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ENTRETIENS 29 mars 2024

Les larmes dorées de Leontina Vaduva
© D.R.

Leontina Vaduva (D.R.)

Elle vient de triompher dans la reprise de la Bohème à l'Opéra de Paris, Leontina Vaduva est "l'autre" soprano roumaine qui enflamme les scènes internationales. Cette interprète sensible a choisi la France comme terre d'élection pour cultiver son art.
 

Le 20/03/2000
Propos recueillis par Olivier BERNAGER
 



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  • Pourquoi avoir choisi de vivre en France ?

    J'ai passé le Concours de chant de Toulouse en 1985 et j'ai signé mon premier contrat en 1987 pour le rôle de Manon sous la direction de Michel Plasson. En 1988, j'ai chanté pour la première fois Ninetta ( " La Pie voleuse " de Rossini) et j'ai demandé l'asile politique qui m'a été accordé. Je suis donc restée en France. Auparavant, j'avais fait des études de chant traditionnelles au Conservatoire de Bucarest. Après mon diplôme, j'ai fait mes débuts sur la scène de l'Opéra de Bucarest dans le personnage d 'Antonia des " Contes d'Hoffmann " d'Offenbach, que je vais d'ailleurs reprendre cette année au Festival d'Orange, puis dans celui de Lauretta (Puccini, Gianni Schicchi). Au début, je n'ai jamais envisagé faire carrière : dès mes treize quatorze ans, j'ai beaucoup chanté avec ma mère des musiques folkloriques roumaines. Jusqu'à vingt ans, j'ai fait toutes les salles de Roumanie, les stades, des gymnases aussi grands que Bercy, les baptêmes, les noces. C'était mon premier apprentissage de la scène et du vrai public. Comme ma voix ressemblait beaucoup à celle de ma mère, j'ai décidé de me distinguer et de me diriger vers l'opéra : un jour j'ai vu un film sur la vie de Johann Strauss, les valses m'ont tellement émue que j'ai décidé de me consacrer au classique. D'abord, ma mère a été sceptique, mais elle n'a rien fait pour m'empêcher et m'a même aidé financièrement. La Roumanie était un pays où l'enseignement du chant était de bonne qualité. Après avoir été admise au Conservatoire de Bucarest, mon professeur m'a suggéré de participer à des concours internationaux. J'ai remporté celui de Toulouse et c'est seulement alors que j'ai commencé à me rendre compte que j'avais des possibilités qui me permettaient de chanter ailleurs que dans un ch¦ur et dans un autre répertoire que le folklore de mon pays. Mon départ pour la France a été un coup du destin : le Concours de chant de Toulouse, puis Manon au Capitole. J'ai toujours aimé la langue française. L'esprit français est celui qui me correspond le plus, pour sa subtilité à conduire les échanges entre les personnes, pour sa façon élégante de communiquer les idées. Avec l'Italie, la France pour une roumaine, c'est le berceau de la culture !

     
    La langue roumaine est-elle propice au chant ?

    Sûrement, c'est une langue latine avec des influences slaves et d'autre part le Roumain a une disponibilité particulière pour l'art. En Français, il faut essayer de gommer le " r " qui se forme au fond de la gorge et de le prononcer beaucoup plus en avant. En roumain, il n'y a pas ce problème mais il y en a d'autres : les " u ", les " i " empêchent le son d'être vraiment libre. C'est cependant un phénomène moins fort que dans d'autres langues slaves comme le Russe. Au niveau de la technique, l'enseignement du chant en Roumanie est basé sur la technique italienne, qui correspond le mieux à la langue roumaine et qui s'impose naturellement pour l'opéra.

     
    Quel genre de soprano êtes-vous ?

    Au début j'étais une soprano légère mais avec le temps, ma voix a mûri. Je m'oriente aujourd'hui vers le soprano lyrique. Je crois pourtant que je garderai toujours un côté léger car mon timbre, assez clair dans ses résonances, l'impose. Je peux chanter les héroïnes assez jeunes : Juliette, Manon, Suzanne, les sopranos légers. En raison de mon expérience et mon tempérament, je dois penser aussi à Marguerite, à Mimi, à Thaïs (un peu plus tard). Il est normal de passer de léger à lyrique. J'ai toujours essayé de suivre le développement naturel de ma voix. Mais en même temps, le choix des rôles ne dépend pas entièrement des chanteurs : les directeurs d'opéra, les agents s'en mêlent : ils choisissent les voix qu'ils préfèrent, et ne nous donnent pas toujours le choix. On me pousse de plus en plus à faire des rôles plus dramatiques qu'il ne serait judicieux pour ma voix. On ne peut malheureusement pas toujours refuser ce qui ne nous convient pas car souvent, après deux ou trois refus, il n'y a pas de quatrième proposition ! C'est une situation qui est très dangereuse pour les jeunes artistes qui manquent encore d'expérience, car n'oublions pas que nous sommes logés à même enseigne que les sportifs : nous devons éviter le claquage et suivre le rythme normal de notre corps. Le chant est un don tellement important qu'il faut le préserver par tous les moyens.

     
    Comment avez-vous conduit votre carrière ?

    Mes débuts n'ont pas été ce que j'aurais souhaité car mon professeur m'a obligé à chanter Antonia trop tôt. Le Conservatoire de Bucarest était lié à l'opéra de cette ville qui cherchait une jeune Roumaine pour le rôle. Bien que je l'ai chanté tout de même, j'ai pris conscience tout de suite des difficultés de cet emploi, et de la nécessité de le chanter beaucoup plus tard dans la carrière, qu'il convenait de faire d'abord Zerlina, ou Suzanna : des rôles qui préservent la fraîcheur de la voix et qui accomplissent la technique avant d'aller vers des rôles plus dramatiques. Cela a été une leçon un peu douloureuse, mais elle m'a beaucoup servie. Je n'ai repris Antonia que beaucoup plus tard, cinq six ans après. Si l'on imagine que pour chanter tout juste convenablement un rôle, il faut au minimum six ans d'études, ajoutez six années pour que la voix mûrisse : vous conviendrez que ce n'est pas un rôle à chanter tout de suite ! Dès que je me suis lancée dans la carrière, j'ai chanté des grands rôles : Manon (Massenet), Ninetta (Rossini, La Pie voleuse), Gilda (Verdi, Rigoletto), Micaëla (Bizet, Carmen), Adina (Donizetti, l'Elixir d'amour), Norina (Donizetti : Don Pasquale. Dans le répertoire français, j'ai fait Leila (Bizet, Les pêcheurs de perles). Aujourd'hui, je m'attaque à Verdi : Traviata, Luisa Miller. Ce sont des rôles qui gardent une certaine colorature que je commence à maîtriser.

     
    Travaillez-vous beaucoup ?

    Il faut toujours se réserver du temps pour étudier. Si l'on se laisse prendre par le vertige des contrats, on n'a plus de temps pour s'occuper de sa voix, pour la bichonner, pour faire ses vocalises convenablement. De temps à autre, il faut se donner une dizaine de jours pour s'occuper uniquement de la technique vocale. Apprendre un rôle peut se faire en quelques jours mais entretenir sa voix est l'affaire de tous les jours. De plus, apprendre n'est pas tout : il faut mûrir le rôle et cela peut prendre plus d'un an, il faut lire tout ce qui s'y rapporte, être comme une éponge le concernant.

     
    Le rôle de Mimi que vous avez chanté récemment à Paris représente-il un moment particulier de votre carrière ?

    C'est l'évolution normale de ma carrière. Mais attention, il faut ce méfier de Puccini, car on est souvent tenté de rajouter de l'émotion à l'émotion innée de la partition, surtout si l'on n'a pas tout à fait la voix adéquate. Ainsi, j'ai préféré repousser le plus possible mes débuts dans Mimi, pour le faire sans aucun danger pour ma voix, et dans une période qui me donne l'occasion de l'alterner avec des rôles plus légers. Autrement, la voix s'élargit trop à son contact et comme, de plus, certains chefs sont habitués à des voix plus " corsées ", ils demandent beaucoup trop aux voix légères. C'est pourquoi, je tiens à alterner avec des ¦uvres plus légères : pour conserver la souplesse de ma voix.

     
    Comment vous êtes vous sentie sur l'immense scène de l'Opéra Bastille ?

    On y perd un peu le regard du public, on a quelques fois l'impression d'avoir devant soi un écran qui nous sépare de lui. C'est un piège car on peut être entraîné à pousser la voix, or l'acoustique s'est beaucoup améliorée par rapport aux débuts de cette scène et aujourd'hui il n'est pas plus difficile d'y chanter que sur une autre scène de grande taille.

     
    Aimez-vous jouer sur scène ?

    Dès ma première Antonia à Bucarest, jouer a été une révélation. Je ne croyais pas qu'il était possible de se sentir aussi bien dans sa peau. Je peux dire que c'est de la scène que s'est enflammé mon amour pour l'opéra.

     
    Manon, Mimi. Vous sentez-vous vouée aux rôles de femmes qui pleurent ?

    Peut-être. Dans ma jeunesse, j'ai vu beaucoup de souffrance autour de moi dans mon pays. Tous les rôles de femmes qui souffrent me touchent énormément et parfois je me prends à me dire que j'aurais envie que ma vie privée me donne plus de bonheur.

     
    La femme contredit-elle parfois la chanteuse ?

    Il suffit d'être monté une seule fois sur scène pour comprendre combien le public agit sur nous comme une drogue. On se nourrit du contact avec le public, c'est pourquoi il est souvent très dur de se retirer de la scène : quand je vois les difficultés qu'éprouve ma mère pour se décider à faire ses adieux ! Pour ce qui me concerne, je pense qu'avec le temps, je m'orienterai vers l'enseignement. Dans le fond, le chant, c'est presque comme une psychanalyse.

     
    Quels sont vos prochains engagements ?

    Mes débuts dans Mimi au Metropolitain Opera de New York, puis Blanche dans les " Dialogues des Carmélites " de Poulenc à La Scala de Milan sous la direction de Ricardo Muti et une mise en scène de Robert Carsen. Puis la reprise des Contes d'Hoffmann à Orange cet été précédé d'un récital à Strasbourg, et enfin à Los Angeles et à Chicago, Faust de Gounod dans le rôle de Marguerite.

     

    Le 20/03/2000
    Propos recueillis par Olivier BERNAGER


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