altamusica
 
       aide















 

 

Pour recevoir notre bulletin régulier,
saisissez votre e-mail :

 
désinscription




ENTRETIENS 23 avril 2024

Une soprano aux moyens gigantesques

Jeanne-Michèle Charbonnet

Parmi les sopranos américaines que l'ère Hugues Gall aura mises sur le devant de la scène parisienne, Jeanne-Michèle Charbonnet aura été l'une des révélations les plus marquantes, une artiste aux moyens vocaux gigantesques et à l'intelligence du chant remarquable – particulièrement frappants dans le Château de Barbe-Bleue de Bartók à Garnier.
 

Le 25/06/2004
Propos recueillis par Yutha TEP
 



Les 3 derniers entretiens

  • Ted Huffman,
    artiste de l’imaginaire

  • Jérôme Brunetière,
    l’opéra pour tous à Toulon

  • Jean-Baptiste Doulcet, romantique assumé

    [ Tous les entretiens ]
     
      (ex: Harnoncourt, Opéra)


  • Après vos passages à l'Opéra Bastille, n'avez-vous pas peur que le public français vous identifie à un seul répertoire ?

    C'est vrai que j'ai participé à trois productions à Bastille en musique contemporaine à chaque fois : K de Manoury, Medea de Liebermann et L'Espace dernier de Mathias Pintscher. Et à Bordeaux, j'ai créé le rôle d'Ariane dans Les Rois de Philippe Fénelon. Mais je n'ai pas peur de cela, parce que ce sont des expériences merveilleuses et que j'ai toujours voulu inscrire ce répertoire dans ma carrière. Je n'ai pas vraiment approfondi le contemporain lors de mes études, et Medea a été ma première expérience dans ce domaine, j'ai adoré ce rôle.

     

    Ce n'est tout de même pas votre répertoire naturel.

    Il est clair que ma voix me destine plutôt aux Aida, Amelia du Bal masqué, Tosca ou Butterfly
    J'ai fait aussi Turandot à Bordeaux. Je chante beaucoup de Verdi, ma voix s'est formée au contact de sa musique et elle a des caractéristiques propres à l'opéra italien – je parle couramment l'italien, par ailleurs. J'effectue mes choix de toute façon selon l'identité vocale du rôle, le type de théâtre aussi, ou tout simplement des besoins des théâtres. Actuellement, ces derniers ont sous la main plus de chanteurs verdiens qu'ils ne peuvent en engager !

     

    Et le répertoire allemand ?

    Je me suis progressivement familiarisée avec Wagner, qui me fascine complètement et que je considère dans une perspective englobant toute ma vie car pour moi, Wagner ouvre d'innombrables possibilités d'exploration, et il sera probablement le centre de ma carrière. J'ai chanté Senta du Vaisseau fantôme alors que j'étais très jeune, j'avais vingt ans ; c'est un rôle que l'on considère généralement pourvu d'une très forte personnalité, mais je n'en suis pas convaincue.

     

    Il y a apparemment une constante dans les rôles que vous chantez : une personnalité forte.

    Je ne sais pas si c'est réellement une constante, tout dépend de la manière dont on aborde les rôles. La seule chose que je puisse dire, c'est que je cherche en moi la manière de reproduire une personnalité forte, en conséquence s'il y a bien une constante, elle vient de moi. Cela dit, je reconnais que je trouve plus intéressants les personnages forts. Mais les rôles d'innocentes sont aussi passionnants, parce qu'une Elsa peut être innocente, tout en étant extrêmement complexe, elle n'est pas si différente d'une Vénus. Je cherche toujours une similitude entre les rôles. Même Butterfly, que je chante beaucoup, cache sous son apparence raffinée une très grande force, qui lui permet de faire ce qu'elle fait.

     

    La musique contemporaine n'offre pas forcément une caractérisation aussi nette.

    Le rôle que j'avais dans L'Espace Dernier est très intéressant. Au départ, j'avais été contacté pour un personnage qui au final a été incarné par un comédien. J'ai donc chanté un rôle qui demandait une soprano dramatique, mais dénué de nom, dénuée même d'éléments réellement concrets. C'est une expérience étonnante. Dans le cas précis de Pintscher, le compositeur a passé beaucoup d'années de sa vie à réfléchir sur un poète et sur sa poésie, de même que le metteur en scène. Quand on met les deux expériences ensemble, on a bien sûr un matériau très important à partir duquel oeuvrer. La musique est très difficile, l'une des plus difficiles que j'ai abordées : travailler uniquement la partition m'a demandé beaucoup de temps et d'énergie. Techniquement, elle n'est pas impossible, et je n'ai pas eu à sortir de mes notes. Le problème majeur a été de partir de la mathématique pure de la partition, et d'en tirer quelque chose de musicalement fluide, pour un personnage en même temps dévoyé et maternel.

     

    Sans parler d'un dispositif sonore très complexe.

    Il a été difficile de suivre les lignes vocales, avec en outre plusieurs orchestres dans la fosse ou derrière le plateau, sans compter l'électronique, le compositeur désirant en outre de belles sonorités, avec des changements de couleurs très complexes. C'était un vrai défi, mais aussi une expérience passionnante. Ce qui est difficile, c'est que dans le répertoire classique, un interprète met des années à apprendre, il fait des erreurs, il teste etc. En musique contemporaine, on n'a pas cette possibilité. Cela dit, j'ai beaucoup de chance avec l'Opéra de Paris dans ce domaine, car je n'ai eu à faire qu'avec des personnes expérimentées, qui savaient ce qu'elles pouvaient demander, et qui avaient une idée très précise des moindres détails.

     

    Vous avez réellement découvert l'électronique lors de ces productions ?

    J'ai été passionnée par l'électronique dans L'Espace dernier et surtout dans K de Manoury. Je pense honnêtement que l'électronique fait partie du futur, particulièrement le traitement de la voix en temps réel. J'ai aimé le cocon sonore que Manoury a réussi à créer, même si de la scène on ne l'entendait pas réellement.

     

    Et la mise en scène ?

    Pour L'Espace dernier, elle a été très physique, parce qu'on m'a demandé des choses un peu folles, comme faire le tour du plateau en courant, ou me rouler au sol. Il a fallu aussi se caler sur les vidéos un jour, sur les danseurs le lendemain, puis sur les comédiens. Ce ne sont pas des choses très difficiles séparément, mais mises ensemble, elles exigent une vigilance soutenue ! En outre, nous autres chanteurs étions très instrumentalisés au sein d'un véritable orchestre de voix, ce à quoi je ne suis pas très habituée. Cela implique d'abdiquer une part d'individualité, avec pour objectif une meilleure fusion des couleurs. Il fallait aussi faire ressortir les mots, puisque Rimbaud après tout est un poète qui a changé l'histoire de la poésie. Faire cela au milieu de seize chanteuses d'Accentus, ce n'est pas évident, c'est comme si l'on avait à faire avec un mur sonore !

     

    Le 25/06/2004
    Yutha TEP


      A la une  |  Nous contacter   |  Haut de page  ]
     
    ©   Altamusica.com