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ENTRETIENS 19 avril 2024

James Conlon, mission accomplie
© Eric Mahoudeau

Après neuf ans de bons et loyaux services comme chef principal de l'Opéra national de Paris, James Conlon quitte son poste en même temps que Hugues Gall à la fin de la saison 2003-2004. A l'heure d'un bilan pour le moins positif, rencontre avec un artiste à qui Paris doit beaucoup.
 

Le 27/01/2004
Propos recueillis par GĂ©rard MANNONI
 



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  • Quand Hugues Gall vous a proposĂ© ce poste de chef permanent de l'Orchestre de l'OpĂ©ra national de Paris, quelles raisons vous ont poussĂ© Ă  accepter ?

    Un artiste agit par instinct. Je n'ai jamais proposé ma candidature pour aucun des postes que j'ai occupés. On m'a toujours sollicité. Quand Monsieur Gall m'a fait cette proposition, j'ai naturellement réfléchi, car je savais tout ce qui venait de se passer. Plusieurs raisons ont orienté ma décision. J'ai depuis quelques trente ans un profond amour pour la France et pour Paris. On ne peut pas accepter un poste aussi important impliquant tant de travail si l'on n'aime pas la culture du pays concerné. Par ailleurs, je suis comme un poisson dans l'eau dans un théâtre. J'y ai passé toute ma vie et je crois en connaître tous les rouages. Collaborer comme chef permanent à un aussi prestigieux opéra ne pouvait que me tenter.

    A ceux qui me mettaient en garde en me soulignant les difficultés qu'avaient connues ce théâtre et ses structures, je répondais qu'ayant eu une vie avant l'Opéra de Paris, je pourrais tout aussi bien en avoir une après si j'étais licencié quelques mois plus tard. Je ne serais qu'un de plus sur la liste ! Mais surtout, j'avais la conviction que si quelqu'un pouvait gérer cette situation, c'était Hugues Gall. S'il ne le pouvait pas, personne d'autre non plus. La perspective d'effectuer avec lui un travail en profondeur pour créer un système qui marche et qui change l'image de l'Opéra de Paris dans le monde entier était stimulante. Etant extérieur à l'institution et au pays, je savais quelle était cette image et, même si tout le monde n'en est pas encore conscient, je vois bien au comportement des artistes à quel point elle est aujourd'hui modifiée. L'aventure était donc très tentante d'autant qu'en fin de compte je n'aurais à rien faire d'autre que je faisais ailleurs jusqu'alors. Il n'y avait aucun problème de base qui puisse m'empêcher d'accepter. Je vais partir à la fin de la saison, après neuf ans de travail, des années qui sont passées très vite, car je n'ai même pas dirigé ici le tiers de mon répertoire. Je suis heureux du travail que j'ai fait mais très heureux aussi de ce qui m'attend dans l'avenir.

     

    Qu'avez-vous l'impression d'avoir apporté dans cette maison ?

    Ce n'est pas vraiment à moi de l'évaluer. Mon éthique est de rendre chaque oeuvre le mieux possible en fonction de ma vision propre. C'est la mission de tout artiste. En tant que tel, j'ai toute ma vie donné chaque jour le maximum de moi-même. Je ne vais pas changer maintenant. Comme chef permanent, il faut aussi songer à l'intérêt à long terme du théâtre et le faire évoluer. Un peu comme un père de famille, il faut préparer le futur tout en gérant le présent. Quand je suis arrivé, l'immense potentiel artistique et technique de ces deux théâtres et de ceux qui les font vivre était évident. J'ai compris que le fondement de l'action de Monsieur Gall était que pour mériter l'appui de l'Etat et l'argent des contribuables, il faut fournir un produit artistique du plus haut niveau en assurant un professionnalisme absolu dans tous les domaines.

    Nous sommes ainsi arrivés à avoir un opéra qui joue dix mois sur douze et produit des spectacles aussi exceptionnels en qualité qu'en quantité. La quantité n'est pas une valeur en soi, mais il est fondamental qu'un théâtre fonctionne. Ayant compris cela, je l'ai assumé car ce professionnalisme, je le l'ai vécu dès ma jeunesse dans le milieu musical américain. Je savais donc de quoi il s'agissait. L'Allemagne est une autre très grande école en la matière. On sait ce qu'un théâtre doit à son public. J'ai donc pu apporter cette exigence à Paris. L'Opéra de Paris ne peut pas revenir à son passé. Jamais de toute son histoire il n'a connu une telle affluence de spectateurs. Paris avait donc besoin d'un système alliant la modernité de Bastille et le côté patrimonial inégalable de Garnier. On ne peut plus faire machine arrière.

     

    Vous avez apporté une cohérence dans l'approche de l'opéra italien et bien développé le répertoire wagnérien. Pourquoi, cependant, en neuf ans de présence, Hugues Gall et vous-mêmes n'êtes-vous pas parvenus à monter enfin une Tétralogie ?

    Il aurait fallu encore plus de temps. Le projet est fin prêt, mais il aurait fallu encore trois ans. Je me suis penché sur la question dès mon arrivée. Il faut savoir qu'en préparant la Tétralogie on peut paralyser tout le théâtre car on ne peut pas tout monter la même saison dans un théâtre de répertoire. Il faut monter une oeuvre après l'autre et tout donner ensemble à la fin. C'est difficile et très très lourd. Même à Cologne, j'ai du terminer ma Tétralogie en concert. Ce n'est pas comme dans un festival ou un théâtre qui n'a que des opérations ponctuelles. Le Châtelet peut le faire car ils travaillent dans des conditions de festival. C'est magnifique, car Paris aura ainsi quand même une Tétralogie, comme il l'a déjà eue il y a quelques années. Mais ici, j'ai quand même la satisfaction d'avoir tout fait, sauf Tannhaüser et le Ring.

     

    Quels regrets aurez-vous en partant ?

    On a forcément toujours des regrets, y compris au moment de mourir ! Même si je suis très heureux du travail accompli, je dois reconnaître que j'aurais aimé diriger encore bien d'autres oeuvres de mon répertoire. J'ai peut-être révélé Zemlinsky aux parisiens, mais une petite partie seulement de son oeuvre. Il y aurait encore beaucoup à faire avec tous les compositeurs morts en camps de concentration. Dès que je serais rentré aux Etats-Unis, je compte créer une crise de conscience au sujet de toute cette génération sacrifiée, quasiment de toute la musique interdite à partir de 1933. Il faut certes réparer une injustice, mais aussi récupérer ce morceau de puzzle que nous n'avons pas à notre disposition. Il n'y a pas nécessairement que des chefs d'oeuvre, mais il faut que le public et le monde musical puissent en juger par eux-mêmes, établir progressivement un rapport personnel avec cet épisode occulté de l'histoire de la musique. Je trouve cela extrêmement important et je vais désormais y travailler, aux Etats-Unis principalement.

     

    Qu'allez-vous faire après avoir quitté ce poste à Paris ?

    Je reprends la vie d'un artiste qui dirige dans l'ensemble où il veut, qui peut librement établir son planning comme il lui plait. Je suis depuis vingt-et-un ans en Europe, responsable de diverses structures, parfois de deux à la fois, comme Paris pendant neuf ans et Cologne pendant treize ans. J'ai pris la direction du Ravinia Festival, résidence du Chicago Symphony Orchestra, une des meilleures formations du monde, avec laquelle je vais travailler pendant quatre ou cinq semaines par an. Que rêver de mieux ? On fêtera le centenaire du festival cette année et j'y dirige depuis très longtemps. Je garde mon festival de Cincinnati. C'est le plus ancien d'Amérique pour la musique chorale. Je peux y faire chaque année quelques grandes oeuvres chorales que l'on monte rarement ailleurs, comme je le fais depuis vingt-cinq ans. Pour le reste, je choisirai parmi les invitations qui me sont faites, y compris en Europe. Je reprends avec joie la vie d'artiste itinérant !

     

    Le 27/01/2004
    GĂ©rard MANNONI


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