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ENTRETIENS 16 avril 2024

Un amoureux du bel canto

Le chef d'orchestre Bruno Campanella

En ce moment à Bastille, Bruno Campanella dirige les Capulet et les Montaigu de Vincenzo Bellini dans une reprise de la mise en scène de Robert Carsen. Rencontre avec un chef d'orchestre fou de voix et de bel canto, soucieux d'équilibre, de finesse des dosages et de justesse stylistique.
 

Le 16/02/2004
Propos recueillis par Françoise MALETTRA
 



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  • Bruno Campanella, vous êtes reconnu comme un des meilleurs spécialistes du bel canto, et l'un des tenants de sa tradition. Un statut auquel votre formation auprès de Nino Rota et Luigi Dallapiccola pour la composition, de Hans Swarowsky et Thomas Schippers pour la direction d'orchestre, ne vous destinait pas nécessairement. Comment vous est venue cette prédilection ?

    Je vais vous étonner, mais ce sont mes études universitaires en lettres classiques qui m'y ont conduit. Je me suis plongé avec passion dans la philologie. J'y ai appris l'importance du mot, de l'équilibre du phrasé, de la portée de la parole proférée. Et c'est ça le bel canto ! Donizetti, Bellini, Rossini n'écrivaient presque jamais accelerando ou rubato sur leurs partitions, car ils savaient que les chanteurs allaient instinctivement en capter l'intention. C'est ce qu'il faut impérativement retrouver. Aujourd'hui, on a une fâcheuse tendance à tout chanter a tempo. Et même si les livrets ne sont pas toujours géniaux, ils traduisent des sentiments universels, et les mots sont là pour le dire. D'où la nécessité absolue de leur donner les inflexions les plus justes. Sinon, il ne reste plus qu'un exercice de virtuosité vocale, certes fascinant, mais vide de sens.

     

    Comment à notre époque rendre justice à cette grande tradition, à son style, à un art du chant aussi rigoureusement codé ?

    Le problème majeur est que rien n'est écrit. Nous sommes dans une tradition orale, transmise d'une génération à l'autre par de grands chanteurs et des chefs respectueux de ses règles d'or. Mais attention aux grandes voix. Tout l'art du bel canto consiste à ne jamais forcer la voix qui doit toujours restée à la fois très timbrée et très aérienne. Et attention à l'orchestre qui ne doit jamais les couvrir, faute de quoi point de merveille ! Il ne faut pas oublier qu'avant Wagner, les instruments étaient à sons naturels. Les cuivres sonnaient puissamment, les cordes étaient beaucoup plus brillantes. Il fallait établir des dosages très fins. Un fortissimo chez Rossini devrait se traduire aujourd'hui par un mezzo forte. C'est donc à nous de faire ce qui est écrit à la lumière de ce que nous savons désormais : aux chanteurs de respecter les pianissimi, les sons filés, de maîtriser l'articulation, et surtout leur respiration pour éviter de se trouver très vite à bout de souffle. En un mot, de veiller à l'équilibre entre la vocalisation et l'élégance du phrasé. Et à nous, les chefs, de les aider à y parvenir.

     

    On sent d'ailleurs que vous avez une véritable dévotion envers les chanteurs. Vous les sollicitez par la générosité du geste, vous les soutenez avec une vigilance sans faille. Je dirais presque que vous leur tendez les bras. Entre vous et eux, c'est donc plus qu'une question d'entente cordiale, c'est quelque chose qui ressemble à de l'amour ?

    Oui, je le crois et je le ressens ainsi dès la première répétition jusqu'au soir de la première et même après. Souvent les chefs utilisent les voix comme ils le font des instruments de l'orchestre. Or la voix est primordiale. C'est elle qui est sortie du chaos des origines. Les instruments n'ont fait que s'épuiser à l'imiter. Il faut donc être constamment en alerte avec les chanteurs, être prêts à changer la battue s'il le faut pour corriger l'intonation ou accentuer l'expression, ne jamais oublier que ce sont eux qui se mettent en danger. Alors, oui, je les aime. Et c'est pour toutes ces raisons que je me suis consacré pendant vingt ans au bel canto, et que je continue d'y être très attaché.

     

    Vingt ans d'une prison dorée, je vous le concède, mais d'une prison pourtant. Est-ce que votre carrière, vos ambitions n'ont pas été freinées par cette spécialisation que refusent beaucoup de chefs ? Est-ce d'une certaine manière, leur attitude ne compromet pas l'avenir d'un tel répertoire ?

    Je suis aujourd'hui sans regrets, mais avec beaucoup d'envies qui d'ailleurs vont se réaliser : Stravinski, Britten, Verdi, dont je vais diriger bientôt le Macbeth à Barcelone, sans parler de la musique française que j'adore pour le miracle d'harmonie qu'elle représente. Quant à l'avenir, je suis persuadé qu'en ce qui concerne le bel canto, les maisons d'opéra vont devenir des musées, de plus en plus spécialisés, de plus en plus en plus exigeants sur la qualité des productions, mais que l'on viendra visiter comme on visite le musée des Offices à Florence. L'opéra, en général, a connu son âge d'or aux XVIIe et XVIIIe siècles, puis s'est prolongé au XIXe avec Puccini, et jusqu'au début du XXe avec Stravinsky. Pour ce qui est de la création contemporaine, je dirais que nous vivons un nouveau Moyen Âge de la musique. Les livrets deviennent les supports d'expériences aventureuses, on pense avant tout au théâtre, mais la musique n'apporte pas de vraies réponses à cette subtile alliance avec le texte. Elle se déshumanise et en même temps se coupe du grand public. Aussi, ça ne m'intéresse pas. Faudra-t-il huit siècles pour trouver un nouveau destin à la voix ? Je suis loin pour autant d'être pessimiste. Je crois en l'avènement de musiciens explorateurs qui découvriront des sources venues d'ailleurs, en revisitant des civilisations qui ont su garder à la voix humaine tous ses pouvoirs.

     

    Le 16/02/2004
    Françoise MALETTRA


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