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ENTRETIENS 19 avril 2024

Kun Woo PaĂŻk, pianiste sans complexes

Kun Woo PaĂŻk

Récital du Châtelet, concerto avec l'Ensemble Orchestral de Paris, nouvelle parution discographique, Kun Woo Païk est en ce moment sur tous les fronts. Rencontre avec un pianiste coréen sans complexes, amoureux des voyages et d'une musique française qu'il a toujours défendue corps et âme.
 

Le 23/02/2004
Propos recueillis par Eugénie ALECIAN
 



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  • Avez-vous toujours poursuivi le but de devenir pianiste ?

    Oui et non. Entre 15 et 22 ans, tout en travaillant le piano, je me suis un peu éloigné vers le cinéma, la photographie, peut-être parce que j'ai été trop poussé vers le clavier quand j'étais petit. Finalement quand je me suis retrouvé seul à New York, j'ai été attiré par le cinéma, le Musée d'Art Moderne, le Lincoln Center et la nouvelle vague. C'était formidable. Je m'étais retrouvé à New York grâce au concours Dimitri Mitropoulos. Quand on y pense, j'étais trop jeune, mais j'ai quand même été choisi pour représenter la Corée. Pendant que je répétais, Bernstein est passé et a dit à l'organisatrice du concours que je devais être aidé. J'ai donc eu un prix spécial puis ai été présenté et accepté à la Julliard School avec, de plus, une bourse obtenue par mon professeur Madame Levin.

     

    Vous avez un répertoire extrêmement étendu, dans lequel vous privilégiez visiblement le répertoire français, pourquoi ?

    Il en a toujours été ainsi, la sensibilité et le raffinement que je trouve dans la musique française, je ne les ai jamais trouvés ailleurs, même si bien entendu ils existent. Les harmonies, les timbres des mélodies françaises, la langue française m'ont fait apprécié aussi son cinéma et sa littérature. Dans la langue française même, il y a une musique que j'aime beaucoup. Et c'est une langue que j'ai découverte assez tôt, car mon père qui aimait beaucoup la France sans pourtant vraiment la connaître nous a fait découvrir sa peinture et sa musique. D'ailleurs, arrivé à New York, j'ai choisi le français comme première langue étrangère.

     

    A voyager dans le monde entier, vous vous trouvez en quelque sorte en position d'ambassadeur. Qu'avez-vous le sentiment de représenter, votre art, ou une patrie ?

    Je représente seulement la musique. Mais il m'est arrivé de me poser la question : suis-je coréen parce que de naissance, américain parce qu'ayant vécu aux Etats-Unis, français d'adoption maintenant ? Mais pour moi, ces questions étaient toujours éclipsées par une interrogation bien plus fondamentale, à savoir si en tant qu'asiatique, je pouvais interpréter la musique occidentale. Puis ma rencontre avec de grands musiciens du monde m'a montré qu'il n'y avait pas de barrières. Et puis, au sein même de la musique occidentale, quelle différence de cultures, par exemple entre les musiques française et allemande. Si les musiciens de chacun de ces pays peuvent comprendre et interpréter la musique de l'autre, alors tout est possible, y compris pour un asiatique comme moi. Walter Gieseking n'était-il pas le grand représentant de la musique française ? Au fond tout dépend des capacités et des affinités de tout un chacun, ainsi que de la formation musicale. Et j'en reviens à mon père qui nous faisait remarquer la chance que nous avions de connaître plusieurs cultures. Le fait d'avoir vécu sur les trois continents d'Asie, d'Amérique et d'Europe, mais aussi d'avoir bénéficié de l'enseignement de professeurs de cultures aussi différentes que russe, hongroise ou italienne m'accorde une chance supplémentaire.

     

    Avez-vous parfois le sentiment des musiciens ayant eu une vie plus sédentaire manquent justement de vision large de la musique que vous avez ?

    Je crois qu'il est important d'avoir l'esprit ouvert. Oui, il faut chercher à voyager, non en simple touriste, mais presque comme un anthropologue ou un ethnologue, afin partager ses expériences. Le véritable danger est que les européens ont une vie un peu trop confortable. Je vois beaucoup de manifestations et de réclamations, mais il y a plus ici que dans n'importe quel autre continent de quoi vivre de la musique, qu'il s'agisse d'apprendre, de jouer ou d'enseigner, bref, de gagner sa vie. Il n'y a pas ou presque plus de sentiment d'urgence dans la manière de faire de la musique, et je crois que c'est un manque. Je ne dis pas qu'il faut absolument passer par la souffrance, mais pour comprendre mieux la nature des hommes, il faut un peu ressentir l'urgence qu'ont ressenti les créateurs du passé, compositeurs ou interprètes. Ca aussi, c'est écrit dans les partitions. Et il faut le comprendre, sinon, un musiciens fait certes de jolies choses, mais il risque de devenir médiocre. Il est triste que même des musiciens de grand talent ne traduisent jamais ce sentiment d'urgence.

     

    Est-ce un danger, cela a-t-il un rapport avec le fait d'entendre, surtout depuis vingt ans, de plus en plus d'interprétations édulcorées, voire sans souffle ?

    Oui, quelque part, la musique souffre. Quand j'ai commencé à donner beaucoup de concerts, trop tôt, j'ai découvert un jour qu'il me suffisait de voir les autres sur scène pour me voir moi-même. A trop jouer tous les jours, je ne changeais ni de discours ni de pensées. Et je n'ai pas pu supporter l'idée que je devenais la copie conforme de moi-même et des autres que je voyais. Alors j'ai tout arrêté, je suis venu en France, je me suis presque caché jusqu'à ce que je retrouve mon propre langage et que je sois apte à le communiquer, à communiquer le vivant. Ca a été une deuxième enfance pour moi, surtout grâce à la générosité d'un ami à la campagne. J'ai découvert de nouveaux compositeurs, une nouvelle forme de vie.

     

    D'où tirez-vous à la fois l'énergie et la sérénité qui transparaissent dans vos interprétations ?

    J'étais autrefois un homme très complexé, surtout à New York, où j'étais un petit coréen sans importance, sans argent. Je me trouvais moche, je n'avais rien pour moi, absolument rien. J'étais seul, ma famille était loin et je suis tombé très bas, presque à en basculer mentalement. Puis un après-midi, après une sieste, je me suis réveillé totalement guéri, différent, porté vers le soleil. Je me suis libéré de tant de choses comme de mon apparence, du regard des autres, autant de choses autrefois douloureuses qui n'avaient plus la moindre importance, avec le sentiment salvateur de pouvoir apporter quelque chose à la musique.

     

    Qu'aimeriez-vous jouer que vous n'avez pas encore abordé ?

    Beethoven. Musicalement, c'est le plus grand, et c'est pour moi un retour obligé. Mais ne me demandez pas si je compte l'aborder sur un pianoforte, car là, je vous le dis tout de suite, la réponse est non. Nous avons des instruments fabuleux aujourd'hui, dont aurait certainement rêvé Beethoven !

     

    Le 23/02/2004
    Eugénie ALECIAN


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