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ENTRETIENS 28 mars 2024

Le passé retrouvé (7) : Renata Tebaldi

Juin 1986. La Tebaldi vient de publier la traduction française de ses mémoires lorsque cet entretien est réalisé à Paris où la grande diva est venue faire la promotion de son livre. Elle assiste à une soirée à l'Opéra Garnier où Pavarotti chante l'Elixir d'amour de Donizetti et a droit à une standing ovation de toute la salle lorsqu'elle entre. Elle parle ici de sa carrière, de sa rivalité avec Maria Callas, de ses grands rôles, de sa décision d'arrêter de chanter.
(Entretien réalisé le 6 juin 1986 pour Le Quotidien de Paris).

 

Le 23/08/2004
Propos recueillis par Gérard MANNONI
 



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  • Quel regard portez-vous aujourd'hui sur votre carrière ?

    Je suis heureuse de ce que j'ai réalisé, car je me suis efforcée de faire le mieux possible ce que j'avais à faire, en sacrifiant notamment toute vie personnelle de femme pour vivre entièrement une vie d'artiste. Les satisfactions que j'ai reçues pendant ma carrière sont tellement grandes que je ne regrette pas ces sacrifices. D'ailleurs, il est faux de parler de sacrifices. Je ne les ai jamais vécus comme cela, tant ma joie de chanter était grande. Chanter me permettait d'exprimer ce que je ressentais au plus profond de mon âme. Je n'aurais pas pu le faire autrement. J'ai seulement cherché à être très sincère pour exprimer ce que je ressentais réellement au fond de mon coeur pour essayer de toucher le coeur de tous, des plus simples aux plus intellectuels. Je peux dire que j'ai réussi, et même très bien, puisque, alors que je ne chante plus depuis dix ans, je reçois les mêmes marques d'affection, d'admiration et d'enthousiasme, de la part de tous ceux que je rencontre. Etre accueillie partout comme si je chantais toujours me fait un immense plaisir. C'est très important, car beaucoup d'artistes sont totalement oubliés après la fin de leur carrière, notamment parmi les chanteurs. Je reçois des lettres du monde entier, on m'arrête dans la rue pour dire merci. C'est la récompense de tous les efforts que j'ai faits.

     

    Cette popularité n'est guère étonnante car vous avez été plus qu'une grande cantatrice, l'une des plus grandes du siècle et même de l'histoire de l'opéra !

    Je ne sais pas si mon nom restera vraiment dans l'histoire, mais si c'est le cas, cela me procure une grande satisfaction, car mes succès ne me sont jamais montés à la tête. J'ai toujours été très reconnaissante à cet être supérieur qui m'a gratifiée de ce don. Je n'ai jamais abusé de ma renommée pour avoir des exigences déplacées. Certains profitent de la célébrité que leur procure leurs dons pour vouloir l'inaccessible. Moi, je me suis toujours satisfaite de ce que je recevais spontanément.

     

    Etiez-vous consciente que vous étiez supérieure à la majorité des autres, ou n'est-ce qu'avec le recul du temps que vous vous en êtes rendue compte ?

    C'est une question très judicieuse. Mes amis me disent encore aujourd'hui que je ne me rends pas exactement compte de ce que j'ai été. C'est sans doute dû à la manière dont je suis faite. Je suis une femme plutôt simple, avec une forte dose de modestie, ce qui est très important. Et puis, je n'étais jamais totalement satisfaite de ce que je faisais et je cherchais toujours à faire mieux, à progresser. Quand je chantais, je ne m'épargnais jamais. Je ne connaissais pas la fatigue car chanter, pour moi, c'était vraiment trop beau. Et aussi rendre les autres heureux. J'aime encore mieux donner que recevoir. J'ai toujours été comme cela, toute ma vie, avec une grande joie de donner, mais sans attendre de retour. S'il me vient quelque chose en retour, naturellement, ça me fait plaisir. Quand j'étais interminablement rappelée par le public, comme une année au Metropolitan Opera de New York le jour de mon anniversaire où j'ai du revenir encore et encore devant le rideau de fer qu'on avait baissé pour tenter de faire partir les gens, je considérais ça comme un merveilleux cadeau.

     

    Comment, dans cet état d'esprit, avez-vous vécu toute l'agitation médiatique créée autour de vous, en particulier dans votre prétendue rivalité avec Maria Callas ?

    C'était un phénomène très intéressant pour nous deux, autant pour Maria que pour moi, surtout à la Scala, quand nous y avons débutée l'une et l'autre. Il s'était formé deux clans, les Callassiens et les Tebaldistes. Comme nous faisons chacune une première à tour de rôle, ils emplissaient le théâtre et s'insultaient à qui mieux mieux de toutes les manières possibles. C'était le rêve pour les journalistes et pour nous aussi car il n'y avait pas une journée sans que paraisse un article concernant l'une de nous deux. Au théâtre comme dans le sport, on adore entretenir des rivalités. Callas contre Tebaldi, c'était un peu Maradona contre Platini ! On crée ces rivalités pour rehausser l'intérêt de la chose. Et c'est positif, bien qu'un peu désagréable, car on a dit beaucoup de bêtises. Et elles ont été écrites. On ne peut pas donner continuellement des démentis. Ce qui est écrit est écrit, même si c'est un mensonge, et on le croit. Maria a été plus d'une fois jalouse de moi car je touchais le coeur des gens et pas elle. Nous étions deux personnalités complètement différentes. J'étais beaucoup plus disposée qu'elle au dialogue, même avec les gens les plus simples, du premier machiniste au dernier électricien. Ils m'adoraient tous, partout dans le monde. Elle était plus hautaine, moins sympathique, et c'était à mon avantage. En scène, j'étais seulement sincère, je pleurais pour de vrai, là où elle faisait une grande recherche théâtrale et des compositions grandioses. C'était une grande tragédienne mais qui ne touchait pas la sensibilité de manière aussi directe que moi. Nous étions des personnalités vraiment opposées, mais sans aucun doute deux grandes personnalités. Nous ne pouvions guère nous nuire car nous étions trop différentes, comme l'était notre répertoire. J'ai eu mes plus grands succès avec des compositeurs comme Puccini alors qu'elle a eu les siens avec Donizetti ou Bellini. Notre rivalité, car elle a existé, était donc plus fondée sur la jalousie de clans que sur la carrière.

     

    Avez-vous chanté tous les rôles qui vous attiraient quand vous avez débuté votre carrière ou avez-vous quelques regrets ?

    Je ne peux pas dire que j'ai des regrets. Les rôles que je n'ai pas abordés sont ceux qui ne m'attiraient pas assez profondément pour que je sois certaine de les interpréter comme je voulais le faire. Je suis en revanche l'une des premières à avoir remis à l'honneur un répertoire oublié comme la Jeanne d'Arc de Verdi, Olympia dans Fernando Corsez de Spontini, le Siège de Corinthe de Rossini, Jules César de Haendel. Et puis, je dois reconnaître que mes deux compositeurs de prédilection sont Verdi et Puccini. J'ai été follement heureuse de pratiquer Verdi, car cela vous apprend à chanter. Je dis toujours que la musique de Verdi guérit la voix. Tout ce que l'on fait mal s'entend chez Verdi. Alors, il faut bien se corriger et comme Donizetti, il vous oblige à faire du beau chant. J'ai été très attirée aussi par Puccini. Ses héroïnes sont modernes. On peut retrouver leur histoire chez tant de femmes d'aujourd'hui ! Cela m'a beaucoup séduite. Mais Puccini demande un tel investissement affectif qu'on est parfois à la limite de ce que l'on peut assumer. Je n'aurais pas pu faire Suor Angelica sur scène. Butterfly était déjà à l'extrême limite de ce que je pouvais maîtriser émotionnellement. En revanche, je ne sais pas pourquoi on ne m'a jamais demandé de faire Liu au théâtre. Je l'ai enregistré deux fois, mais on n'a jamais voulu me le donner en représentation car on préférait que je paraisse dans des opéras où je chantais dans tous les actes. Mon dernier rôle puccinien fut La Fille du far Ouest. Je ne l'ai fait qu'à la fin de ma carrière car c'est un rôle très lourd avec lequel on peut s'abîmer la voix. Comme je l'ai fait tard, et quatre fois seulement au Metropolitan, Opera, j'y ai pris un immense plaisir. Et pourtant il y a trois rôles que je regrette de ne pas avoir chantés parce que j'avais peur de ne pas y être au niveau que je souhaitais, Francesca da Rimini de Zandonaï, Charlotte de Werther et Norma.

     

    Si votre carrière se poursuivait aujourd'hui, aimeriez-vous participer à des spectacles très modernes comme ceux qui sont à la mode maintenant ?

    Non. Je suis très heureuse d'avoir terminé ma carrière à l'époque la plus belle, une sorte d'âge d'or, de la fin des années quarante au début des années soixante. Ensuite sont apparus ces metteurs en scène modernes, venant du cinéma ou du théâtre dramatique, qui ne connaissent rien à l'opéra. Il font semblant de le connaître et masquent leur ignorance sous le prétexte de revisiter les oeuvres. Comme celui qui a eu l'audace de faire mourir Mimi, à Macerata, en Italie, d'une overdose ! Et en plus deux mesures après l'accord que Puccini a indiqué comme marquant cette mort, pour qu'on ait le temps de préparer la seringue pour Mimi qui était en pleine crise de manque ! Je n'aurais pas pu résister à ces idioties. Quand j'ai chanté la Force du Destin au Mai musical florentin, sous la baguette du grand Mitropoulos, le metteur en scène, qui venait du cinéma, avait en tête l'idée de transposer toute l‘action pendant la guerre civile espagnole. J'aurais dû chanter habillée en soldat, et j'ai refusé. Quand Del Monaco l'a su, il a refusé lui aussi. Et Mitropoulos a emboîté le pas. Alors, devant le départ des trois vedettes du spectacles, le metteur en scène a modifié ses idées et a fait une Force du destin raisonnable. Je n'aurais pas pu chanter sans cela. J'ai mené un autre combat à New York pour une Traviata où on voulait inverser les lieux et modifier le texte en conséquence. Finalement, on ne l'a pas fait. Si les artistes avaient le courage de refuser de faire des idioties, on n'en serait pas là. Mais ils ont peur de contrarier les metteurs en scène et de ne pas être redemandés ensuite. Tout fonctionne comme ça. D'ailleurs on ne dit plus la Traviata de Verdi, mais la Traviata de Zeffirelli. C'est significatif.

     

    Ne pensez-vous pas que c'est le manque de grands chanteurs qui pousse à attirer le public vers d'autres aspects du spectacle d'opéra ?

    C'est parfaitement exact. Il n'y a plus assez de grandes personnalités dans le monde du chant. Alors, on crée artificiellement une sorte d'intérêt morbide par la folie des metteurs en scènes. C'est pour les jeunes chanteurs aussi une occasion de faire parler d'eux, et ils acceptent n'importe quoi.

     

    Vous n'êtes pas beaucoup venue à paris. Quel souvenir gardez-vous de vos apparitions au palais Garnier ?

    J'ai beaucoup regretté de ne pas être venue plus souvent à Paris, d'autant que je n'ai pu pratiquer en français votre répertoire. Je suis venue pour la première fois avec le San Carlo de Naples pour Jeanne d'Arc à l'Opéra et à l'église de la Madeleine, deux soirées très importantes pour moi et dont on a beaucoup parlé. Je suis revenue pour Aïda et Tosca et pour deux récitals à l'Espace Cardin juste avant de décider de ne plus chanter. Ça ne fait pas beaucoup sur une carrière de trente trois ans !

     

    Travaillez-vous encore pour vous-même, pour votre plaisir ?

    Absolument pas. Du jour où j'ai pris la décision drastique d'arrêter, je n'ai même plus fait une vocalise. J'avais compris que c'était le moment d'arrêter, que c'était fini. Mon médecin me conseillait de ralentir mes activités. Alors j'avais pensé abandonner la scène et me consacrer au récital et à la mélodie, car ce répertoire est plein de joyaux incomparables. Préparer une récital, en fait, est encore beaucoup plus fatiguant que de préparer un opéra. Pour trouver un ensemble de mélodies qui vous convient à tous égards, voix, interprétation, il faut en travailler un très grand nombre. Si on chante n'importe quoi, ça ne veut rien dire. Je le constate souvent avec les jeunes qui viennent me demander conseil. Ils ont de belles voix, mais ne me racontent rien, car ils n'interprètent pas. Pour préparer cette partie différente de ma carrière, j'ai renoncé à mes contrats d'opéra. Et alors, j'ai découvert une autre vie, une vie normale. Je me réveillais sans avoir à commencer la journée en essayant de voir si ma voix était en place, si je n'étais pas malade, et s'il ne fallait pas que j'appelle le médecin pour me remettre en état pour le spectacle du soir. Une vie que je ne connaissais pas. J'ai pris ça comment un signe, un avertissement me disant que c'était le moment de tout arrêter. Après quelques jours de cette sérénité, j'ai appelé mon pianiste et je lui ai dit de ne plus venir, que je ne chanterais plus. Sans le savoir, j'avais donné mon dernier concert à la Scala, au bénéfice des victimes du Frioli. J'ai disparu de la circulation sans rien dire. J'ai finalement accepté de faire une apparition à la télévision pour m'expliquer. Je n'aime pas la télévision. Je ne suis pas plus télégénique que photogénique ! Mais je voulais bien préciser que je n'étais pas malade, ni contrariée, mais au contraire très apaisée et très heureuse. Et tous mes admirateurs ont été rassurés et contents. Et depuis je mène une existence tranquille, invitée à des soirées, fêtée un peu partout, et totalement détendue ! J'aimerais sûrement donner quelques leçons, mais à mon rythme, sans que cela devienne une obligation routinière.

     

    Le 23/08/2004
    Gérard MANNONI


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