altamusica
 
       aide















 

 

Pour recevoir notre bulletin régulier,
saisissez votre e-mail :

 
désinscription




ENTRETIENS 29 mars 2024

Le passé retrouvé (3) :
Peter Sellars


Peter Sellars

Bobigny en 1991, en vue de la création française de Nixon in China de John Adams. L'ouvrage a encore une portée politique brûlante. Le metteur en scène Peter Sellars a l'habitude d'éclater d'un célèbre et immense rire tonitruant et clair, bien connu dans le monde l'opéra, qui sera rappelé ici par des points d'exclamation multiples qui donnent une couleur différente à certains propos.
(Entretien réalisé en 1991 pour Le Quotidien de Paris)

 

Le 26/07/2004
Propos recueillis par Gérard MANNONI
 



Les 3 derniers entretiens

  • Ted Huffman,
    artiste de l’imaginaire

  • Jérôme Brunetière,
    l’opéra pour tous à Toulon

  • Jean-Baptiste Doulcet, romantique assumé

    [ Tous les entretiens ]
     
      (ex: Harnoncourt, Opéra)


  • Nixon in Chine est un opéra à la fois très contemporain et très traditionnel. Vous avez participé avec John Adams à l'élaboration de l'oeuvre. Comment êtes-vous parvenu à concilier ces deux caractères ?

    Nous avons essayé en effet de créer une oeuvre à la fois nouvelle et absolument traditionnelle. Notre époque est très conservatrice, surtout aux Etats-Unis. Tout a été conçu pendant que j'étais directeur au Kennedy Center à Washington, pendant le deuxième mandat de Reagan. Une période affreuse à Washington, sous l'aile de l'extrême droite. Il fallait trouver la stratégie pour mettre en question Reagan devant ce public. Nixon en Chine est délibérément un paquet emballé d'une manière délicieuse, luxueuse, pour faire plaisir à un public républicain et communiste (!!!), les deux (!!!!). C'est ça qui est si fascinant. D'une part, il s'agit de traiter Richard Nixon comme un être humain, ce qui est déjà choquant et provocant, et de représenter les personnages comme Mao Tse Tung, Chou En Lai, des mythes parmi les plus importants de notre siècle, en reprenant un chapitre de l'histoire de la Chine qui s'est déroulé pendant notre vie mais que nous n'arrivons pas à comprendre, même aujourd'hui : la Grande Marche. Incroyable ! Un des mouvements les plus étonnants de notre siècle, mais incompréhensible. On discute encore les faits essentiels de cette saga et ce qui est secret le reste toujours. On ne sait toujours rien de ce qui se jouait derrière la scène entre Mao et madame Mao. Ça continue à rester une époque très mystérieuse pour nous.

     

    Le voyage de Nixon en Chine a quand même été un événement politique majeur.

    Nixon en Chine c'est un très grand événement où l'Amérique reconnaît enfin la troisième puissance du monde, mais c'est totalement absurde de la reconnaître soudain, alors qu'on ne reconnaissait rien, puisqu‘on ne sait rien de ce qu'on voit. C'est un malentendu total. C'est toujours vrai puisque nous ne savons absolument pas comment réagir devant le massacre de Tien An Men. La Chine reste quelque chose qu'on ne comprend pas. Cet opéra parle donc d'une certaine connaissance des êtres humains, mais aussi des grands gouffres, des abîmes entre les cultures, les histoires. Une figure comme Nixon est tragique, alors que Reagan ne l'est pas. Reagan ne se rend compte de rien, alors que Nixon est conscient que quelque chose ne colle pas. Nixon et Pat sont des figures fatales. Ils ont un vrai contenu, mais ils sont aussi des figures satiriques, ridicules, qu'on ne peut pas prendre au sérieux. L'opéra parle de ces contrastes, de ces contradictions et c'est pourquoi il est lui-même une contradiction, à la fois absurde et sérieux, héroïque et pathétique, un vrai grand opéra et un tout petit divertissement amusant.

     

    C'est aussi quasiment le seul opéra contemporain qui parle de notre siècle et de notre histoire.

    Exactement. Et ce que j'adore dans la musique de John Adams, c'est qu'avec une école contemporaine un peu académique qu'il pratique avec beaucoup d'intégrité, on y trouve aussi bien Mahler et Chostakovitch que Glenn Miller ou Jerry Lee Lewis, absolument toutes les influences. Sa palette est vraiment de notre époque, avec de grands gestes et aussi de tous petits moteurs. Je pense qu'une partie de la musique contemporaine est très intéressante du point de vue musical mais pas présente du point de vue dramatique. Ce qui est fabuleux avec la musique de John Adams, c'est qu'elle est comme la musique de Verdi ou de Mozart, très théâtrale, pour un grand public, mais bien entendu dans un style complètement différent. Elle saisit les moments du drame. Comme chez Verdi ou Mozart, on peut faire une analyse très complexe de la partition, mais un public qui n'y connaît rien peut très bien applaudir et y trouver de vraies émotions. Ça renouvelle une tradition selon laquelle l'opéra est pour un grand public, une forme populaire. Au XVIIIe siècle, les opéras se référaient à une mythologie bien connue de tous. Ici aussi, on connaît déjà les personnages. C'est une stratégie pour attirer un très grand public, mais on se rend compte ensuite qu'il s'agit de quelque chose de beaucoup plus profond et complexe qu'il n'y paraissait au premier abord. Le premier acte se passe de façon plutôt courtoise et tout devient plus noir et intériorisé au troisième.

     

    C'est également sensible dans l'écriture musicale ?

    Le deuxième tableau du premier acte est d'un style d'écriture proche de Stravinsky. Ca rappelle aussi un peu la scène avec le Grand Inquisiteur dans Don Carlo. On a pendant vingt minutes deux hommes politiques qui parlent. Ou encore dans Khovantchina. Ici, à la fin du premier acte, c'est un climat rossinien. On a bien entendu le ballet au deuxième acte (!!!). C'est vraiment traditionnel ! C'est ça que j'adore. Il y a une certaine puissance et une certaine ironie. J'adore la présence de ces deux qualités. De l'ironie avec de l'émotion véritable et de la sincérité. C'est aussi notre époque.

     

    Comment rendre tout cela scéniquement ?

    Il faut être très prudent et trouver un équilibre très délicat. Si c'est trop gros, on rate tout. Si c'est simplement sincère, c'est Puccini. Il faut se situer sur une ligne très étroite. C'est un travail très raffiné, très mesuré. Ce qui est bien, c'est que nous avons la même distribution que pour la première il y a quatre ans. Les chanteurs font maintenant les choses de façon si précise et nuancée que c'est vraiment un jeu très subtil. La grande différence avec un opéra de répertoire, comme Don Carlo, c'est qu'il n'y a pas besoin d'imaginer. Nous avons la vidéo (!!!!). Je peux toujours me référer aux actualités télévisées (!!!!) mais j'ai mélangé ça avec pas mal d'éléments de l'opéra traditionnel chinois de Shanghai du XVIIe siècle. On est toujours entre les deux, un peu documentaire mais très abstrait. On a cet espèce de réalisme et de théâtre abstrait. Faire cette mise en scène a été un plaisir, mais aussi un travail très intense car si on se relâche un peu trop, ça devient nul. Ça doit être juste à chaque seconde. Si ça devient simplement satirique, c'est également raté. Surtout au troisième acte où il y beaucoup d'émotion, un désespoir, une tristesse réelle au fond de ces personnages que nous ne connaissons que comme des effigies publiques. Dans les deux premiers actes, il s'agit toujours de moments publiques. Dans le troisième, ce ne sont que des moments privés. C'est là qu'on se demande si tout ce qui a été fait a servi à quelque chose, si ça valait ou non la peine. A-t-on fait du bien ou pas ? C'est une question difficile pour tout être humain, mais quand elle est posée par ces personnages, elle prend une tournure un peu amère et un peu vaine. L'opéra arrive alors à un tout autre niveau, même du point de vue de l'écriture musicale. C'est presque l'écho viennois, psychologique, énervé, funéraire (!!!!).

     

    Si les chanteurs sont les mêmes, la mise en scène est-elle aussi celle de la création ?

    J'ai refait une mise en scène après le massacre de Tien An Men. Le sujet est devenu beaucoup plus proche de nous. Je l'ai refaite de façon beaucoup plus tragique, beaucoup plus rageuse. Je pense que l'enregistrement a été fait trop tôt car maintenant le jeu musical est beaucoup plus développé. Le travail des chanteurs est aussi à un autre niveau. Je vais attendre deux ans et faire moi-même une vidéo. Celle qui existe a été réalisée le deuxième soir avec un orchestre qui ne pouvait pas bien jouer cette oeuvre et des comédiens encore sous le choc. Je pense que ça devait être pareil pour la 5e symphonie de Beethoven (!!!). Je ne regrette pas de n'avoir pas entendu sa deuxième exécution. Je préfère l'avoir fait quand on savait la jouer (!!!). Comme pour les enregistrements des années 1930 des oeuvres de Stravinsky. On ne savait tout simplement pas les jouer ! Je veux des enregistrements plus tardifs (!!!).

     

    Avez-vous été beaucoup en Chine ?

    Oui, mais bien avant de faire cet opéra. Si je l'ai fait, c'est d'ailleurs parce que je connaissais la Chine. Ma mère avait été l'une des premières américaines à s'y rendre dans les années soixante-dix. Je suis absolument passionné par la culture chinoise.




    A suivre



    La semaine prochaine : Christa Ludwig

     

    Le 26/07/2004
    Gérard MANNONI


      A la une  |  Nous contacter   |  Haut de page  ]
     
    ©   Altamusica.com