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ENTRETIENS 26 avril 2024

Frank Braley : le choix de la musique
© Roque d

Il jouait en récital le 12 mai aux Bouffes du Nord. Frank Braley est un pianiste qui attire, qui passionne et ne déçoit jamais. Car pour lui, la musique est avant tout un choix et un plaisir, qu'il partage avec les autres, nous ou ses partenaires. Rencontre avec un artiste surdoué au parcours inhabituel.
 

Le 19/05/2003
Propos recueillis par Gérard Mannoni
 



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  • Des débuts tardifs

    Sa biographie mentionne qu'ayant commencé le piano à quatre ans, « il donnait six ans plus tard son premier concert en soliste avec l'Orchestre Philharmonique de Radio France ». De cela Frank Braley ne vous parle pas. Il dit que ses vrais débuts sont plus tardifs. On sait d'emblée qu'avec lui, la vantardise ou l'autosatisfaction ne seront pas de mise. Le regard direct, le timbre grave et bien frappé, le cheveux long juste assez pour être romantique et pour encadrer l'ovale du visage, le petit bouc à la mode, il a encore des allures sympathiques d'étudiant plus que de bête de scène.

    D'ailleurs, étudiant, il l'a été aussi, en sciences: « D'une certaine manière, j'ai eu la chance de ne pas être jeté dans la musique professionnelle trop tôt. Je me suis présenté deux fois au Conservatoire de Paris. La première fois, j'avais onze ans et la deuxième dix-huit. Voilà ! Je considère bien comme une chance de ne pas y être entré du premier coup. L'idée que je puisse intégrer un cycle scolaire spécialisé était dans l'air, pour pouvoir faire six heures de piano par jour. Ça arrive à beaucoup d'enfants un peu ou très doués. On décide pour eux qu'ils seront forcément un nouvel Horowitz. Dans mon esprit, c'était une sorte de cauchemar. Je me voyais dans un ghetto avec des petits singes savants. J'avais croisé des petits musiciens dans des concours et je n'avais aucune envie de me retrouver avec eux ». Il a donc prévenu ses parents que si c'était leurs projets, il arrêtait carrément la musique. Heureusement, ils n'avaient aucune intention de l'obliger : « Ils étaient même plutôt contents que je veuille poursuivre une scolarité normale. A cet âge, on n'a aucune idée exacte de ce qu'est la vie de musicien, et je trouve vraiment dangereux de s'y engager aveuglément, d'autant que nos carrières ne sont pas comme celles des sportifs, elles sont longues ! De toute façon, je voulais alors plutôt devenir physicien que musicien.»

     

    Premier Grand Prix au Concours Reine Elisabeth de Belgique

    Etudiant en fac, il se dit quand même un jour que s'il veut être pianiste, c'est le moment où jamais de se donner quelques objectifs, de s'imposer quelques tests : « Comme au poker. Tapis et on voit ce que ça donne ! Un peu présomptueux, j'ai commencé par me représenter au Conservatoire. Si j'étais recalé à dix-huit ans, je pouvais rester à la fac et faire autre chose. Cette fois, j'y suis entré. Ça s'est bien passé et en troisième cycle, j'ai fait le même pari avec les concours internationaux. Si au bout de quatre ou cinq je n'obtiens rien, je retourne en fac. J'avais eu mon bac assez jeune et je ne serais guère en retard par rapport à beaucoup d'autres. » Le test était bon. Un Premier Grand Prix au Concours Reine Elisabeth de Belgique le convainc enfin, ou presque, que la carrière est sans doute pour lui. « J'ai encore douté un certain temps car je ne me suis pas senti bien tout de suite dans cette nouvelle vie. Quand on passe de trois concerts par an à soixante, c'est plutôt violent et il faut rester debout. Petit à petit, j'ai appris à aimer çà et je trouve aujourd'hui que j'ai eu vraiment de la chance de recevoir les bonnes réponses au moment où j'avais choisi de poser les questions ».

    Toujours étudiant au Conservatoire, il se trouvait donc soudain face à des responsabilités dures à assumer : « J'avais un répertoire qui n'était pas immense, une expérience de concert extrêmement faible. Je jouais surtout en musique de chambre avec des camarades. Je n'avais quasiment jamais joué avec orchestre et jamais donné de récital. Le choc a donc été violent. Au bout d'un an et demi, j'ai arrêté deux mois pour me retrouver, et puis tout s'est remis en route. Mais c'était vraiment là que ça commençait. Un concours, çà vous ouvre des portes, mais si au bout d'un an on a fait trop de mauvais concerts, il vaut mieux songer à autre chose. J'ai dû monter beaucoup de répertoire, sept ou huit concertos nouveaux à monter chaque année et puis trouver mon rythme propre. Certains d'entre nous sont faits pour monter sur scène cent cinquante fois par an, d'autres une fois par semaine. »

     

    Difficile acceptation des contraintes de la carrière professionnelle

    Passer du stade d'amateur très doué, mais habitué à travailler à son rythme, à faire du sport, à celui de grand professionnel dont attend beaucoup et qui doit se plier aux règles de ce qui est devenu un métier, ne fut pas si facile pour Frank Braley. Pris dans ce moule, il lui avait fallu d'abord retrouver le vrai plaisir de jouer : « Quand j'ai eu pris mes marques, que j'ai pu me remettre à faire de la musique de chambre que j'adorais, alors j'ai vraiment commencé à apprivoiser cette vie-là et à l'aimer, même si je gardais un peu la nostalgie de l'Université et de son côté intellectuellement stimulant. Il avait fallu que je retrouve en moi la fibre de l'amateur, au sens noble du terme, quitte à limiter le nombre de concerts, pour reprendre une distance par rapport à la musique, par rapport à l'instrument. J'ai toujours su que si je perds çà, je perds toutes mes qualités. Si j'ai certaines qualités, elles reposent sur un appétit, un naturel, une liberté par rapport à la musique. Il faut que j'aie vraiment envie. Ce qui m'a sauvé et qui me sauve encore, ce sont les livres. Je pouvais tout oublier en partant en tournée, mon frac, ma brosse à dents, mes partitions, mais jamais je ne partais sans plusieurs livres. C'est ça qui me tenait en éveil, me nourrissait».

     
    Un ennemi des effets faciles

    Avec ces années d'apprentissage hors normes, cette lucidité et cette honnêteté permanentes, une vive intelligence aussi, Frank Braley est parvenu à se forger, certainement sans le vouloir de manière précise, l'image d'un vrai musicien au répertoire ennemi des effets faciles, des grandes démonstrations qui font frémir les foules. Un romantique de la première heure, à la Beethoven et à la Schubert, ceux qu'on ne se lasse pas d'écouter: « C'est vrai que je me sens beaucoup plus en phase pour l'instant avec les concertos de Beethoven, ses sonates ou celles de Schubert qu'avec les Etudes transcendantes de Liszt. Pourtant, j'aimerais bien un jour donner un récital de « pièces injouables ». J'ai gagné le Concours Reine Elisabeth avec un concerto de Beethoven. Ça ne s'était jamais vu, mais ça m'a évité d'être mis dans une catégorie « grand virtuose » ou « musique française » par exemple. Je n'avais présenté que des musiques que j'avais envie de jouer : Schubert, Mozart, Beethoven, sans penser en termes de concours. Ensuite, j'ai continué, en me disant que si c'était ce que j'aimais faire, c'était ce que je ferais le mieux. Très peu de temps après le concours, René Martin m'a invité pour un récital Chopin à La Roque d'Anthéron. C'était prestigieux, mais j'ai refusé parce que je ne jouais pas de Chopin. On m'a dit que j'étais fou, mais j'ai été réinvité l'année d'après et depuis, j'y vais quasiment tous les ans. Je me suis toujours cantonné aux musiques dans lesquelles je me sens bien. Quand j'ai enregistré la sonate et les pièces de Richard Strauss, j'étais alors amoureux de sa musique. Après avoir travaillé par plaisir toutes les transcriptions possibles, il n'y avait, outre la Burlesque, que ces pages vraiment pour le piano. C'est déjà assez difficile de jouer pour ne pas s'y risquer avec des oeuvres où l'on ne sent pas bien. Et c'est pareil en musique de chambre : quand on a trouvé des partenaires avec lesquelles on se sent bien, pourquoi en changer ou en chercher d'autres ?».


    Dans les semaines et les mois qui viennent, on le retrouvera effectivement souvent avec Renaud et Gauthier Capuçon par exemple, mais aussi dans des récitals où il jouera Debussy, Liszt, Ravel, avec également des incursions de plus en plus fréquentes dans le domaine de la musique contemporaine, qu'il souhaite dorénavant explorer plus à fond. Avec sa capacité de réflexion, la sensibilité tellement subtile et fine que ses interprétations révèlent, son sens de la communication et, une fois encore, une intelligence brillante que beaucoup de musiciens pourraient lui envier, Frank Braley rassure. Il est de la race de ceux qui savent faire vivre et aimer la musique avant de songer à exhiber leur ego. Il n'a pas fini de nous entraîner dans un passionnant voyage émotionnel, inattendu, toujours stimulant.

     
    Parmi ses prochains concerts :

    - le 6 juin : Festival de Sully-sur-Loire
    - le 9 juillet : Festival de Radio-France Montpellier
    - le 5 août : Festival du Périgord Noir
    - le 29 août : Serres d'Auteuil.

     
    Discographie chez Harmonia Mundi :

    - Franz Schubert : Sonate pour piano D.959 - Klavierstücke n°1, 2 et 3 D.946 CD HMN 911546
    - Ludwig van Beethoven : Sonates pour piano « Clair de lune », « Appassionata » et op.110 CD HMC 901750
    - Richard Strauss : Sonate pour piano op.5 – 5 Klavierstücke op.3, Stimmungsbilder op.9 CD HMC 901642

     

    Le 19/05/2003
    Gérard Mannoni


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