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ENTRETIENS 29 mars 2024

Le passé retrouvé (4) :
Christa Ludwig

Christa Ludwig vient de chanter la Maréchale du Chevalier à la rose à l'Opéra de Paris. Elle parle ici, avec beaucoup d'humour et une modestie stupéfiante pour être l'une des plus grandes cantatrices de l'époque, de son travail, de sa carrière, du chant et de l'opéra. L'interview a été réalisée en français et nous avons gardé certaines formulations sympathiques de la cantatrice qui parle au demeurant fort bien notre langue.
(Entretien réalisé en 1974 pour Le Quotidien de Paris).

 

Le 02/08/2004
Propos recueillis par Gérard MANNONI
 



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  • Quels sont les grands évènements ou les grandes rencontres qui ont marqué des tournants dans votre carrière ?

    Ma grande carrière a commencé quand je me suis mise à chanter des rôles que je ne devais pas chanter, autrement dit les rôles de soprano. Ça a commencé avec Fidelio, puis Kundry. Tout ça a fait avancer ma carrière. J'étais bien, mais ce n'était pas ma voix. Je me forçais, car je suis mezzo-soprano. Mais grâce à ça, j'ai fait une grande carrière avec des cachets doubles. C'était le signe extérieur de réussite !

     

    Avant de chanter ces rôles, vous aviez quand même fait une carrière internationale considérable.

    Oui, avec Chérubin et Dorabella, le Compositeur et Octavian aussi. Tous les travestis. Ce n'était pas intéressant du tout. J'ai chanté pour la première fois au Metropolitan Opera de New York Chérubin et Octavian, mais ce n'était pas un très grand succès. Comme-ci, comme-ça ! J'ai eu beaucoup plus de succès avec Amnéris ou Brangaine.

     

    C'était pourtant la grande époque viennoise, avec des plateaux extraordinaires, avec des gens comme Elizabeth Schwarzkopf.

    J'ai eu le bonheur que Madame Schwarzkopf me pousse un peu dans la carrière parce qu'elle aimait ma voix et que son mari Walter Legge faisait des disques. Mais c'est pareil aujourd'hui. Tous les jeunes mezzos font la même chose que moi. Voyez Brigitte Fassbaender, et avant moi c'était Sena Jurinac ou Martha Rose.

     

    Alors vous avez décidé un jour de sortir de ce répertoire ?

    Parce que je déteste chanter toujours la même chose. Je voulais essayer d'élargir mon répertoire. Mon rêve était Fidelio, parce que ma mère l'avait chanté avec Karajan en 1934. Je savais que ce n'était pas possible parce que je ne suis pas soprano. Mais un jour Karajan me l'a demandé, mais Legge et Klemperer l'avaient fait avant. Alors on a fait le disque. J'y suis arrivée. Mais j'en ai parlé par exemple avec Troyanos. C'est toujours le même genre de voix, mezzo aigu ou soprano-mezzo. On peut le faire, et aussi la Maréchale et Ariane. C'est possible mais avec une très bonne technique et en vivant comme une nonne. C'est comme un problème de mathématique. Il faut savoir ce qu'on fait avec sa voix en scène pour ne pas mourir au milieu du rôle ! Ni Troyanos ni Fassbaender ne veulent le faire, parce que c'est trop dangereux ou trop de travail. Mais moi j'aimais trop ce rôle. Je me suis dit : le chanter une fois et mourir après ! En fait, vous voyez, je ne suis pas morte. Ah ! Je suis morte souvent sur scène, morte de peur ! J'ai toujours très peur. Je prends des tranquillisants : deux, trois ou quatre, mais ça ne sert à rien. Si vous avez vraiment le trac, rien n'y fait. On a des papillons dans l'estomac et ça fait trembler la voix.

     

    Ça ne vous arrive jamais, à vous. Je ne vous ai jamais entendu avec la voix qui tremble.

    Mais si ! J'ai un disque de Brangaine avec Böhm à Bayreuth. J'étais tellement nerveuse. Je ne peux pas l'entendre : ma voix y tremble comme une sonnette.

     

    Vous me parliez de Schwarzkopf, mais elle a fait toute sa carrière avec cinq ou six rôles. Vous, vous chantez un nombre de rôles plus grand que quiconque.

    Avant de se fixer sur ces cinq ou six rôles, elle en avait chanté beaucoup plus en début de carrière. Moi, c'est parce que je cherche toujours du nouveau. Et puis, je n'ai pas un seul rôle où je suis vraiment parfaite, comme Schwarzkopf. Elle s'est identifiée avec des rôles, comme la Maréchale, avec la Comtesse des Noces et celle de Capriccio. Peut-être une fois Dorabella, c'était moi. Mais ce n'est pas arrivé souvent.

     

    Votre Teinturière dans la Femme sans ombre est pourtant une incarnation mémorable.

    Mais ce n'est pas du tout pour ma voix. C'était une identification avec moi, mais pas avec ma voix. J'ai pu le faire très bien avec Böhm ou avec Karajan parce qu'il ont coupé ce que je ne pouvais pas chanter. Solti ne fait pas beaucoup de coupes et je n'aurais pas pu le faire avec lui. Böhm connaît parfaitement les possibilités des voix et de la mienne en particulier. Il m'a dit qu'il allait faire des coupures parce qu'il savait où les sopranos meurent dans cette partition. C'est pour ça que j'ai pu le chanter. Il a voulu faire la Femme sans ombre pour ses soixante-dix ans à Salzbourg. Il m'a demandé si je voulais chanter la Nourrice. J'ai dit que j'allais regarder le rôle. Le lendemain, Karajan est venu me demander si je voulais chanter la Teinturière. J'ai dit que j'allais regarder. Quand j'ai vu le rôle de la Teinturière, je me suis que ce n'était pas pour moi. Quand j'ai vu celui de la Nourrice, je me suis dit que ce n'était pas non plus pour moi. Alors j'ai appris les deux ! Et après j'ai chanté la Teinturière. Mais Solti vient de me demander la Nourrice. En fait, toutes les deux sont très très difficiles à chanter.

     

    Vous allez vraiment chanter la Nourrice ?

    En principe, je dois faire le disque avec Solti et peut-être aussi à la scène. Mais je ne sais pas vraiment, c'est aussi très difficile. On doit crier. La Teinturière, je peux la chanter, c'est plus lyrique que la Nourrice. La nourrice, elle, a plus de caractère. Enfin bon, on verra bien.

     

    Je suis très étonné de vous entendre parler sans cesse de difficulté car en vous entendant à la scène comme au disque, vous donnez toujours une grande impression de naturel, de sûreté et de facilité. C'est une question de technique ?

    C'est le travail. Lilli Lehman a dit que si on ne donne pas l'impression au public que tout est facile et naturel c'est que l'on n'a pas assez travaillé. Ma mère m'a inculqué les même principes. Je n'ai travaillé qu'avec elle et je continue. A la scène, je parle aussi beaucoup avec le metteur en scène. Il faut discuter avec lui car il ne sait pas si ce qu'il demande est bon pour la voix, pour l'appui, pour le souffle. Il ne sait pas ça. On peut donc discuter, bien qu'il existe des metteurs en scène stupides.

     

    Il y a aujourd'hui beaucoup de metteurs en scène qui viennent du théâtre et ne connaissent pas du tout l'opéra.

    Ça, c'est terrible. Par exemple dans La Walkyrie il faut quelques pas pour aller d'un côté à l'autre et si le metteur en scène ne sait pas combien de temps ça dure, c'est ridicule ! Le metteur en scène doit savoir la musique autant que le texte.

     

    Quels sont actuellement les rôles qui vous donnent le plus de satisfaction, de plaisir ?

    En principe les personnages qui ont une évolution à la scène comme la Teinturière dans la Femme sans ombre. Elle est d'abord presque froide et après, elle connaît la vraie vie, l'amour. Lady Macbeth aussi. Elle a une évolution trop rapide sans doute. Elle devient folle trop vite ! J'aime bien aussi la Maréchale, mais il faut la voir au début dans son lit. Certains metteurs en scène ne veulent pas la montrer dans son lit. Dès le commencement, ils la mettent sur une chaise, sur un sofa. Mais pour l'évolution de cette femme, c'est important de la voir d'abord dans le lit et ensuite en train de voir son amant avec une autre. J'aime aussi beaucoup Ortrud, mais elle est toujours méchante. Alors ce n'est pas intéressant du tout. Amnéris est intéressante parce qu'au dernier acte elle exprime un vrai amour. J'aime aussi beaucoup Clytemnestre, bien que je n'ai pas eu encore de bon metteur en scène pour ce rôle. Je me rappelle toujours Regina Resnik qui a fait une vraie réflexion psychologique sur le personnage. On doit faire ça beaucoup mieux que je ne le fais, parce que je ne sais pas comment faire. Alors je cherche le metteur en scène qui me l'apprendra.

     

    Passer de Verdi à Wagner, à Strauss, à Mozart, à la mélodie, cela demande-t-il des techniques différentes ?

    En général, je chante toujours de la même manière. Par ce que je viens de Mozart et des Lieder, je chante tout avec une voix pour Mozart, même Wagner ou Strauss. Ne jamais chanter trop gros, sinon on ne peut pas grossir la voix alors que si on chante petit, on peut toujours grossir la voix. Mon père qui était aussi professeur de chant disait toujours qu'il faut chanter comme le clocher de la cathédrale de Cologne, long et mince. Mais si je chante un opéra et que je veux ensuite chanter des Lieder, il me faut au moins cinq ou six jours pour avoir la voix adéquate.

     

    En récital, vous paraissez sérieuse et posée. A l'opéra, vous semblez vous amuser.

    En récital , je suis moi-même. Sur scène, je joue, c'est vrai. Dans la vie je suis plutôt rieuse, mais j'aime les Lieder tristes, qui parlent de la mort, des chagrins d'amour, où on peut pleurer. Ça va avec ma voix. J'ai chanté beaucoup de Lieder joyeux, mais si je le fais maintenant, je me trouve stupide ! Je me sens meilleure dans les Lieder lents et tristes. J'ai chanté un récital Brahms avec Bernstein et Brahms est toujours triste. Dans chaque mélodie il était question de mort, de cimetière, de tristesse, de sommeil et Bernstein et moi, nous avons fini par être morts de rire devant cette tristesse perpétuelle !

     

    Vous commencez à enseigner et vous avez quelques élèves dont vous êtes très fière.

    Je n'ai jamais été fière de ma carrière, sauf pour une seule chose : je chante depuis trente trois ans, ce qui est beaucoup, et je suis fière de ne pas avoir abîmé ma voix. Ça aurait pu arriver avec tout ce que j'ai chanté. Callas a dit que sa voix n'était pas un ascenseur, mais la mienne est un ascenseur ! J'ai beaucoup de plaisir à faire travailler mes élèves et je veux en faire encore davantage en ce domaine dans le futur. Pour l'instant, tant que je chante, je ne peux en faire trop car pour enseigner, il faut parler beaucoup. Mais ce que j'ai fait me satisfait énormément car je crois que je peux les aider. J'ai eu des problèmes avec ma voix et je les ai surmontés. C'est fondamental pour un professeur. Si on chante seulement avec facilité, on ne sait pas comprendre les difficultés des élèves ni les aider à en sortir. Beaucoup de chanteurs chantent sans savoir exactement ce qu'ils font car leur voix est là. Ma voix n'était pas là quand j'étais jeune. J'ai toujours eu une très belle voix, mais courte, sans aigu du tout. J'ai tout gagné demi-ton par demi-ton, mais je n'ai jamais chanté sur scène une note sans savoir ce que je faisais. Au début c'était un grand travail et un grand obstacle à surmonter. C'est pourquoi j'ai commencé ma carrière presque tard. Je n'ai débuté à Salzbourg qu'à vingt-sept ans. Rysanek à trente ans était déjà une grande star en Amérique. Mais c'est peut-être pour ça que je peux encore chanter pas mal, parce que je sais ce que je fais.

     

    Y a-t-il une musique que vous n'aimez pas chanter ?

    En fait, je n'aime rien chanter, c'est trop de travail ! Si j'avais su qu'il fallait tant travailler, je n'aurais jamais fait ce métier. La vraie satisfaction, c'est d'apporter un peu de bonheur aux gens. Mais chaque fois que je me réveille la nuit, j'essaie de voir si la voix est encore là. On ne peut jamais oublier la voix.

     

    Y-a-il encore des rôles que vous aimeriez aborder ou avez-vous chanté tout ce que vous souhaitiez ?

    J'ai un vrai regret : n'avoir jamais chanté Elektra. Et ça, je ne pourrai jamais. Alors je chante ce qu'on me demande, sans grande joie, sauf la Maréchale. Mais j'aime être en scène et communiquer avec un public par le chant. Je pense que je pourrais vivre sans chanter si ce n'était pas pour ça précisément.

     

    Qu'y a-t-il de plus grisant dans votre métier, l'opéra ou la mélodie ?

    Je vais vous faire une confidence. On dit souvent que j'ai un répertoire plutôt intellectuel : Mahler, Strauss, Wagner, Wolf, Schubert. Bien sûr que j'aime ça. Mais le vrai grand plaisir, je vais vous dire ce que c'est : crier très fort sur un très gros orchestre !!!




    A suivre



    La semaine prochaine : Pierre Boulez

     

    Le 02/08/2004
    Gérard MANNONI


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