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ENTRETIENS 26 avril 2024

A la recherche d'une pratique inter-arts

Le jeune pianiste et chef d'orchestre Frank Madlener a pris pour trois ans les rênes d'un des piliers de la création contemporaine en France, le festival Musica de Strasbourg. Portrait d'un directeur de trente-trois ans qui prône un rapprochement entre les arts.
 

Le 02/10/2003
Propos recueillis par Gérard MANNONI
 



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  • Vous êtes cette année directeur artistique de Musica, aux côtés de Jean-Dominique Marco, directeur général. On vous connaît encore assez mal en France. Quel cursus vous a mené, à trente trois ans, sur ce poste de premier plan ?

    Je suis musicien de formation, pianiste et chef d'orchestre. J'ai beaucoup travaillé comme chef dans le monde l'opéra, mais j'ai toujours été aussi intéressé par l'idée d'aller au-delà de la simple exécution de ce répertoire que j'adore. Je viens d'une famille de peintres et de littéraires avec un intérêt permanent pour le rapport entre les arts, mais pas dans l'idée actuellement très à la mode qui consiste à faire faire des claquettes à un peintre. Je crois au contraire qu'il y a des frontières entre les arts, ce qui les rend encore plus intéressants. J'ai toujours eu aussi un intérêt profond pour le cinéma. Si vous voulez expliquer à un élève de conservatoire ce qu'est le contrepoint ou l'harmonie, c'est très complexe. Mais si vous allez voir un film de Cocteau où l'ordre sonore et l'ordre visuel ne se doublent jamais, vous avez l'exemple visuel de ce qu'est le contrepoint.

    A Bruxelles, à Berlin et à Prague où j'étudiais, j'ai très tôt proposé de produire des séries de concerts où des écrivains concernés par la musique inventaient un fil conducteur et écrivaient un texte, pour changer la formulation traditionnelle du concert. Je devais monter intégralement ces opérations, chercher les gens, les fonds, créér les lumières. Malgré leur côté un peu bricolé, ces expériences se sont révélées positives et m'ont mené à la European Mozart Foundation qu'Alain Coblence a lancée à Budapest, Cracovie et Prague, sur le projet Zaïde, où l'oeuvre de Mozart était poursuivie par Berio. Un projet un peu difficile mais qui fut le point de départ de ma rencontre avec la musique contemporaine, toujours en relation avec la musique du passé. J'ai ensuite posé ma candidature à la direction d'Ars Musica à Buxelles, un peu le petit frère de Musica, ce qui m'a conduit ensuite ici. A Ars Musica cinq années de suite, avec très peu de moyens, j'ai programmé une série de manifestations sur le rapport entre cinéma et musique, comment est fait un film, comment est faite une partition. C'était passionnant. On l'a fait aussi avec l'architecture et la musique.

     

    Un concert comme celui du samedi 27 septembre où onze groupes de musiciens étaient répartis autour de la salle du Palais de la Musique est-il une image de ce vous imaginiez en voulant changer les rites traditionnels ?

    C'est une version luxueuse de ce que l'on peut tenter de faire car il faut de vrais moyens et du temps pour installer ainsi de praticables partout dans un lieu aussi vaste, avec tout l'appareillage de sonorisation et d'éclairage nécessaire ! Mais j'aime effectivement, même de manière plus simple, cette idée de varier les plateaux, avec des groupes d'instruments divers alternant avec un piano ou un soliste vocal.

     

    Comment se divise à Musica le travail entre Jean-Dominique Marco et vous ?

    A l'intérieur d'un cadre budgétaire et structurel donné, le contenu de la programmation dans le domaine du choix des compositeurs et des formes peut évoluer. C'est mon rôle ici, de proposer Stockhausen qui n'est pas venu depuis longtemps ou Beat Furrer que l'on ne connaît pas en France, pas simplement pour alterner, mais parce qu'ils ont une réelle valeur. Dans cette logique, tout se fait ensuite en discutant entre nous. C'est bien, car ça oblige à trouver des arguments. Jean-Dominique voulait aussi pouvoir travailler plus en amont, comme dans le monde de l'opéra et c'est pourquoi j'ai été nommé pour trois ans. Pour monter de grands projets, on doit avoir ce recul. Comme j'ai la passion de voyager pour aller entendre ce que l'on n'entend pas chez nous, je peux apporter ici le résultat de ces expériences.

     

    Devant la diversité actuelle de la création musicale, essayez-vous de mettre en valeur dans votre programmation une ligne particulière, une direction, une esthétique ?

    Le mot d'esthétique ne me paraît pas adéquat car trop réducteur. Monter la programmation d'un festival, je vois beaucoup plus cela comme un travail de galeriste, en donnant un éclairage sur la richesse du chaos contemporain. En outre, il est important de mettre en relation des oeuvres, de mettre ensemble ce qui est d'habitude séparé. Mettre en exergue le nom de Stockhausen n'avait pas pour but de lui rendre un hommage de plus pour ses soixante-quinze ans, mais de dire que dans les années cinquante, soixante, soixante-dix, il avait une ivresse du neuf, du nouveau, et de se demander qui, aujourd'hui, pourrait reprendre cette idée : comment trouver un style, un langage.

    A partir de là des oeuvres sont apparues. The Voynich Cipher Manuscript de Hanspeter Kyburz que l'on a entendu hier est une sorte de réponse très nerveuse et très active à ce que faisait Stockhausen. Le 4 octobre, dans le même esprit, on met face à face Carré de Stockhausen et Malstrom de Kyburz. C'est un fil conducteur entre oeuvres. Ensuite, ce qui m'a passionné, c'est le rapport avec les voix. Quand un compositeur dit « Je commence », il affronte la voix, immanquablement. C'est le cas de Pesson, de Lachenmann, de Kyburz, de Beat Furrer. Enfin, je voulais pouvoir ouvrir le champ. On connaît bien chez nous Sciarrino, mais pas du tout Beat Furrer qui n'en est pas si loin. Nous le présentons cette année. Je voulais également renouveler les interprètes, en invitant le Quatuor Diotima, les Neue Vocalist de Stuttgart, l'Orchestre de Birmingham, qui viennent pour la première fois.

     

    Comptez-vous accompagner vos compositeurs sur plusieurs années ?

    Même si nous donnons cette année une dizaine d'oeuvres de Kyburz par exemple, il faudra certainement continuer à l'accompagner car il est très évolutif, tout gardant le principe d'une grande ouverture sur tous ceux qui révèlent un vrai langage musical, même en devenir.

     

    Voyez-vous une direction générale dans la création contemporaine ?

    C'est difficile à dire. Je vois plutôt des individualités. Ce qui est perdu, c'est l'idée communautaire, le modèle Darmstadt. Les gens sont beaucoup plus isolés, malgré les liens avec le monde fourni par l'ordinateur. La direction générale est imprévisible, car personne ne s'endort sur un style pour se forger une marque de fabrique. On bouge, on évolue très vite, en permanence.

     

    Y a-t-il des lieux, des pays privilégiés dans le domaine de la création?

    A l'Est, ça ne bouge pas beaucoup. On est toujours un peu sur les modèles de Chostakovitch ou Arvo Pärt. Aux Etats-Unis, je trouve intéressant le cas John Adams, mais tout le monde est très isolé. La Finlande est en revanche un pays passionnant où le contemporain et le classique sont totalement mêlés. Je crois beaucoup aux zones frontalières, comme ici, ou en Belgique. Elles sont toujours très riches. En France, on a des outils et des structures formidables, mais très lents à bouger, ce qui pousse aussi au développement d'individualités. Berlin est pour moi une ville bouillonnante en ce moment, une sorte de sentier ouvert, avec un ferment exceptionnel qui se manifeste aussi dans le domaine du théâtre, ce qui est toujours un signe.

     

    Le 02/10/2003
    Gérard MANNONI


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