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ENTRETIENS |
26 avril 2024 |
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Pour votre Domaine Privé à la Cité de la Musique, vous avez invité plusieurs artistes « non classiques ». Parlons d'abord de la chanteuse de jazz, Shirley Horn.
Shirley Horn est une voix que j'admire, évidemment. J'aime surtout sa manière de communiquer avec son public et le message qu'elle lui transmet, la grande allure avec laquelle elle le fait, et naturellement, sa musicalité. La liberté, notamment expressive, commune au jazz et à la musique baroque est un sujet un peu épuisé, certes, mais elle est incontestable. Mais c'est aussi vrai de bien des musiques actuelles, la soul, même certains rap. |
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Vous avez aussi convié la grande chanteuse de fado, Misia.
Je ressens aussi une certaine complicité avec elle et son chant, avec cette musique en général, profondément latine, qui fait partie de la culture liant le Portugal, l'Italie, l'Espagne ou la France. Une nouvelle fois, on peut y trouver un équivalent dans la musique baroque, la figure de la femme qui souffre, l'âme en peine : c'est quelque chose qui me touche profondément. On aborde ici tout le répertoire de la plainte, la lamentation, qui a eu aussi son âge d'or durant l'ère baroque. La monodie du XVIIe siècle est en rapport avec ce chant, qui est avant tout un chant solitaire. |
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Côté purement baroque, vous donnerez les grandes oeuvres comme David et Jonathas ou le Te Deum de Charpentier, que vous avez déjà abordées il y a maintenant quelques années.
Comme dans toutes les musiques, quelle que soit la période, on revient toujours aux chefs-d'oeuvre. C'est une façon de souligner l'importance de ces oeuvres. Je n'ai pas le souci ici de lutter pour imposer la musique baroque, parce que je pense qu'il ne faut plus trop à l'heure actuelle s'inquiéter à ce sujet : un peu partout dans le monde, cette musique, dans ses manifestations lyriques notamment, ne sera plus détrônée, elle n'est plus considérée comme un phénomène passager. |
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Est-ce que l'interprétation de ce répertoire a profondément changé, par rapport notamment à l'époque où sont nés les Arts Florissants ?
Cela dépend. Sur le plan purement mécanique, il y a des gestes qui sont maintenant travaillés, ma tâche s'en trouve donc facilitée. Par contre, s'il y a des gestes trop mécaniques, on tombe dans ce qu'on appelle la routine, mais cela concerne plutôt la mentalité que le geste physique lui-même. Cette routine n'a pas cours aux Arts Florissants, mais elle existe malheureusement ailleurs. Je tiens à signaler à ce sujet que les gens que je fréquente musicalement sont des travailleurs, ils ne sont pas corrompus ou influencé par le succès, ils n'ont pas la grosse tête et ont conservé leur curiosité intellectuelle. |
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Accordez-vous autant de temps à l'exploration du répertoire qu'aux débuts de votre ensemble ?
S'il y a bien une chose que je n'arrêterai jamais, c'est cette découverte du répertoire. Si l'on garde la curiosité musicale, il y a forcément une évolution, une recherche de renouvellement. Il est évident que je ne fais pas de la musique comme je le faisais il y a vingt ans. Cependant, j'accomplis toujours le même travail artisanal. On commence par exemple les répétitions en petit comité, il n'y a pas plus artisanal. Je ne suis pas un chef qui fait préparer choeur, orchestre et solistes par ses assistants, et qui arrive au dernier moment pour rouspéter un petit peu et mettre en quelque sorte la cerise sur le gâteau. C'est pareil quand je dirige la Philharmonie de Berlin : c'est en fait une formation d'une légèreté extrême, jeune d'esprit, extrêmement avide et prête à apprendre. J'y retourne dans quelques mois, et mes visites ont maintenant un caractère annuel. Mais effectivement, le travail n'a plus rien à voir avec ce qui avait cours dans le passé, particulièrement au niveau des méthodes et du matériel dont dispose un interprète. |
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On ne compte plus les chanteurs dits baroques passés par l'école Arts Florissants. Cet aspect a gardé une importance cruciale à vos yeux.
Ce travail est une nécessité. On aime les nouvelles voix, on aime travailler la musique avec des jeunes voix. Je crois que nous avons une activité pédagogique qui nous est importante, cela fait partie de la vie de notre ensemble. Nous avons fondé ce Jardin des voix pour donner leur chance aux jeunes, et d'en tirer nous-même profit. |
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Ce qui nous conduit au problème des voix actuellement utilisées dans la musique baroque. Avez-vous eu des mésaventures de ce côté–là ?
Pour les opéras que je dirige, nous auditionnons les voix et avons notre mot à dire. Il est très rare qu'un directeur de théâtre ou de festival dise, à quelqu'un comme moi, que je dois accepter tel ou tel chanteur. Cela se faisait dans le temps, cela se fait peut-être un peu dans un répertoire très connu, mais pour la musique moins répandue, je crois que tous les directeurs de théâtre comprennent qu'il vaut mieux établir une certaine concertation avec un spécialiste comme moi. Les distributions pour Glyndebourne, pour Aix-en-Provence ou les grandes salles parisiennes passent par une audition. D'abord, les gens qui ne sont pas « aptes » – c'est-à -dire qui n'ont pas d'atome crochu avec ce répertoire et qui n'en possèdent aucune notion – ne viennent pas à ces auditions, tout simplement. Je ne crois pas avoir jamais eu de conflit sur cette question. |
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Les mêmes difficultés existent quant à la mise en scène des oeuvres baroques. Quelle est votre opinion à ce sujet ?
La musique lyrique nécessite quand même une complicité avec un metteur en scène – la personne donc qui va régler un mouvement et un aspect visuel –, il faut donc la même concertation. Il y a maintenant beaucoup de metteurs en scène qui viennent à la musique baroque, et qui l'aiment. On trouve parmi eux aussi bien des gens de l'avant-garde que des personnalités à la vision plus traditionnelle. Nous avons choisi un chorégraphe pour Les Paladins, avec José Montalvo, justement parce que c'était un chorégraphe. Je prends mon pied en mélangeant une musique ancienne avec une façon peut-être tout à fait nouvelle de regarder, j'aime cela, comme j'aime d'ailleurs le faire dans de nombreux autres domaines. Je peux vivre dans un palais du XVIIe siècle, et malgré cela avoir des tableaux contemporains sur les murs. Pour ma part, je ne connais personne capable à l'heure actuelle d'effectuer une parfaite synthèse des éléments du XVIIe siècle et ce qui parle à notre vision contemporaine, ni sur le plan chorégraphique, ni sur le plan scénographique. Dans ces conditions, je préfère travailler avec des artistes dont le génie est autre. |
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William Christie : Domaine privé à la Cité de la Musique, Paris.
Mardi 14 septembre, 20 h 00
Marc Antoine Charpentier
Grand Office des Morts
Messe pour plusieurs instruments
Te Deum
Mercredi 16 septembre, 20 h 00
Jardins, paysages, nature
Concert-lecture avec SĂ©bastien Marq et les solistes des Arts Florissants
Pascal Cribier, architecte-paysagiste
Jeudi 17 septembre, 20 h 00
Shirley Horn
Vendredi 17 septembre, 20 h 00
Misia
Samedi 18 septembre, 20 h 00
Marc Antoine Charpentier
David et Jonathas
Avec Cyril Auvity, Alain Buet, Paul Agnew, Joao Fernandes, Bertrand Bontoux, Jeffrey Thompson. |
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