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ENTRETIENS 28 mars 2024

Le passé retrouvé (5) :
Pierre Boulez

A l'heure où Pierre Boulez reprend du service en dirigeant cet été un Parsifal fortement controversé, revenons à Bayreuth vingt-cinq ans en arrière. Juillet 1980, Boulez dirigeait pour la cinquième et dernière année la mythique Tétralogie du centenaire Boulez-Chéreau-Peduzzi. Il achevait aussi l'enregistrement audio et vidéo des spectacles.
(Entretien réalisé en juillet 1980 à Bayreuth pour Le Quotidien de Paris).

 

Le 09/08/2004
Propos recueillis par Gérard MANNONI
 



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  • Comment a évolué ce spectacle depuis 1976 ?

    Son évolution a été très simple. Comme vous le savez, l'esprit est fort mais la chair est faible. Alors, la première année, pour mettre en oeuvre toutes les idées qu'on peut avoir au départ, il faut lutter contre la force d'inertie générale et contre sa propre virginité en ce domaine. On essaie de forcer les choses, et plus on veut les forcer moins elles sont naturelles. Petit à petit, l'ajustement se fait, avec soi-même d'abord, et je pense que Chéreau vous dirait la même chose, et ensuite avec les autres. D'ailleurs, ceux qui ne voulaient vraiment pas collaborer ont disparu entre temps. Nous nous trouvons donc maintenant avec une équipe homogène composée de ceux qui sont contents de participer à ce travail. Quand il n'y a plus de barrières de ce type, tout est beaucoup plus aisé. On compare ça souvent à un chemin de montagne. Quand on ne le connaît pas, on se précipite et on se trouve à bout de souffle. En revanche, quand on le connaît bien, on sait mesurer son effort. L'évolution porte essentiellement sur ce genre de choses. Avec les années qui passent, on n'est plus aussi inquiet pour tout. On le reste pour ce qui est délicat, mais on a confiance en soi, car on sait comment tout se déroule. Ce qui a beaucoup aidé, c'est quand, à partir de la troisième année, j'ai décidé de faire des répétitions partielles, avec les cordes seules, avec les vents seuls, pour voir avec eux ce qui n‘était pas en place dans le détail et que j'avais noté les deux premières années. Un peu comme dans une maison où on ne soulève jamais les tapis. Le jour où on le fait, on s'aperçoit qu'il y a plein de poussière partout. Quand les musiciens se sont sentis à découvert, ils ont compris la nécessité de la réflexion et du travail sur des détails qu'ils croyaient évidents et acquis de longue date.

     

    Dans ce travail musical, je suppose que vous avez été à la fois moteur et entraîné vous-même par la musique ?

    Tout à fait. Au début on essaie d'imposer des idées, mais de manière qui n'est pas assez sentie et qui est donc trop volontaire. Une fois qu'on a absorbé la musique, ça devient un réflexe, en ce sens qu'on prévoit les choses sans avoir à les penser. On les prévoit naturellement, notamment les changements de tempo qui sont très nombreux. On n'est plus inquiet car on sait que tout le monde suivra. On sait dans quel sens on va aller.

     

    Avez-vous l'impression d'être parvenu à ce que vous souhaitiez ?

    Au moins assez près, sauf pour certains détails qu'il faut toujours réajuster. Quand vous voyagez sur un bateau, vous voyez que les marins sont toujours en train de repeindre, de revenir, de revisser. Ici c'est pareil. Rien n'est jamais acquis. Surtout pour une oeuvre aussi complexe et pour laquelle, vu la densité de sa texture, plus ça avance, plus on a tendance à écraser, alors qu'il faut au contraire faire la place pour le voisin.

     

    A propos de voisin, vous n'avez jamais eu peur que votre évolution et celle de Chéreau ne se fassent de façon divergente ?

    Il n'y avait pas de danger car j'assiste toujours aux répétitions scéniques et lui à celles d'orchestre. Nous ne restons pas étanches. En général, nous coïncidons parfaitement, sentant très bien pour les chanteurs quand ça va contre la mise en scène ou contre la musique.

     

    Pour vous, cette cinquième année de la Tétralogie est-elle vraiment un point final ?

    Oui, je n'ai pas l'intention de continuer, même pour une production des Maîtres chanteurs comme me l'a proposé Wolfgang pour l'année prochaine. Aucune envie d'en reprendre pour cinq ans ! J'ai beaucoup investi dans une réflexion sur cette oeuvre. J'ai envie de penser à autre chose. Et puis, je ne veux pas m'implanter. Peut-être dans cinq ou dix ans, mais pas tout le temps. Ce n'est pas mon métier. J'ai aussi d'autres activités qui m'absorbent et me passionnent.

     

    Comment avez-vous vécu l'expérience du film et de l'enregistrement ?

    Ça a été un très gros travail. L'an passé, nous avions enregistré le Crépuscule, mais cette année nous avons fait les trois autres, pratiquement trois semaines d'enregistrement, avec une semaine d'interruption, pendant laquelle j'ai travaillé sur les bandes. Il y avait quand même vingt-deux heures de prises à écouter ! Le principe était le suivant : pour un acte, on avait une répétition de détail, puis une répétition d'orchestre, une répétition sur scène avec piano, que je conduisais aussi, une répétition sur scène avec orchestre et deux prises totales sans arrêter. Je dois dire que tout a été organisé de façon extraordinaire. Pas un chanteur n'a flanché car on s'était arrangés pour alterner les scènes à l'intérieur des actes de façon à les ménager. Tout s'est vraiment très bien passé. J'ai écouté le résultat. Il y a un peu de montage à faire, pas énormément, et je crois que ce sera un bel enregistrement.

     

    Est-ce que cela va sortir en disques et en coffrets séparés ou faudra-t-il tout acquérir d'un coup ?

    C'est encore en discussion avec Unitel. Ils ont fait les vidéo-cassettes et on va voir pour la bande son car les séances ont été enregistrées de trois façons différentes : avec leur dispositif habituel, avec un quatre piste digital amené par Sony à l'essai, et avec un seize piste, avec lequel on peut beaucoup plus trafiquer ensuite, spécialement vis à vis des bruits de scène. Il y en a beaucoup, et quand on écoute plusieurs fois, ça devient très gênant. Avec beaucoup de micros et beaucoup de pistes, on peut choisir le dosage que l'on veut, sans tout effacer pour garder l'impression du direct. Mais comme les micros sont parfois très près, ils enregistrent par exemple la chute de l'enclume comme un cataclysme ! Il faudra gommer ce genre de choses. Si je ne me trompe pas dans les chiffres, ça fait cent cinquante kilomètres de bande ! Presque la distance d'ici à Nuremberg ! Mais tout le monde y a participé avec courage. Ce sera un document unique, même si ça ne vaut pas le spectacle vivant. Cependant, Patrice a vu une partie des bandes vidéo et il a été très surpris de leur qualité parce qu'on voit beaucoup plus les physionomies et tout le travail de régie d'acteurs. Comme dans Lulu à la télévision. Ce qu'on perdait de l'ampleur du décor, on le gagnait sur des détails qui n'étaient pas toujours perceptibles de la salle. Mais c'est une opération très onéreuse, même si chacun y a mis du sien. Il y a une masse de gens sur le plateau, toutes les caméras, tout l'équipe de son. Un immense travail, mais très encourageant car tout le monde était heureux que ce soit fait. Nous sommes tous dans une sorte d'euphorie. On se dit que c'est la dernière fois et on y va !




    A suivre...


    La semaine prochaine : Germaine Lubin

     

    Le 09/08/2004
    Gérard MANNONI


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