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ENTRETIENS 26 avril 2024

Denis Raisin-Dadre, musicien sensuel
© Guy Vivien

Voilà plus de douze ans que Denis Raisin-Dadre et Doulce Mémoire ne cessent de nous surprendre. Son dernier projet bâti autour de la figure de Léonard de Vinci n'échappe pas à cette règle. Rencontre.
 

Le 14/05/2003
Propos recueillis par Yutha TEP
 



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  • L'actualitĂ© d'abord : expliquez-nous votre projet LĂ©onard de Vinci, dont l'enregistrement vient de paraĂ®tre.

    Le projet Vinci est né grâce l'exposition que le Musée du Louvre lui consacre. Il y a une part de Léonard de Vinci qui est musicienne, et qu'on oublie trop souvent. J'avais depuis longtemps cette idée en tête – c'est quand même une figure majeure de la Renaissance –, et d'ailleurs le disque, L'harmonie du monde, va devenir aussi un spectacle, que nous donnerons en septembre au Festival de Picardie. C'est aussi l'occasion pour Doulce Mémoire de travailler sur un répertoire plus ancien que d'habitude, la fin du XVe siècle, et nous n'abordons pas que la musique de cette époque, puisque nous nous intéressons aussi à la danse. Nous avons par exemple intégré une harpe, instrument que l'ensemble n'avait pas utilisé auparavant.

     

    Un projet qui vous tient Ă  coeur donc.

    C'est aussi un moment particulier pour Doulce Mémoire. Nous avons fait des choses drôles, légères, nous avons aussi fait des choses sombres, sérieuses. Nous voulons maintenant aborder un pan, je vais dire, plus intellectuel, grâce à ce Quattrocento qui s'interroge sur le monde et la place de l'homme dans ce monde. Et je suis fasciné par la réponse que ce monde néo-platonicien apporte à ces questions, une réponse éminemment poétique en fait. Nous militons pour une musique Renaissance beaucoup plus claire qu'on ne la pratique en général actuellement. J'ai par exemple choisi des hauts instruments sans prendre de cornet à bouquin, parce que la sonorité du cornet est bien trop douce pour cette période. Une sonorité claire et en même temps âpre, déchirante, voilà la sonorité du Quattrocento, selon moi. En restant modeste, je suis convaincu que les musiciens de Doulce Mémoire sont actuellement ceux qui sont les plus au fait de la pratique des vents Renaissance, Jérémie Papasergio fait un travail remarquable dans ce domaine.

     

    Vous avez beaucoup travaillé autour d'un instrument précis, la lira da broccio

    La lira da broccio était l'instrument de Léonard de Vinci, il est donc omniprésent dans l'enregistrement. On sait peu de choses sur l'instrument : alors qu'on a une iconographie importante (il apparaît par exemple régulièrement entre les mains du roi David ou d'Apollon), on a très peu de musique écrite pour lui. On sait seulement que les musiciens improvisaient avec la lira da broccio, on est en plein dans la supposition et la recherche. C'est en passant par l'expérimentation, et le disque en est une étape, qu'on va réussir à clarifier les choses. Ce qui est sûr, c'est que l'instrument est central dans la culture humaniste italienne du Quattrocento, au même titre que le piano au XIXe siècle. C'est un peu le symbole de la résistance de l'Italie à l'influence franco-flamande.

     

    Chose étonnante, si l'on se souvient de la suprématie italienne à l'ère baroque, qui nous dit en tout cas que l'on connaît finalement mal cette période.

    La Renaissance est une période de dynamisme, de passion de la découverte. On a une vision trop monolithique de cette époque, il reste un énorme travail à faire. De 1480 à 1580, il s'écoule à peu près autant de temps qu'entre Schubert et Stravinski ! Il faut dire que la musique italienne de cette période a été un peu occultée par l'explosion des arts figuratifs des Michelange, Léonard de Vinci ou Botticelli, tout simplement parce qu'elle n'a pas été supportée par des grandes figures emblématiques. On oublie que c'est à ce moment que naît le mouvement qui donnera naissance à la Camerata Bardi puis à Monteverdi. En fait, à la cour de Laurent le Magnifique, on se posait déjà les questions que se poseront les compositeurs du comte Bardi : comment restituer le chant ancien ? On a l'impression qu'il y a un décalage entre les humanistes, très novateurs, très en avance, d'une part, et les musiciens d'autre part. Les humanistes voulaient retrouver le chant d'Orphée, et la polyphonie franco-flamande ne leur convenait pas. Cette quête mettra plus d'un siècle à déboucher !

     

    Comment faisait-on de la musique dans ces cercles ?

    Les humanistes récitaient des poèmes en s'accompagnant, ce qui est tout à fait les prémices de la basse continue ! L'expérimentation nous le dit, ils s'accompagnaient sans doute en utilisant des formules répétitives sur lesquelles ils pouvaient appliquer des mètres poétiques, et qui engendrent sans doute par la suite les basses obstinées du type la basse de Ruggiero (le nom est d'ailleurs intéressant). Il semble d'ailleurs que Monteverdi ait travaillé avec des artistes qui étaient des comédiens avant d'être vraiment des chanteurs. Monteverdi n'a pas surgi du néant, avant lui il y a eu tout un mouvement séculaire dans lequel s'inscrit Léonard de Vinci.

     

    Quel est précisément le rôle de Vinci dans cette nébuleuse poétique-musicale ?

    Une chose ne trompe pas, un sondage a montré que Léonard de Vinci était la figure emblématique que le grand public considérait comme emblématique de l'Europe. Il y a aussi Erasme. Nos politiques devraient réfléchir à cela, car un tel fait traduit bien le dynamisme de la Renaissance dans l'élaboration d'une certaine Europe. Vinci est allé à Milan pour organiser la Fête du Paradis de 1490, l'une de ces fêtes humanistes qui s'organisaient autour des personnages d'Apollon ou d'Orphée, toujours représentés avec la lira dans les mains. En réalité, il y a deux symboles, un instrument, la lira, nous l'avons dit, et un personnage, Orphée. Ils sont au coeur de la croyance que la Renaissance a en la musique et en ses pouvoirs sur l'âme, la santé, la pensée etc... Tout cela est bien sûr très lié au néo-platonicisme et à l'harmonie du monde. Le monde est harmonie, il est composé de musique. Sur terre, le musicien doit se mettre en résonance avec cette musique. Au passage, si la musique est écho du monde, cela en dit long sur l'état du monde actuel

     

    Vous avez beaucoup d'affection pour une veine un peu plus populaire de la musique Renaissance.

    Je suis depuis toujours convaincu de ces ponts entre culture savante et culture populaire. Il n'y a qu'à considérer l'usage que les Franco-flamands, Josquin Desprez en tête, faisaient des thèmes profanes qu'ils entendaient dans la rue ou ailleurs, et ça va loin car quand on a une messe qui s'appelle la Messe L'Ami Baudichon... Au passage, les Franco-flamands ont forcément été influencés par ce qu'ils entendaient en Italie, il est impossible qu'ils aient été indifférents.

     

    A vous entendre, on a l'impression d'une musique très intellectuelle, ce qui n'est pas le cas.

    Il faut trouver un équilibre entre un projet pensé, réfléchi, et une manière de faire la musique vivante, c'est en réalité le fameux équilibre entre Apollon et Dionysos. J'aime tout autant le plaisir de la recherche que la jouissance dionysiaque qu'on retrouve d'ailleurs dans mon nom
    La musique est un art sensuel avant tout, il faut qu'il y ait une jouissance, seule la préparation est intellectuelle.

    Vient de paraître :
    Léonard de Vinci, L'Harmonie du monde – Naïve-Asrée 8883


    Prochains concerts :
    19 mai : Auditorium du Musée du Louvre (Paris) Leonardo da Vinci, création - Renseignements : 01 40 20 52 90
    23 mai : Dreux (28) Requiem des Rois de France
    30 mai : Festival de Sully (45) Grande fête médicéenne, création - Renseignements : 02 38 36 29 46 ou 0 800 452 818
    7 juin : Festival de Maguelone (34) - Le Banquet Musical, musiques de fĂŞte pour bals et banquets - Renseignements : 04 67 66 65 34
    21/22 juin : Prieuré Saint-Cosme (37)
    Musiques pour vents et violons, création - Renseignements : 02 47 37 32 70

     

    Le 14/05/2003
    Yutha TEP


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