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ENTRETIENS 29 mars 2024

Magdalena Kozena, le chant en liberté
© Kasskara DGG

Une Cléopâtre de Giulio Cesare surprenante, un disque d'airs d'opéras français du XIXe siècle tout aussi insolite. Après une ascension fulgurante, Magdalena Kozena déploie une assurance que lui permet une voix caméléon. Rencontre avec une chanteuse dont le tempérament n'a d'égal que la soif de découverte.
 

Le 18/10/2003
Propos recueillis par Yutha TEP
 



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  • Après les airs d'opĂ©ras français et ClĂ©opâtre de Giulio Cesare au disque, vous n'avez pas peur que l'on s'interroge sur votre tessiture rĂ©elle ?

    Je trouve un peu étrange que les gens aient envie de tout mettre dans des petites boîtes. Mais je reconnais que ma voix est plus aiguë qu'il y a quelques années. Je ne suis plus réellement une alto, tout varie en fonction des partitions. Vous savez, à l'époque d'un Mozart par exemple, les partitions ne spécifiaient pas noir sur blanc s'il fallait une voix de mezzo ou d'alto ! C'est la période romantique qui a apporté plus de précision dans ce domaine. Evidemment, avant d'accepter une proposition, je dois faire attention au tempérament du rôle, à la couleur de la voix demandée etc... Pour certains rôles, il faut que l'instrumentation soit plus légère que d'habitude, et beaucoup de choses dépendent du chef : c'est mieux si lui et moi partageons la même vision de la musique.

     
    Expliquez-nous la genèse de votre disque français.

    Au départ, j'avais envie d'enregistrer un disque de mélodies françaises avec orchestre, Ravel notamment. Puis nous nous sommes dit que des airs d'opéra seraient peut-être plus «vendeurs», que ce n'était peut-être pas une mauvaise idée d'enregistrer des airs rares en même temps que des airs célèbres. J'avais moi-même tellement de partitions, je ne finissais par ne plus savoir quoi décider car la musique est magnifique, et tout m'attirait. On a fini, Marc et moi, par trouver des compromis.

     

    Vous ĂŞtes satisfaite de cet enregistrement ?

    Le disque d'airs français a été pour moi une formidable expérimentation, en premier lieu parce que je n'avais pas beaucoup chanté ce répertoire auparavant. Je suis bien sûr très contente que cela ait marché, surtout que nous n'avons eu qu'une semaine de repos entre le Jules César et ce disque ! Mais il ne faut pas non plus se précipiter, a priori je ne vais pas souvent chanter cette musique dans le futur proche, même si je l'adore. J'aurais plutôt tendance à aller vers le xxe siècle : à Prague, par exemple, je viens de faire Shéhérazade de Ravel.

     

    D'autres incursions dans cette musique ?

    Pour le répertoire français, j'aimerais vraiment rechanter Mélisande. Il y a aussi l'Heure espagnole et Cendrillon. Evidemment, le rêve de tout mezzo – peut-être absurde, me direz-vous –, c'est Carmen. Mais ça, je ne le ferais pour l'instant qu'avec Marc, dans une salle pas trop grande, bref pas l'Opéra Bastille. La taille de la salle est capitale, et puis il faut aussi surmonter les a priori des spectateurs dans ce rôle : on s'est habitué à une voix lourde, un peu vulgaire, poitrînant à l'excès. Je pense qu'il faut se dire qu'il n'y a pas un seul modèle, mais plusieurs voix possibles.

     

    On vous a déjà proposé Carmen ?

    Oui, on m'a proposé Carmen il y a quelques années. C'était pour la production de Glyndebourne, avec Anne Sofie von Otter dans le rôle-titre : ils voulaient que je fasse la reprise à sa place. J'ai refusé parce que j'estimais que cela venait un peu tôt. J'espère qu'on va me le reproposer plus tard ! Mais pour le moment, je suis plus connue dans le baroque. Le baroque est pour moi une manière de calmer les choses, d'avoir moins de stress, car c'est un répertoire que je pratique régulièrement depuis des années. En fait, c'est le répertoire même qui en est la raison, car j'y trouve une telle joie de faire de la musique, une telle liberté aussi : on peut choisir ses ornements, lire une partition jusqu'à la dernière minute pour essayer des solutions nouvelles. On est loin du romantique ou de la musique du XXe siècle, tellement plus écrit.

     

    Revenons au baroque : qu'en est-il de votre Cléopâtre ?

    Quand Marc m'a proposé Cléopâtre, je n'étais pas certaine d'accepter tout simplement parce que je n'étais pas sure d'y arriver : c'était plutôt à Sesto que je pensais, pour l'avoir chanté plusieurs fois, ou même à Jules César. J'ai voulu essayer, je me suis mise à travailler le rôle un peu pour moi-même, et je me suis rendu compte progressivement que je me sentais à l'aise. On attend habituellement dans Cléopâtre une voix plutôt aiguë, avec des da capo tirant vers le haut, mais selon moi on peut lui conférer un autre caractère. C'est un rôle qui demande en fait plusieurs types de voix : il y a des airs très coquets au départ, alors que les suivants sont plutôt sombres, évoluant dans des climats assez lourds. Il est donc difficile de trouver une voix capable d'assumer successivement tous ces aspects. Mon but a en conséquence été de montrer qu'on pouvait donner à ce rôle des couleurs différentes.

     

    Alors, pour l'avenir, des rĂ´les haendeliens ? Soprano ou alto ? Alcina ?

    Alcina ? C'est autre chose, car le rôle est plus tendu que Cléopâtre. Mais il est difficile de prévoir ce qu'il en sera dans cinq ans. Par contre, pour l'immédiat, j'aimerais bien aborder Agrippine, c'est un rôle qui me conviendrait bien. Pour Haendel, je voudrais vraiment faire Ariodante ou Serse, mais il y a tellement d'autres oeuvres.

     

    Des projets particuliers en tĂŞte ?

    Parmi mes projets, je citerai la Callisto de Cavalli à Munich avec Ivor Bolton. Je vais aussi faire une tournée avec Bernard Labadie et les Violons du Roy, dans des airs de Haendel. Et bien sûr, beaucoup de Mozart : je vais faire mes débuts au Met de New York dans Chérubin. Rossini n'est pas ce que je préfère, honnêtement. J'ai déjà chanté Isabella de l'Italienne à Alger, c'est un peu grave pour moi. Angelina m'attire beaucoup, pas vraiment pour le théâtre, mais pour sa musique magnifique. Et peut-être Desdémone d'Othello.A la Cité de la Musique, je vais chanter Paride ed Elena de Gluck avec Paul McCreesh, nous donnons l'opéra à Londres, Paris et Lisbonne, dans une version mise en espace. Le livret n'est pas très intéressant, mais la musique est sublime, c'est une vraie fête vocale.

     

    Estimez-vous que votre carrière s'est déroulée selon vos voeux ?

    Je sais que j'ai eu de la chance, j'ai toujours eu le choix dans ce que je voulais chanter, et en général, je n'ai abordé que la musique qui me plaisait. Je sais ce dont je suis capable, et ma priorité, c'est de ne pas abîmer ma voix. En conséquence, je fais des choses au disque que je ne chanterais certainement pas sur scène : Eboli dans Don Carlos de Verdi, par exemple, dont je fais la Chanson du Voile dans l'enregistrement DGG. Je me suis montrée très négative au départ, quand Marc l'a suggéré, c'est lui qui m'a convaincue que l'air était au départ très léger.

     

    Le moins que l'on puisse dire, c'est que vous n'avez pas peur des critiques !

    Les musicologues et les critiques sont en général tellement partagés, et disent des choses parfois opposées. Je fais confiance à quelques personnes, mais l'élément principal, c'est que je me sente à l'aise dans ce que je chante. Nous autres, interprètes, devons préserver l'essentiel, c'est-à-dire notre âme, qu'il faut mettre dans tout ce que nous chantons. Je n'ai pas de problème pour passer d'un répertoire à l'autre, tout simplement parce que qu'il n'y a pas de différence technique dans le chant. On peut phraser différemment, on peut mettre des couleurs différentes, mais il y a une seule technique. Je prends des cours à Londres, avec Gerald Moore, c'est un chef de chant formidable, qui en outre connaît bien le baroque. Je le vois à peu près une fois tous les deux mois, je lui demande de m'écouter, car il faut toujours avoir quelqu'un pour écouter, pour un chanteur c'est important d'avoir une sorte de mentor. On pense parfois avoir fait un bon concert, et l'on vous dit le contraire ! On peut toucher un instrument, on ne peut pas toucher sa voix, c'est une partie de soi-même qu'il est pourtant difficile de connaître. Mais en général, l'impression physique ne trompe pas. Je me dis que la vie est courte, et qu'il faut essayer.

     
    Magdalena Kozena en concert en France :

    23 octobre 2003
    Cité de la Musique
    Paride ed Elena de Gluck
    Avec The Gabrieli Consort & Player – Paul McCreesh, direction

    17 décembre 2003
    Grand Théâtre de Dijon
    Avec Thierry Grégoire, contre-ténor
    Cantates, airs & duos de Haendel, Vivaldi, Monteverdi.

     

    Le 18/10/2003
    Yutha TEP


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