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ENTRETIENS 20 avril 2024

Jeune compositeur fasciné par Rimbaud
© Eric Mahoudeau

Commande de l'Opéra national de Paris, l'Espace dernier de Matthias Pintscher a été créé à l'Opéra Bastille le 23 février. Après Thomas Chatterton (1998), c'est le deuxième opéra de ce compositeur allemand de trente-trois ans couronné de nombreux prix et reconnu comme un chef de file de la nouvelle génération européenne.
 

Le 23/02/2004
Propos recueillis par Gérard MANNONI
 



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  • Depuis les origines du genre, le mot opéra recouvre des formes très diverses. Pourquoi ne pas l'avoir choisi pour désigner l'Espace dernier, et avoir préféré sous-titrer Musiktheater en quatre parties sur des textes et des images autour de l'oeuvre et de la vie d'Arthur Rimbaud ?

    Je ne pouvais pas employer le mot opéra car la conception de l'oeuvre ne correspond pas à la définition historique du terme. Dans ce projet, le rapport du son et de l'espace, de la spatialisation du son et du jeu scénique devient un personnage en soi. Les personnages qui paraissent ne sont en revanche pas définis. Ils n'ont pas de noms. Ce sont juste des gens qui viennent et chantent. Leur texte n'est pas destiné à les définir. Ils sont juste là pour nous le livrer dans l'espace. C'est une structure trop abstraite pour pouvoir s'appeler opéra, mais à ma connaissance, il n'existe pas de traduction exacte de Musiktheater. En fait, tout y est à part égal, musique, chant, paroles, jeu, espace, décors.

     

    Depuis une dizaine d'années, vous avez obtenus bourses et récompenses dans toute l'Europe, aussi bien à Berlin qu'à Hambourg, Paris, Londres, Pérouse, Varsovie, Salzbourg, Dresde, Düsseldorf ou Vienne. Vous avez même été Compositeur en résidence auprès de l'Orchestre de Cleveland. Il n'est donc pas facile de vous définir par rapport à une école précise. Helmut Lachenmann a écrit des paroles très élogieuses à votre égard. Pensez-vous vous situer un peu dans la même esthétique que lui, que sa Petite fille aux allumettes par exemple ?

    Je ne peux pas dire que l'espace dernier ressemble à La Petite fille aux allumettes, mais il est certain qu'il existe une parenté entre les deux oeuvres. En revanche, mon premier opéra, Thomas Chatterton, a la forme la plus traditionnelle du théâtre lyrique, avec des personnages bien précis qui chantent tout les temps des grands airs. Je tente donc ici une expérience totalement différente car je n'ai rien trouvé d'autre qui puisse correspondre mieux à une approche de l'oeuvre de Rimbaud. Celle-ci ne se prêtait aucunement à des formes d'écriture plus traditionnelles, moins abstraites. Ce n'est pas un manifeste pour établir des nouvelles donnes du genre opéra, mais le moyen qui m'a paru le plus adéquat de m'approcher de l'univers poétique de Rimbaud. Il fallait traduire cette énergie en perpétuel mouvement, avec ses zones d'ombres, ses fulgurances de lumière, son appel direct à la sensibilité sans passer par la raison. J'ai en outre conçu l'ensemble de cette partition en fonction des spécificités de l'Opéra Bastille que je connais bien. Ce n'est pas fait sur mesure, mais imaginé en tenant compte de ce lieu très particulier par sa taille et sa modernité.

     

    Pourquoi cette attirance pour l'oeuvre et la personnalité d'Arthur Rimbaud ?

    J'ai toujours eu une vraie fascination pour la langue et la littérature françaises, la poésie en particulier. Les deux années que j'ai passées à Paris en 1993 et 1994 m'ont profondément marqué et m'ont permis de confirmer ce goût que j'avais pour Rimbaud notamment. Tous les textes de l'Espace dernier sont soit de lui soit à son sujet. Je les ai choisis et rassemblés. C'est dans cette mesure que je peux dire que je suis l'auteur de ce qui tient lieu de livret mais qui n'est en rien une histoire. Je ne cherche pas à raconter quelque chose mais à susciter des états élémentaires instantanés ou évolutifs, comme ceux que peut procurer la lecture d'un texte poétique. Les textes de Rimbaud sont un peu la déchirure d'un horizon qui devient brièvement visible mais demeure inatteignable. Il n'y a donc rien de chronologique ni de biographiquement anecdotique.

     

    Pour quel type d'écriture vocale avez-vous opté ici ? Plutôt post-debussyste et intelligible ou post-sérielle et très éclatée ?

    Sans doute un peu des deux. Une compréhension parfaite du texte n'est jamais possible à l'opéra. On peut arriver au maximum à un pourcentage de 90%. Cette compréhension est pourtant indispensable lorsqu'elle est inhérente à la nature du livret, notamment s'il s'agit d'un schéma anecdotique dont les éléments dramatiques doivent être clairement exposés. Ici, il n'y a rien de narratif. La structure du texte est faite d'extraits et elle est plutôt conçue pour mettre soudain un mot en relief qui sera un signe, une piste. Il y a en revanche beaucoup de passages où chaque chanteur chante individuellement quelque chose de différent. Ce n'est donc plus compréhensible. Mais la musique est toujours ancrée dans le texte, toujours en contact avec lui. C'est lui qui est au centre de tout, la musique ne faisant que bouger autour.

     

    Comment avez-vous choisi les voix ?

    Il y a deux rôles parlés et les autres représentent à peu près les différents timbres traditionnels de l'opéra, à savoir trois sopranos : un dramatique, un colorature et un lyrique ; un mezzo dramatique ; un ténor spinto ; une basse. Dans Chatterton, je n'avais employé quasiment que des voix d'hommes. J'ai cette fois joué beaucoup plus sur les contrastes et les oppositions de couleurs et de natures vocales. C'est très intéressant quand elles sont toutes ensemble. Un peu comme chez Mozart, si j'ose dire, qui sait si bien mettre chaque voix en valeur individuellement et écrire aussi de fabuleux ensembles.

     

    Quel type d'orchestre employez-vous ?

    Pratiquement l'orchestre symphonique traditionnel, avec quelques instruments supplémentaires, mais comme le son est réparti dans tout l'espace de la salle, il est divisé en trois groupes séparés, dont un quasiment sur la scène. Il y a aussi une percussion derrière la scène, achevant ainsi un spatialisation totale. J'emploie aussi l'électronique pour modifier ou fixer certains sons.

     

    La mise en scène, les décors et les lumières sont de Michel Simon. Êtes-vous beaucoup intervenu dans son travail ou lui avez-vous laissé toute liberté ?

    Pour certaines parties, j'ai donné des indications extrêmement précises, incontournables. Pour d'autres pas du tout. Dans l'ensemble, je crois que je ne suis pas un compositeur embêtant ! Partout où c'était possible, j'ai laissé toute liberté au metteur en scène, d'autant que c'est un fabuleux partenaire. Je savais que l'oeuvre ne pouvait être en de meilleures mains. Je n'avais aucune raison d'interférer sans cesse. Wagner était d'une précision extrême dans ses indications scéniques, qui n'ont d'ailleurs jamais été vraiment suivies à la lettre ! Bien des compositeurs contemporains sont totalement névrotiques en la matière. Je pense au contraire qu'il faut aider ceux qui sont responsables de la réalisation visuelle de l'oeuvre à s'exprimer, sans commettre de trahison majeure, bien sûr. La réussite d'une représentation d'opéra repose sur l'osmose de tous ceux qui y travaillent, car aucune autre forme de spectacle vivant ne requiert la participation d'une aussi grand nombre de personnes appartenant à des disciplines aussi différentes.

     

    Le 23/02/2004
    Gérard MANNONI


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