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ENTRETIENS 26 avril 2024

Le passé retrouvé (2) :
Leonie Rysanek

Août 1974 au Festival de Salzbourg : Leonie Rysanek vient de chanter l'Impératrice dans La Femme sans ombre de Richard Strauss. Un triomphe. Depuis ses débuts en Sieglinde en 1951 à vingt ans au festival de Bayreuth, elle est l'un des super stars du monde lyrique, notamment au Met de New York. La soprano autrichienne a encore quelques grands rôles à découvrir et presque un quart de siècle de carrière devant elle.
(Entretien du 23 août 1974 à Salzbourg pour Le Quotidien de Paris).

 

Le 19/07/2004
Propos recueillis par GĂ©rard MANNONI
 



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  • Comment choisissez-vous un rĂ´le ?

    Je commence par regarder la partition et si l'écriture vocale semble me convenir, je regarde de quel personnage il s'agit. Cela fait presque vingt ans que je chante l'Impératrice de La Femme sans ombre. C'est l'un de mes plus anciens rôles. J'étais très jeune quand je l'ai abordé. Je devais chanter la Teinturière mais quand j'ai vu la partition, j'ai trouvé plus excitant d'avoir à chanter les notes aiguës de l'Impératrice. Alors j'ai décidé que c'était l'Impératrice que je voulais chanter. Mais vous savez, c'est quand-même très difficile ! Parfois, quand je suis dans le petit ascenseur de scène qui me monte tout en haut pour ma première entrée, à moitié coincée avec ma grande robe et ma grande coiffure et ces terribles aigus qui m'attendent d'entrée de jeu, je me demande si je ne suis pas folle de prendre tous ces risques au lieu de rester tranquillement chez moi ou de chanter tous les soirs la prière de Tosca !

     

    Quel est votre secret pour émettre aussi aisément des aigus pareils ?

    Je n'ai aucun secret ! J'ai toujours eu ces aigus très faciles, sans problème. Ils sortent tout seuls. C'est pourquoi je peux leur donner toute leur portée dramatique dans des rôles comme celui-ci ou comme Salomé. Même très jeune, je n'ai jamais eu de difficultés dans ce domaine.

     

    Comment vous préparez-vous à un nouveau rôle ?

    Il me faut du temps. Je m'y prends au moins deux ans à l'avance. Je vais chanter Kundry dans un mois. J'ai beaucoup travaillé car c'est un rôle très long, presque comme deux Tosca. Si un rôle est bon pour ma voix, ça fonctionnera. De toute façon, je ne supporte pas d'aborder la première répétition sans savoir totalement mon rôle. Comment pouvez-vous espérer jouer sans cela ?

     

    Vous chantez indifféremment les grands répertoires italien et allemand. Les abordez-vous avec une technique différente ?

    C'est un grand sujet de dispute entre les chanteurs. Zinka Milanov est venue un jour me trouver au Met pour me demander de manière assez agressive comment je pouvais chanter Verdi, Puccini, Wagner et Strauss, car ce sont, selon elle, des musiques « qui nĂ©cessitent des techniques diffĂ©rentes Â». Je lui ai dit que pour moi, il n'y avait qu'une seule technique, mais seulement des styles diffĂ©rents. Mon secret est peut-ĂŞtre d'essayer de faire toujours des sons aussi beaux que possible.

     

    On a parfois dit que dans Elektra, Hofmannsthal était du côté d'Elektra et Strauss de celui de Chrysothemis. Qu'en pensez-vous ?

    Elektra est l'un de mes opéras préférés et j'aurais adoré chanter le rôle-titre. J'ai essayé mais j'ai vite compris que c'était Chrysothemis qui était pour ma voix. Elektra est pour celle de Birgit Nilsson ! Et puis, dans cette histoire absolument horrible, Chrysothemis est la seule personne à peu près normale, du moins en apparence.

     

    Est-ce pour le même genre de raisons que vous préférez Sieglinde à Brünnhilde ?

    Même si j'avais la voix pour chanter Brünnhilde, je préférerais Sieglinde. Je pense que dans aucun de ses opéras, Wagner n'a créé une femme aussi digne d'amour et aussi adorable. C'est un rôle tellement humain, émouvant. Elle est absolument tout : amante, soeur, mère, victime et finalement victorieuse. Un personnage exceptionnel.

     

    C'est avec Sieglinde que vous avez débuté à Bayreuth et que vous êtes devenue mondialement célèbre en 1951 lors de la réouverture du festival. Quel souvenir en gardez-vous ?

    J'Ă©tais effectivement toute jeune, fauchĂ©e et Ă  la recherche de contrats. Je suis partie auditionner avec ma valise dans plusieurs théâtres. En passant par Bayreuth, j'ai auditionnĂ© pour Wieland Wagner. J'espĂ©rais avoir peut-ĂŞtre, avec de la chance, une Fille-fleur dans Parsifal, ou une Fille du Rhin, ce qui m'aurait semblĂ© inespĂ©rĂ©. Je m'apprĂŞtais Ă  quitter la chambre que j'avais louĂ©e quand ma logeuse m'a dit qu'on me demandait au tĂ©lĂ©phone. C'Ă©tait pour me fixer un rendez-vous pour dĂ®ner le soir Ă  l'auberge Le Hibou avec Wieland. Nous avons commencĂ© Ă  parler et comme je fumais cigarette sur cigarette, il a pris celle que je venais d'allumer, l'a Ă©crasĂ©e dans le cendrier en disant « Ma Sieglinde ne fume pas ! Â». J'ai cru que le ciel me tombait sur la tĂŞte !

     

    Quels rôles du répertoire français aimeriez-vous chanter ? Mélisande ?

    Non. C'est trop grave pour moi. Je pourrais le faire, bien sûr, mais je ne sens pas le personnage. J'ai chanté Louise à mes débuts, mais je crois que tout était mauvais dans ce spectacle, avec des voix trop lourdes et même Knappertsbusch au pupitre ! L'esprit de Paris n'était pas au rendez-vous.

     

    Pourquoi ne vous produisez-vous pas dans le lied ou la mélodie ?

    Je suis une femme de théâtre. J'ai absolument besoin d'incarner un personnage, avec un costume, une perruque, des partenaires. Si je devais me trouver toute seule a côté d'un piano devant le public, je serais terrorisée et je crois que pas un son ne sortirait de mon gosier ! Je ne pourrais même pas ouvrir la bouche. Pour un concert avec orchestre, je me sens déjà moins seule, mais je n'aime pas beaucoup ça.

     

    Vous effectuez l'une des plus glorieuses carrières du monde lyrique actuel. Etait-ce cela que vous espériez en commençant ?

    Je crois que tout débutant rêve d'aller très haut. C'est ça qui donne le courage de travailler, d'affronter professeurs, auditions, chefs d'orchestre, collègues et prises de rôles. Je suis heureuse des rôles que ma voix me permet d'aborder, car j'ai beaucoup d'énergie à donner sur scène et je n'aurais pas aimé ne pouvoir chanter que Dorabella ou Cherubino. Mais je sais que toute carrière est fragile. Je suis très prudente. J'ai laissé tomber beaucoup de rôles où je ne me trouvais pas aussi bonne que je le souhaitais. Je mène une vie très sage et je ne chante surtout pas trop souvent.

     

    Jusqu'oĂą vous aventurez-vous dans le domaine de la musique contemporaine ?

    Pas plus loin qu'Hindemith. Ce n'est pas que je n'aime pas la musique d'aujourd'hui, mais je la trouve mal écrite et dangereuse pour la voix, pour la mienne tout au moins. J'aurais aimé chanter Marie dans Wozzeck, mais personne ne le demande jamais !

     

    Avez-vous aimé chanter à Orange ?

    Chanter dans le théâtre antique est à la fois grisant et terrifiant. Quand on sort sur le plateau les soirs de mistral, on a l'impression de surgir sur le pont d'un bateau en pleine tempête ! De manière générale, je n'aime pas beaucoup chanter dans ces grands lieux de plein air. L'acoustique est si spéciale que l'on ne peut pas vraiment contrôler ce que l'on fait. On n'entend pas l'orchestre. Mais sinon, c'est un lieu fabuleux.

     

    Quels nouveaux rĂ´les allez-vous maintenant aborder ?

    Il y aura Dalibor de Smetana, qui est le Fidelio tchèque, c'est la même histoire, et une partition magnifique. Je ferai ensuite ma première Salomé à New York, puis Médée, la Gioconda, Kundry. Que des rôles difficiles !

     

    Quels sont selon vous les dangers et les avantages du disque ?

    Je trouve que le disque est très dangereux. Quand on enregistre, on refait plusieurs fois la même chose si besoin est. On arrive ainsi à une sorte, sinon de perfection, du moins de quelque chose qui s'en approcherait si elle était possible. Et puis, vous vous présentez en scène. Et là, tout peut arriver, forme ou méforme, petit accident passager, et le spectateur habitué au disque attend la même qualité. Ce que l'on fait en studio est fabriqué, ça n'a plus rien de vrai. Ça n'est pas honnête, et c'est épuisant. Je me rappelle, pour je ne sais plus quel opéra, avoir fait trente fois la même prise car il y avait toujours quelqu'un pour qui ça n'allait pas ! Mais malgré toutes ces réserves, quand un rôle vous va vraiment bien, c'est tentant d'en laisser la trace.

     

    Aimez-vous chanter à l'Opéra de Paris ?

    J'y étais déjà venue très jeune, lors d'une tournée de l'Opéra de Vienne en France. Ensuite, ça a été plus sérieux. Je n'ai jamais connu de flop à Paris, alors j'adore le Palais Garnier !




    A suivre...


    La semaine prochaine : Peter Sellars

     

    Le 19/07/2004
    GĂ©rard MANNONI


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