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ENTRETIENS 24 avril 2024

Renaud Capuçon, violoniste insatiable

Avec une superbe Carte Blanche à Sully et un concert mémorable à Saint-Denis, Renaud Capuçon a attaqué de manière fulgurante l'été des festivals. L'occasion aussi de faire le point sur sa jeune carrière, marquée ces derniers temps par ses apparitions de plus en plus fréquentes aux côtés de son frère violoncelliste, Gautier.
 

Le 17/06/2003
Propos recueillis par Yutha TEP
 



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  • Pensez-vous, comme certains de vos collègues, que la trentaine est un âge critique pour un artiste au dĂ©but de carrière aussi foudroyant ?

    J'ai 27 ans, et je ne sens absolument pas poindre une quelconque crise de la trentaine ! D'abord, le répertoire est immense, ne serait-ce que dans le répertoire contemporain. Et je pense qu'il est impossible, vu le nombre des salles ou des lieux, il y a tellement de combinaisons possibles qu'on ne peut pas stagner. Même si l'on joue chaque année avec le même orchestre, il peut tout à fait s'agir d'un autre chef. Donc, il s'agit chaque fois une nouvelle aventure. Evidemment, on peut avoir des moments de doute, d'interrogation, mais je n'ai pas peur d'une crise, même si je suis préparé à ces éventualités.

     

    Vous vivez parfaitement votre succès ?

    Parfaitement, même si on a tendance à trouver que j'en fais parfois trop. Chacun de mes engagements est mûrement pensé en collaboration avec mon agent et l'organisateur, en fonction de mon planing et de mes propres programmes. Il y a trois ou quatre ans, il y avait peut-être une plus grande boulimie, je croquais la vie de tous les côtés, mais cela correspondait à ma personnalité : cela n'a pas vraiment changé, j'y ajoute cependant un peu plus de recul et d'organisation. Quand on choisit un concerto ou un programme de musique de chambre, on essaie de le faire un peu plus tourner.

     

    Dans quel cadre s'est alors inscrite votre Carte Blanche au Festival de Sully ?

    C'était vraiment quelque chose qui me tenait à coeur. Quand Didier Bidault m'a proposé cela, j'ai tout de suite pensé aux personnes qui m'étaient proches, mon frère Gautier ou Frank Braley, ou encore les deux filles qui forment avec Gautier et moi le Quatuor Capuçon, sans oublier Paul Meyer. Paul commence à diriger de façon très soutenue maintenant, et j'ai pensé que c'était une bonne occasion de lui donner un coup de pouce. C'est vraiment intéressant de faire une telle programmation. Je savais par exemple que Frank jouait merveilleusement les concertos de Mozart, j'ai dû penser à un orchestre comme le Sinfonia Varsovia etc

     

    Un exemple aussi des changements qui se sont produits dans votre carrière ?

    Oui. Le changement de cap s'est entre autres traduit par la proportion entre les grands concertos et la musique de chambre, qui s'est inversée. Disons que je fais maintenant 70% de concertos et 30% de musique de chambre. Cela oblige, je dirais, à plus d'organisation et de recul. J'essaie de concentrer la musique de chambre plutôt en été, lors des festivals notamment, et de me fixer sur deux ou trois projets ; cette année, il y a eu la tournée en trio avec Gautier et Frank Braley, avec un programme autour de Schubert, Chostakovitch et Ravel, l'année prochaine ce sera les trios de Brahms toujours avec mon frère mais cette fois avec Nicholas Angelich au piano. Nous avons toujours le même plaisir de jouer ensemble, mais avec une meilleure organisation. Une répétition de quatuor ou de trio, entre deux voyages à l'étranger, c'est presque une nécessité, une manière de me ressourcer à travers un vrai travail de fond, d'artisan.

     

    Avec des préférences, par exemple, pour un groupe de « fidèles » ?

    Naturellement. Je joue le plus souvent avec un noyau constitué de mon frère Gauthier, de pianistes comme Frank ou Nicholas, et nous avons aussi eu le plaisir de jouer avec Martha Argerich. Gautier et moi avons la chance d'avoir trouvé une vraie base sonore qui nous donne le luxe de pouvoir changer de pianiste : c'est beaucoup plus difficile de changer de violoniste ou de violoncelliste ! Il y a aussi le quatuor à cordes que nous avons constitué avec Béatrice Muthelet au violon et Aki Saulière à l'alto ; en fait, c'est un domaine que nous connaissons peu encore, nous l'expérimentons dans des lieux moins connus. J'ai rencontré Béatrice et Aki il y a longtemps, respectivement en 1992 et 1995. En réalité, je n'avais pas envie de me dire soudainement, arrivé à l'âge de 55 ou 60 ans, que j'avais raté le domaine du quatuor à cordes. C'est une formation qui demande un vrai travail en profondeur, et j'ai eu envie de former un quatuor sur le modèle du Quatuor Zehetmaier, ou comme Ysaïe ou Bush en leur temps, de faire un programme par an, éventuellement en quintette avec clarinette par exemple. Nous aurons ainsi dix quatuors à notre répertoire en dix ans.

     

    Cela implique un choix minutieux de vos engagements : vous est-il arrivé d'en refuser ?

    Oui. Ce serait prétentieux de dire que c'est à cause d'un trop grand nombre de propositions, c'est tout simplement qu'à partir du moment où vous avez une ligne directrice, il y a forcément des choses que vous refusez parce que vous voulez accepter des choses que vous voulez faire au mieux. Il y a quatre ans, j'ai refusé de jouer le Premier Concerto de Paganini ; je pense que si j'avais accepté Paganini pour ne pas perdre le concert, j'aurais essuyé un retour de bâton très peu de temps après, il faut vraiment faire les choses en leur temps.

     

    Et pourtant, malgré ces décisions, on a l'impression d'une grande diversité dans votre répertoire.

    C'est vrai. Mais j'entretiens aussi une grande diversité dans ma discographie, et elle correspond vraiment à ce que je joue au concert. De la même manière, si on me demande maintenant d'enregistrer le Premier de Paganini, je dirais non. Cela ne veut pas dire que je n'aime pas Paganini, puisque je joue le Quatrième Concerto l'année prochaine. Je jouerais le Premier dans cinq ans peut-être, mais je ne me sens pas préparé pour le faire maintenant. Je ne joue pas non plus le Concerto de Bartok, parce que je ne me sens pas encore assez familier avec son langage. J'ai mis beaucoup de temps pour jouer la Chaconne de Bach, et je me lance seulement l'année prochaine, à l'étranger, dans mon premier grand récital au violon seul, avec Bach, Ysaïe et Berio-Bach.

     

    Cela correspond-il aussi à une certaine recherche de sonorité ?

    J'ai parfois l'impression qu'on me colle une image qui est plus lisse que dans la réalité. En même temps, je ne privilégie pas le rugueux, je me revendique clairement des Grumiaux, Milstein ou Ferras au niveau de la couleur du son, sans vouloir jouer les prétentieux. Je suis bien sûr allé vers le rugueux : j'ai joué la deuxième Sonate de Bartok récemment et pour moi, cela a été un réel effort. C'est une question de culture musicale. J'ai écouté mes premiers concerts très jeunes, et c'était de la musique de chambre : c'est ce qui m'a donné le goût de la musique de chambre.

     

    Vous êtes-vous essayé, à l'image d'un Vengerov, aux cordes en boyau ?

    Absolument. Je m'y intéresse beaucoup en premier lieu parce que je pense que c'est une nécessité. La première fois que j'ai pris un archet baroque, c'était au Conservatoire, j'avais 16 ans, je croyais tout savoir et tout connaître : j'ai trouvé cela ridicule. Mais quand Jaap Schröder m'a dit d'essayer son archet, de manière incroyable toutes les questions que je me posais pour les divisions d'archet se sont éclairées. C'était comme si on avait mis une disquette dans un ordinateur, et que mon bras se trouvait totalement télécommandé ! Les places d'archet deviennent complètement définies, la forme de l'archet fait que ça devient naturel, on ne se pose plus de question. J'étais sans doute encore trop jeune pour en tirer les conséquences, mais il y a eu quand même un déclic, et j'aimerais poursuivre plus tard. J'ai fait il y a peu les sonates de Bach en jouant la fin sur instrument et archet baroques, c'est devenu difficile pour moi de jouer Bach avec un violon et un archet modernes, car je me sens un peu entre deux mondes. Attention, je ne veux pas dire qu'on ne peut pas jouer Bach sur un violon moderne, ou qu'on joue forcément bien à partir du moment où on utilise un instrument ancien : il y a des bons et des mauvais musiciens partout ! Mais on ne peut pas ignorer ce qu'ont fait Kuijken, Harnoncourt ou Leonhardt.

     

    Une expérience récente en concert ?

    Il n'y a pas longtemps, j'ai joué avec l'Orchestre de Chambre de Bâle sous la direction de Giovanni Antonini, le chef du Giardino Armonico. En fait, on a joué les concertos de Mozart et Haydn, on a dû remettre à plat le jeu de l'orchestre ! Il aurait fallu une bonne semaine pour réanalyser avec Giovanni chaque phrase etc
    C'était vraiment passionnant. On n'a pas pu aller au fond des choses parce qu'il s'agissait d'un orchestre moderne. Avec sa formation, on serait allé beaucoup plus loin. Je me considère comme une personne ouverte, je me préoccupe assez peu des modes. Les baroqueux ont défriché le terrain, il y a maintenant un matériau impressionnant. Le seul problème qui se pose réellement, c'est la taille de la salle, parce qu'un instrument baroque ne peut pas remplir toutes les salles, c'est de toute façon un répertoire qui est souvent prévu pour une petite salle, voire un salon.

     

    Cela annonce-t-il une plus grande place de la musique ancienne dans vos programmes ?

    Mon répertoire reste majoritairement romantique, je ne me suis pas vraiment lancé dans le répertoire plus ancien pour les raisons que j'ai évoquées. Mais je pense que lorsque j'aurais investi beaucoup de temps pour jouer les sonates de Bach, mon répertoire s'ouvrira de façon significative, mais je ne me sens pas encore prêt pour cela.

     

    Et la musique contemporaine ?

    J'ai toujours trouvé que je ne connaissais pas assez bien les divers courants de la musique contemporaine. Je sais cependant que je suis réceptif à une musique, qui me parle plus ou moins, quelle que soit l'école à laquelle elle appartient. Mes choix peuvent paraître du coup hétéroclites. Je voue une grande passion pour la musique d'Henri Dutilleux, j'ai adoré jouer le Concerto de Rihm, j'adore aussi le Concerto de Saariaho – dont j'ai entendu aussi l'Amour de loin, qui m'a mis dans un tel état que j'ai pleuré rarement pendant un concert, j'avais l'impression d'entendre un nouveau Pelléas. Eric Tanguy m'a écrit un concerto, et il a aussi fait un duo pour Gauthier et moi. J'aimerais jouer aussi Thierry Escaich, je ne lui en ai pas encore parlé mais je voudrais vraiment travailler avec lui. Lui et Tanguy sont de deux esthétiques bien différentes, mais cela ne m'empêche pas d'aimer les deux. J'ai aussi un projet avec Thierry Lancino. Mais il y en a plein d'autres : Saariaho, Magnus Lindberg, Esa Pekka-Salonen etc

     


    Concerts Ă  venir :
    18 au 21 juin : Festival de Jérusalem - Prokoviev, Concerto n°2
    11 juillet : Nuits musicales en Vendée romane - avec Frank Braley & Gautier Capuçon - Chostakovitch, Ravel, Schubert
    14 au 24 juillet : Tournée avec l'Orchestre des Pays de Savoie, Philippe Bernold, direction – Mozart, Concerto n°5
    3 au 5 août : Festival du Périgord Noir, "Carte Blanche à Renaud Capuçon"
    24 août : Festival Berlioz de la Côte Saint-André – avec Frank Braley & Gautier Capuçon
    30 août : Festival de Sceaux - avec Gérard Caussé & Gautier Capuçon – Bach

     

    Le 17/06/2003
    Yutha TEP


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