du répertoire mais n'ont aucune réflexion sur leur métier, leur époque, leur avenir. Un travail très important est à faire aussi auprès du public pour ne pas tomber définitivement dans une vie musicale ralentie, voire déclinante et de type exclusivement musée. Nous devons trouver des réponses à toutes ces questions et ne pas nous contenter de venir vendre notre marchandise dans les théâtres.

     

    Travailler sur autant de documents ne présente-il pas un risque de brouiller votre sensibilité spontanée

    Grâce au contact que j'ai eu avec beaucoup de créateurs et aussi par nature, ce qui m'intéresse c'est de garder ma réaction propre, de préserver ma réaction première, le reste ne venant qu'enrichir, éventuellement remettre en question, mais une interprétation n'est jamais pour moi une mosaïque d'informations. Quand je l'entends chez quelqu'un, je trouve ça épouvantable. Beethoven est lui-même si libre qu'il nous amène à faire des choix bien tranchés.

     

    Avez-vous l'impression d'avoir apporté une pierre supplémentaire à l'édifice beethovénien ?

    Ce n'est pas mon but et ce n'est pas à moi d'en juger. Si on va vers une oeuvre, on le fait par rapport à soi-même et non pour se situer dans une histoire. A une époque où notre métier est peuplé de techniciens d'une force incroyable, on perd beaucoup la notion du sens dans l'interprétation. Beaucoup d'approches se ressemblent en toute sécurité et sous cet angle là seulement, j'espère me démarquer d'un certain modèle type d'interprétation. Il ne faut pas être terrorisé par le monument social qu'est une oeuvre du grand répertoire. Il faut lui redonner une vie pour que ses forces profondes et originelles vibrent réellement, au-delà de la couche de respectabilité accumulée par les ans. Avant d'être mythique, une partition est vivante et libre.

     

    Enregistrer aujourd'hui les cinq Concertos de Beethoven avec un chef comme Nikolaus Harnoncourt, est-ce un rêve, un aboutissement ?

    C'est à la fois une occasion inattendue et une préoccupation constante. J'ai toujours considéré Beethoven comme fondamental. Je l'ai beaucoup joué et enseigné en musique de chambre, mais l'idée de faire les Concertos était totalement imprévue. J'avais au contraire plutôt évité de les jouer jusqu'à présent, ne les considérant pas comme une priorité. Il était prévu avec Teldec l'enregistrement d'une dizaine de disques assez variés pour illustrer mon activité de concert, possibilité que je considère comme une chance car elle correspond parfaitement à ma démarche. Pour ne pas évoluer uniquement dans un souci d'originalité, je souhaitais mettre au centre de cette série un bloc plus traditionnel. Harnoncourt était le seul chef chez Teldec avec lequel j'avais vraiment envie d'enregistrer et il cherchait un pianiste pour les Concertos, puisqu'il avait déjà gravé les Symphonies et le Concerto pour violon. Nous nous sommes rencontrés et il m'a proposé cette collaboration.

     

    Avez-vous eu d'emblée une approche commune de cet ensemble de partitions ?

    Pas du tout ! Nous sommes de générations très différentes et venons de pays très différents. L'Autriche n'est pas du tout la France. En revanche nos deux natures se sont rencontrées de manière positive et notre relation a fabuleusement marché. Nous étions deux musiciens heureux de partager cette expérience et visant à une unité, à parvenir à une même interprétation, à donner une image commune de l'oeuvre, mais par deux personnalités différentes. Ce n'est pas toujours le cas, ce que je trouve très dérageant. Nous avons fait chacun beaucoup de chemin vers l'autre. Je me suis soigneusement préparé, connaissant très bien son travail, et lui, il a une étonnante capacité d'écoute. Notre interprétation est vraiment le fruit d'une rencontre. Nous avons beaucoup discuté, confronté les éditions, les phrasés, les balances, tous les détails possibles. Nous avons échangé de multiples messages entre Paris et Vienne. Quand nous avons entrepris une tournée de concerts, nous avons minutieusement choisi les cadences, les ornements, mais ce qui dominait était un immense plaisir de jouer, que ce soit en répétition ou en concert. Au départ, j'étais bien sûr plus qu'impressionné, terrorisé, à l'idée d'avoir à imposer certaines de mes idées à une personnalité de cette envergure. Pour me rassurer, je m'étais très solidement préparé en consultant toutes les éditions existantes et en écoutant une cinquantaine de versions discographiques. A ma grande surprise, je me suis trouvé face à quelqu'un de totalement disponible et ouvert, demandant le dialogue, prêt à toute proposition, un vrai partenaire et pas du tout une vedette ni un patriarche au comportement protecteur.

     

    Le 16/04/2003
    Gérard MANNONI


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