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ENTRETIENS 28 mars 2024

Brigitte Engerer, le plaisir renouvelé

Avec trois nouvelles parutions discographiques ces derniers mois, Brigitte Engerer revient plus que jamais sur le devant de la scène avec comme mot d'ordre le plaisir. Et cela marche, comme on a pu l'entendre dans un Requiem allemand de Brahms avec Accentus, Laurence Equilbey et Boris Berezovsky. La pianiste française nous confie ses nouvelles sensations.
 

Le 12/07/2004
Propos recueillis par Yutha TEP
 



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  • Trois disques en quelques semaines, vous vivez une période décidément active.

    Je n'avais pas enregistré depuis longtemps, parce que je n'avais pas d'envie particulière, et que je préférais attendre qu'un projet soit lié à une envie précise liée à un contexte précis. C'est ce qui est important au disque : il ne faut pas enregistrer pour enregistrer, mais le faire soit parce qu'on peut apporter quelque chose à la vision que l'on a d'un compositeur, soit parce que l'enregistrement vous apporte quelque chose à vous. C'est un don mutuel.

     

    Le disque Intrada avec Henri Demarquette présage-t-il d'une collaboration suivie avec ce label ?

    Intrada a pour politique la promotion de jeunes artistes, je n'ai donc pas d'autres projets prévus avec ce label. Pour le disque Chopin, c'est Henri Demarquette qui m'a demandé si je voulais enregistrer ce programme que nous avons beaucoup donné en concert. Nous avons fait les transcriptions nous-mêmes : il existait déjà des transcriptions de ces deux Nocturnes, celle par exemple de David Popper, mais elles ne me convenaient pas. La solution simpliste, c'est évidemment de donner la mélodie au violoncelle et de laisser l'accompagnement au piano. Je n'appelle pas cela une transcription
    Et mon rôle n'était en outre pas très agréable. J'ai essentiellement proposé qu'on échange régulièrement les thèmes. La musique est un langage, et pour que ce langage existe, il fallait que l'on soit deux pour qu'il y ait un échange ! Evidemment, il y a eu parfois des discussions, nous avions très envie l'un et l'autre d'avoir tel ou tel thème !

     

    Parlez-nous de vos Rêves d'Amour.

    René Martin voulait un disque illustrant la Folle Journée consacrée à la Génération 1810. J'ai essayé au travers de cet éventail de pièces soi-disant faciles, de raconter une histoire, de traduire tous les aspects de ce sentiment qu'on appelle amour : amour héroïque avec la musique révolutionnaire, amour tragique avec Mozart, etc. Ce sont ces fameuses pièces qu'on joue pour soi ou en bis, parce qu'on joue toujours ce qu'on aime le plus en bis. En tout cas, c'est vrai pour moi. De toute façon, je suis incapable de faire une seule note qui ne me tienne pas à coeur.

     

    Le Requiem allemand avec Accentus vous tient particulièrement à coeur.

    Il s'agit de la version pour quatre mains ou pour deux pianos. Brahms lui-même a fait cette transcription, et à Londres, la première audition du Requiem s'est faite dans cette version-là. Dans une lettre, il a écrit qu'il sortait tout droit de l'enfer parce qu'il venait de terminer cette transcription. C'est une expression très amusante s'agissant d'un Requiem ! Mais il est vrai que ce travail lui a demandé des mois. Nous avons opté pour deux pianos dans le but d'avoir plus de richesse sonore. C'est totalement exaltant de jouer une oeuvre d'une si grande profondeur et d'une si grande beauté. Il y a une lumière inouïe sur la vie future, avec ce dernier mouvement qui donne vraiment un espoir de paradis et de vie idéale, cette douleur aussi qui transparaît dans le second choeur, alors que l'impression générale est plutôt celle d'une grande sérénité devant la mort. Avec deux pianos, il faut bien sûr s'inspirer des couleurs orchestrales, mais il est inutile d'être la grenouille qui veut se faire aussi grosse que le bœuf, c'est-à-dire essayer de reproduire le volume sonore de l'orchestre. C'est une toute autre version, et Accentus est un choeur de chambre. On entend des détails que l'on ne perçoit pas forcément dans la version pour orchestre, on gagne en transparence, en clarté, sans rien perdre en profondeur, ni en douleur. Tout devient en quelque sorte plus humain. Mais j'avoue que ma motivation est essentiellement venue de l'immense plaisir que j'ai eu à jouer cela.

     

    Votre complice au piano, c'est Boris Berezovsky.

    Je fais cela avec Boris Berezovsky, mais au Festival d'Aix-en-Provence, il y a deux ans, c'était avec Marie-Josèphe Jude. Avec Boris, nous nous sommes musicalement comme des jumeaux, cela veut dire que s'il veut une chose, elle me paraît naturelle, et vice versa. Bien sûr, il faut un certain travail et des discussions dans l'élaboration des choix, mais une fois sur scène, nous n'avons pas besoin de réfléchir pour nous trouver, nous respirons ensemble, et c'est ce qui compte. Il y a une fusion, je dirais, naturelle.

     

    Et Laurence Equilbey ?

    Avant le disque, on avait donné quatre ou cinq fois l'oeuvre au concert. Avec Laurence, nous avons commencé à travailler ensemble en 2001, cela fait donc trois ans, précisément pour le Requiem allemand à Aix-en-Provence. C'est une musicienne extraordinaire, d'une droiture rare : elle ne fait aucune concession sur le plan musical, c'est merveilleux de travailler avec une telle personnalité. Là encore, les échanges se sont faits naturellement : c'est, je le répète, une condition indispensable pour que je travaille avec quelqu'un.

     

    D'autres projets avec elle ?

    Avec Laurence donc, on a donné le Via Crucis de Liszt en février dernier (à la Folle Journée de Nantes), une oeuvre absolument remarquable, un voyage incroyable au fil des mouvements. On y trouve un mysticisme complètement à nu, celui d'un homme seul face à sa vision de Dieu. C'est totalement différent du Requiem de Brahms, où l'on trouve un côté charnel, avec une douleur humaine toujours présente, malgré la force enveloppante de Dieu et la vision du paradis. Dans le Via Crucis, le dépouillement est total, avec des harmonies étranges : on a l'impression que Liszt ouvre les portes du piano du XXe siècle. Il n'y a aucun effet visant à traduire un discours théâtral : Liszt ressent cette oeuvre du point de vue unique de la foi. Cela n'est pas si étonnant de la part de Liszt, qui a passé sa période durant laquelle il se battait pour affirmer son statut social en tant que compositeur et interprète.

     

    Avec le Requiem de Brahms, vous avez en quelque sorte exploré un monde sonore pour vous inhabituel.

    Je suis fascinée par la richesse contrapuntique d'un choeur, ce mariage aussi entre l'ampleur et la douceur des sonorités. Un choeur, cela peut être énorme, et même temps, c'est toujours absolument rond. Le piano est quand même un instrument à percussion, aspect que nous tentons, nous autres pianistes, de compenser par le legato ou le chant, en tout cas dans le répertoire romantique. J'ai une folle envie de me fondre dans la sonorité d'un choeur, de chercher des couleurs au diapason de la diversité des sonorités des voix. C'est un plaisir immense, en partie aussi parce que le choeur ouvre tout un imaginaire. Quand nous avons commencé à travailler Brahms avec Laurence, je suis restée sans souffle, j'étais complètement immergée dans la beauté de ce que j'entendais autour de moi. J'étais comme sur une autre planète.

     

    Le 12/07/2004
    Yutha TEP


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