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ENTRETIENS 24 avril 2024

Janos Starker : le violoncelliste inflexible

Exigeant, froid, voire glacial : les qualificatifs ne manquent pas pour désigner le légendaire violoncelliste hongrois. Mais derrière ces mots se cache aussi un musicien doué d'humour, qui prend la musique pour une affaire sérieuse, tout en gardant la tête froide sur la place réelle de l'interprète dans la société musicale. Janos Starker et le pianiste György Sebök avaient pris rendez-vous au Théâtre de la Ville, à Paris, le 11 mars dernier. La mort du pianiste a transformé ce concert en un vibrant hommage de Starker à son compatriote, ami et partenaire de toujours.
 

Le 23/03/2000
Propos recueillis par Stéphane HAIK
 



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  • Quelles ont été la place et l'importance de György Sebök dans la vie musicale ?

    Sans l'ombre d'un doute, je pense qu'il occupait le premier plan dans le gotha des pianistes internationaux. C'était même l'un des meilleurs musiciens du monde, intelligent, réfléchi, qui connaissait tous les répertoires, même les plus rares. C'était un authentique penseur de la musique. Demandez aux quelques milliers d'élèves qui sont passés entre ses mains, ils vous confirmeront à quel point il savait donner un sens à la phrase musicale. Un cas exceptionnel.

     
    N'était-il pas aussi un pianiste discret, pour ne pas dire timide ?

    C'est vrai. Il n'aimait pas " faire du théâtre " sur scène ou durant ses cours. L'esbroufe ne faisait pas partie de son tempérament. C'était là aussi toute sa force.

     
    Vous l'avez beaucoup fréquenté à Bloomington, aux États-Unis, où, depuis 1958, vous passez de longues semaines à enseigner. La pédagogie est-elle un bol d'air dans une carrière trépidante de soliste ?

    L'enseignement, c'est un plaisir permanent, qui sans cesse se renouvelle. Je crois néanmoins qu'au-delà de la transmission d'un savoir, il y a l'idée de faire perdurer une tradition musicale ancestrale. C'est également un effort de mémoire et de fidélité au passé, une sorte de reconnaissance et d'hommage à la survivance de la connaissance, au-delà des guerres et des exactions diverses qui ont bien failli balayer toute notion d'art. C'est un devoir autant qu'une vocation que de communiquer un acquis aux nouvelles générations.

     
    En plus de quarante années d'enseignement, quels sont les défauts que vous rencontrez le plus fréquemment chez vos élèves ?

    Il y a une constante, repérable chez beaucoup de disciples : ils arrivent avec des doigts, souvent une vraie technique d'archet, éventuellement un répertoire qu'ils connaissent bien, mais sans connaissance réelle de la manière dont la musique doit respirer. Etre un bon instrumentiste ne signifie pas être un bon musicien. La faute incombe à leur professeur, pas toujours à la hauteur de leurs missions. Je pense d'ailleurs que le mot professeur est quelque peu banalisé, utilisé à tors et à travers : un "coach" (NDR : un entraîneur) n'a jamais été un professeur ! Les problèmes viennent souvent de cette confusion.

     
    Quelle est la part d'initiative que l'on doit laisser aux élèves ?

    Il est impératif qu'ils continuent sans relâche à utiliser leur cerveau. Je les y encourage constamment. Une fois entrés dans la carrière, ils ne doivent pas interrompre cet exercice mental. C'est presque un mode de vie artistique.

     
    Votre goût pour la pédagogie vient-elle de vos études à l'Académie de Budapest, auprès de Léo Weiner ?

    Outre les qualités exceptionnelles de Léo Weiner, ce qui a toujours fait de l'Académie de Budapest un lieu hors du commun, c'est l'esprit d'institution qui y règne. L'apprentissage de la technique n'est pas tout, la formation cérébrale revêt une dimension essentielle. Trois points : l'écoute, la quête et les méthodes d'investigation. Comprendre, puis assimiler ces trois axes, c'est déjà faire un pas de géant vers la maturité. Une espèce de passeport pour la musique.

     
    Votre expérience de violoncelliste dans les orchestres de Dallas, du Met et de Chicago, dans les années quarante et cinquante, a-t-elle durablement conditionné votre carrière de soliste ?

    Après l'Académie de Budapest, c'est mon expérience la plus marquante. Au Met, à cette époque, j'ai vu passer tous les plus grands musiciens de ces temps glorieux, le ténor Jussi Björling notamment, dont je garde encore un souvenir émerveillé. Sans oublier tous les chefs prestigieux : Walter, Ansermet, Dorati, Monteux.

     
    Et Fritz Reiner, le patron de l'Orchestre symphonique de Chicago ?

    Le chef le plus génial que j'ai entendu. Il pouvait tout attendre de ses musiciens, qui lui obéissaient totalement. Reiner ne ménageait aucun instrumentiste de son orchestre : un perfectionniste pour qui chaque instant était important. Il ne se souciait pas du public, et il lui arrivait de donner toute son énergie au cours des répétitions, au risque de ne plus être au mieux de sa forme lors du concert.

     
    Au nombre des partitions que vous avez toujours défendues, il y a la Sonate pour violoncelle seul de Kodaly. En quoi cette sonate continue-t-elle de vous séduire ?

    Parce que je suis tout simplement convaincu que c'est le premier compositeur qui ait exploité à ce point l'étendue des capacités techniques et expressives du violoncelle. Son influence fut immense, y compris auprès de fortes personnalités, comme Prokofiev, Chostakovitch ou Hindemith. Avant Kodaly, seuls Boccherini et Debussy - dans sa sonate - ont vraiment servi la cause du violoncelle.

     
    Vous êtes un violoncelliste plutôt réservé, prudent. Vous avez même la réputation d'avoir mauvais caractère. Croyez-vous que cela ait constitué un frein au développement de votre carrière ?

    Je ne suis pas un sentimental, mais un homme en quête d'émotions. Ce n'est pas la même chose. La musique, rien que la musique, dans son dépouillement le plus complet, quel que soit le tribut à payer. De toute manière, je n'ai jamais cherché à " faire carrière ".

     
    On dit aussi que l'humour est l'un de vos traits de caractère, est-ce exact ?

    Il ne faut jamais manquer une occasion de voir la vie avec humour, du moins avec une certaine ironie. Je me souviens d'une tournée en Afrique particulièrement rocambolesque : le piano de mon partenaire n'était plus opérationnel, nous avons cherché pendant des heures un accordeur. Après plusieurs tentatives infructueuses, nous avons trouvé la " perle rare ". Le seul petit problème, c'est que ce monsieur était " dur de la feuille " ! Je considère la musique comme une chose éminemment sérieuse. Tout ce qui gravite autour de l'art relève souvent de la plus grande des légèretés.

     


    Quelques disques pour découvrir l'art de Janos Starker

    Les introuvables de Janos Starker (années cinquante) - Suites pour violoncelle seul de Bach, Sonate pour violoncelle seul de Kodaly, concertos de Schumann, Dvorak, Saint-Saëns, Concerto n° 2 de Haydn - Philharmonia Orchestra, dir. Carlo Maria Giulini, Walter Süsskind - EMI

    Concerto pour violoncelle de Bartok (adaptation du Concerto pour alto, par Tibor Serly) + Concerto pour violoncelle de Dvorak - Orchestre symphonique de Saint-Louis, dir. Leonard Slatkin - BMG

    Sonates pour violoncelle et piano (Intégrale) de Brahms + Sonate pour violoncelle et piano n° 2 de Mendelssohn - Avec György Sebök (piano) - Mercury (distribution Universal)

     

    Le 23/03/2000
    Propos recueillis par Stéphane HAIK


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