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ENTRETIENS 26 avril 2024

Jean-Marc Luisada, la rigueur et l'Ă©motion

Présent dans un récital au Théâtre des Champs-Élysées de Paris et au disque avec un nouvel album Chopin-Liszt-Scriabine chez RCA, Jean-Marc Luisada fait une rentrée française au plus haut niveau. Rencontre avec un virtuose du piano passionné de cinéma et d'opéra.
 

Le 27/10/2004
Propos recueillis par GĂ©rard MANNONI
 



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  • Vous avez travaillĂ© avec plusieurs grands professeurs. Quel a Ă©tĂ© l'apport de chacun d'entre eux ?

    Au départ, j'ai eu deux maîtres qui ont compté pour moi et qui, d'ailleurs, comptent encore : Marcel Ciampi, d'abord, très grand musicien plus que grand virtuose sans doute. Il avait joué avec Casals et Thibault, bien avant Cortot. Et puis, son assistante, Denise Rivière. Je les ai rencontrés à l'âge de dix ans, après avoir travaillé avec des professeurs qui m'avaient donné l'amour de la musique, mais sans la rigueur nécessaire. On a remis tout à plat. Denise était une très grande musicienne. Elle a vécu dans l'ombre de ce maître, sans faire la carrière qu'elle méritait. Grande fauréenne, elle m'a inculqué cette sensibilité particulière, ce grand romantisme, mais avec un goût très exact, sans débordements. J'avais toujours tendance à en faire trop, et j'ai mis des années à le comprendre ! Les partitions annotées par Ciampi étaient comme couvertes de tags, avec des trésors d'indications sur tous les moindres détails d'interprétation, doigtés, pédales, phrasés, avec plein de possibilités. C'est resté d'une vie extraordinaire, comme s'il était toujours là. Plus tard, Paul Badura Skoda et Dominique Merlet m'ont appris autre chose. Au Conservatoire, avec Merlet, je suis allé à la rencontre du travail des grands pianistes d'autrefois qui le passionnaient. Il m'a appris a être curieux et aussi à savoir jouer dans une salle de concert. Ciampi m‘avaient appris le sens du drame en concert, d'un romantisme improvisé, et Merlet a mis de l'ordre dans tout cela, il m'a aidé à avoir un son plus ample. Fasciné par l'école russe de piano, il luttait contre une école française au jeu perlé et trop clair. Après mon prix, j‘ai travaillé un an seul avant d'entrer en troisième cycle. J'ai alors rencontré Nikita Magaloff et Paul Badura Skoda. Ce dernier, aussi, était amoureux des grands pianistes du passé. Il était élève d'Edwin Fischer et j'ai travaillé avec lui sur les partitions mêmes de Fischer, avec aussi des trésors d'indications. Magaloff, je l'ai connu moins intimement, mais beaucoup respecté.

     

    Pour aider un élève, l'important n'est-il pas de l'aider à trouver non pas la vérité de l'oeuvre, mais sa propre vérité dans l'oeuvre ?

    C'est absolument ça. Il y a mille vérités et il s'agit de trouver sa propre pâte sonore, avec son expression. On ne se change pas. Si on est un peu coincé, l'expression le sera toujours. Si on est exubérant, elle sera flamboyante ou plus extérieure. On joue comme on est. Si on essaie de cacher sa personnalité en jouant, c'est catastrophique. Il faut être naturel. Un autre maître a beaucoup compté pour moi, Miloz Magin. Passionné de peinture, il achetait des tableaux partout, un homme un peu fou, amoureux du beau. Après un accident de voiture dans les années 1960, il a fini par devenir compositeur. C'était la générosité même. Il avait enregistré une intégrale Chopin. Il m'a apporté des choses merveilleuses sur toutes les oeuvres que je lui ai montrées. J'ai un immense regret de sa disparition prématurée.

     

    Donner un concert est-il pour vous une fĂŞte, comme le dit pour lui-mĂŞme le violoniste Vadim Repin ?

    Je me suis aperçu depuis peu de temps que ce devait être une fête. Pour moi, qui adore aller sur scène, c'était aussi un tourment incessant, car rien n'est jamais aussi accompli qu'on le voudrait. Aujourd'hui, tout est plus relatif. S'il y a une imperfection, tant pis, du moment que le bonheur est là, le mien et celui du public. Mais j'aurais des réticences à pousser un proche à embrasser cette carrière. C'est un métier diablement difficile. On a beau être archi prêt, il suffit d'un concert pour tout remettre en question. C'est désespérant, mais cela fait partie de nos risques et de notre passion pour ces risques.

     

    Vous avez une grande passion pour le cinéma. Arrivez-vous à la vivre ?

    C'est un peu obsessionnel. Je pense que cela vient d'un manque, quand j'étais tout petit. Mes parents adoraient le cinéma, mais dès qu'il y avait un carré blanc à la télévision, signal de l'époque indiquant que ce n'était pas pour les enfants, on m'envoyait me coucher. J'entendais alors les films, sans les voir. Cela a développé chez moi un imaginaire sonore et une passion quasi maladive pour le cinéma. J'ai beaucoup plus de cassettes et maintenant de DVD que de disques. J'achète bien trois ou quatre DVD par semaine. Pourtant, plus j'avance dans la vie, plus je trouve que le cinéma des années 1940 et 1950 et celui des grands maîtres du muet n'a jamais été égalé ni dépassé. On est davantage dans une école de cinéma de scénario, moins de travail de la beauté de l'image, du mouvement psychologique de la caméra. Un des plus grands maîtres est pour moi Robert Bresson, dont j'ai trouvé tout l'oeuvre en Italie alors qu'elle est absente chez nous. Son langage est d'une pureté et d'une rigueur extraordinaire qui font naître l'émotion. C'est exactement ce que je recherche moi-même en jouant.

     

    Vous aimez aussi beaucoup l'opéra.

    J'ai aussi une passion pour certains chanteurs, comme Jon Vickers, par exemple, dont je viens de réentendre des enregistrements de jeunesse. Je trouve cela inégalable. J'aime beaucoup également José Cura, qui m'émeut plus que tous ses rivaux, même si certains comme Alagna chantent remarquablement bien. Je viens de faire un concert avec Katia Ricciarelli en Italie où nous participions à la même académie. J'y ai pris un plaisir immense et j'ai été fasciné par sa personnalité, son professionnalisme et l'art avec lequel elle utilise aujourd'hui une voix qui fut une des plus belles de son temps.

     

    Vous venez de sortir un nouveau disque avec un programme très lourd.

    J'ai attendu longtemps avant d'enregistrer la Sonate de Liszt, que je crois plus construite que la Sonate en si mineur de Chopin qui est pour moi une des grandes improvisations romantiques. Avec la sonate de Scriabine, les trois oeuvres sont pour moi liées par l'ombre de Richard Wagner. On retrouve des leitmotive de Tristan dans le Largo de la Sonate en si mineur de Chopin et Wagner s'est inspiré de celle de Liszt qui est vraiment la grande sonate du XIXe siècle. C'est le début de tout le chromatisme qui a fait éclater la tonalité. Quant à la sonate de Scriabine, c'est l'implosion de la sonate romantique. En neuf minutes se crée un climat érotique, de terreur, très excitant. On y retrouve aussi le chromatisme wagnérien et dans quelques mesures un leitmotiv de Tristan et Isolde. C'est dans un passage très rapide, et j'ai ralenti exprès ces deux mesures pour qu'on puisse l'entendre quelque peu ! Tristesse de Chopin vient ensuite très bien après la Messe noire de Scriabine pour retomber dans une nostalgie plus directement romantique. Il faut qu'un disque soit un spectacle auditif, un voyage.

     

    Le 27/10/2004
    GĂ©rard MANNONI


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