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ENTRETIENS 19 avril 2024

Philippe Jordan, un jeune chef pragmatique
© Salzburger PressebĂĽro

Le jeune chef suisse Philippe Jordan, fils du célèbre Armin Jordan, fait ses débuts lyriques à l'Opéra de Paris dans Ariane à Naxos de Strauss. Il revient sur ses débuts à Salzbourg dans Così cet été, et nous livre les premières impressions sur son travail à l'Opéra Bastille. Rencontre avec un jeune chef pragmatique qui a la tête solidement vissée sur les épaules.
 

Le 19/10/2004
Propos recueillis par Yannick MILLON
 



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  • Cet Ă©tĂ© Ă  Salzbourg pour Così fan tutte, vous dirigiez l'Orchestre philharmonique de Vienne pour la première fois ; comment s'est passĂ© ce premier contact avec un orchestre rĂ©putĂ© difficile ?

    Les rencontres avec un nouvel orchestre, c'est toujours la même chose. Que ce soit Indianapolis, la Philharmonie de Berlin, la Tonhalle de Zurich, il faut une certaine période pour voir comment le contact passe. Mais travailler pour la première fois avec la Philharmonie de Vienne a été encore différent car c'est l'un des très rares orchestres à avoir une vraie identité sonore. Les musiciens connaissaient mon nom par mes activités à l'Opéra de Graz, ils étaient très contents de travailler avec moi, très intéressés par mes idées sur Così, mais très heureux aussi de pouvoir montrer leur tradition, leur identité sonore. Je n'ai pas cherché à leur donner une sonorité nouvelle comme on peut le faire avec des orchestres qui n'ont pas cette personnalité. Le contact est très bien passé, ce qui a été vraiment difficile, c'est que je n'ai eu que cinq répétitions en tout et pour tout. Bien sûr, les Wiener connaissent la période, ils connaissent Così, mais cinq répétitions pour un premier contact, c'est quand même trop peu, et il a été profitable d'avoir dix représentations pour apprendre à se connaître.

     

    Abbado était gêné à Salzbourg par la rotation des musiciens au sein d'une même production. L'orchestre parvient-il à garder la même sonorité d'un soir à l'autre malgré ces rotations ?

    A peu près, mais c'est un vrai problème. J'ai exercé mon métier ces dix dernières années en Allemagne et je suis habitué aux rotations dans les orchestres d'opéra. Je dirais même que c'est important pour un orchestre de savoir jouer dans de telles conditions car cela lui donne une certaine flexibilité. Mais aux Etats-Unis, en Angleterre, en France ici à la Bastille, une seule équipe qui s'engage pour une série de représentations, ça donne vraiment un autre résultat.

     

    En entendant votre Mozart, on se dit que vous avez assimilé à votre manière les nouveaux standards d'interprétation des baroqueux. Que pensez-vous qu'ils ont apporté de fondamental à l'interprétation mozartienne ?

    Ils ont aidĂ© Ă  retrouver une certaine clartĂ© et Ă  faire Ă©merger le sens profond de la musique de Mozart. Quand on la joue dans le style « baroque Â», elle parle plus. Ca nous a apportĂ© vraiment beaucoup ces vingt dernières annĂ©es. Avant, on recherchait un idĂ©al de beautĂ© et de souplesse du son. Aujourd'hui, on cherche plutĂ´t les vraies raisons derrière la musique, son sens par rapport au texte. Personnellement, j'aime bien les deux, parce que je suis nĂ© dans une pĂ©riode oĂą l'on faisait encore du « romantisme Â» dans Mozart, mais j'ai eu la chance de vivre l'essor des interprĂ©tations baroques. Et finalement, ça me plaĂ®t assez de naviguer entre les deux tendances.

     

    Au point d'essayer un jour Mozart sur instruments anciens ?

    Pas vraiment non, ça n'est pas mon truc. On a beaucoup appris avec les instruments anciens, mais de manière générale je n'aime pas tellement le son des instruments d'époque. Je préfère observer de l'extérieur ce qu'ils peuvent nous apprendre et travailler dans ce sens sur les instruments modernes.

     

    Quels sont les chefs qui ont le plus marqué votre parcours ?

    D'abord mon père, Armin Jordan. J'admire son travail sur la transparence du son, sa sensibilité, sa souplesse. Pour moi, il est le plus grand pour ces qualités-là. Mais il y a aussi Jeffrey Tate, que j'ai assisté comme répétiteur au Châtelet il y a dix ans, pour le Ring, et plus récemment, Daniel Barenboïm, qui a été pour moi un grand maître. Sinon, encore plus jeune, mes maîtres musicaux, par le biais du disque, ont été Karajan, Furtwängler, Kleiber, Bernstein et Giulini, qui est pour moi l'un des plus grands. Pour revenir à Così, j'ai parlé cet été de l'enregistrement de Böhm que je trouve fantastique, la version de 1956 enregistrée à la Residenz de Salzbourg justement, avec des tempi très rapides comme on n'est généralement pas habitué à en entendre chez Böhm, et une logique interne et des proportions, un humour, une théâtralité fascinantes.

     

    A Salzbourg, on vous voyait donner presque toujours le texte de Così avec les lèvres, est-ce pour vous un moyen d'établir le contact avec le plateau, de mieux contrôler les chanteurs ?

    Oui, c'est un bon moyen en effet, car on ne peut pas tout régler avec la battue, surtout avec les distances qui nous séparent des chanteurs. L'orchestre joue sur le temps ; la scène, avec la distance, tombe après le temps. Donner le texte du bout des lèvres aide souvent le chanteur et créé une sorte d'intimité et de confiance avec lui. D'ailleurs pour moi, le travail sur le texte et sur la bonne perception du texte dans la salle est fondamental. Le surtitrage est une bonne chose, car il permet aux spectateurs de notre époque, qui n'ont pas le temps de se plonger dans le livret, de comprendre tout ce qui se dit sur scène. C'est vraiment un très bon outil, mais il ne doit en aucun cas être un substitut au travail sur le texte pour les chanteurs.

     

    Il y a quarante ans, on disait « le Così de Böhm Â». Aujourd'hui, on ne dirait plus « le Così de Jordan Â» mais « le Così des Hermann Â».

    Je suis d'accord sur le fait que c'est la mise en scène qui retient le plus l'attention du spectateur aujourd'hui. On cherche à tout prix de nouvelles lectures scéniques, et le public aime discuter, s'échauffer sur une nouvelle mise en scène. Mais dans le fond, c'est très injuste, car c'est nous, les chanteurs, les musiciens, qui faisons le spectacle le soir. Les metteurs en scène ont presque les pleins pouvoirs aujourd'hui, et j'en ai fait les frais à Salzbourg. Les Hermann ont tenu à régler eux-mêmes le timing des récitatifs. Où va-t-on si l'on permet aux metteurs en scène ce genre d'ingérence dans des problèmes purement musicaux qui les dépassent complètement ? Ca a été très dur pour moi, dans la fosse, alors que j'étais en total désaccord avec leur conception, d'écouter ces pauses interminables dans les récitatifs. J'aime bien les grandes pauses, à condition de ne pas en abuser. Car après des récitatifs aussi vides et longs, qui freinaient l'action au lieu de la faire avancer, il fallait parfois cinq minutes de musique pour relancer la machine. Comme Simon Rattle avait laissé faire à Pâques, j'ai décidé de ne rien dire pour cette année. Mais l'été prochain, je jouerai les récitatifs moi-même depuis la fosse, car il faut se rendre à l'évidence, cet aspect du spectacle ne fonctionne pas.

    « Les metteurs en scène ont presque les pleins pouvoirs aujourd'hui, et j'en ai fait les frais Ă  Salzbourg Â».

     

    Vous dirigez Ă  Paris l'Ariane Ă  Naxos très « Club Med Â» de Laurent Pelly, et vous dirigerez en mai prochain Ă  Vienne le Chevalier Ă  la Rose très traditionnel d'Otto Schenk. Quel type de projet vous correspond le plus ?

    Pour moi, le problème n'est pas de savoir si une mise en scène est traditionnelle ou moderne. Si elle fait sens, si elle est basĂ©e sur de bons mĂ©canismes théâtraux, si elle respecte l'esprit de la musique, peu importe qu'elle soit moderne ou traditionnelle. A condition aussi de ne pas occulter l'esthĂ©tisme, une certaine beautĂ© est nĂ©cessaire sur une scène d'opĂ©ra. Alors, c'est sans doute plus stimulant d'avoir Ă  diriger le Chevalier Ă  la Rose de Carsen plutĂ´t que celui de Schenk, mais je me rĂ©jouis quand mĂŞme de faire une fois dans ma vie un « standard Â» de la mise en scène, un Chevalier conventionnel et très rĂ´dĂ©, mĂŞme si je prĂ©fère le regard que l'on porte aujourd'hui sur le XIXe siècle que celui des annĂ©es 1970.

     

    L'une des grandes difficultés d'Ariane réside dans l'alternance continue entre les genres seria et buffa. N'est-ce pas un défi pour un chef de donner une homogénéité à l'ensemble ?

    C'est en effet l'un des aspects les plus difficiles d'Ariane. Il faut trouver pour soi-mĂŞme une ligne directrice, savoir Ă  chaque instant pourquoi la comĂ©die est insĂ©rĂ©e dans la tragĂ©die, pourquoi on revient toujours Ă  l'histoire du Bourgeois gentilhomme, et pourquoi la tragĂ©die grecque. Au dĂ©part, l'idĂ©e n'a pas marchĂ© du tout, c'est pour cela que Strauss a Ă©crit une deuxième version avec le prologue qui est elle-mĂŞme un compromis. Ariane est un chef-d'oeuvre, mais un chef-d'oeuvre qui a ses problèmes. Pour moi, philosophiquement, ce qui fait que ça marche, c'est la grande ligne de la mĂ©tamorphose, celle d'Ariane et Bacchus, celle du Komponist qui a rĂ©ussi un chef-d'oeuvre du haut de ses dix-huit ans. Une improvisation, celle de Zerbinette et de ses compagnons au milieu de la tragĂ©die, devient tout d'un coup un chef-d'oeuvre. Dans la scène finale, la musique est gigantesque, dense, hĂ©roĂŻque, et c'est la petite Zerbinette qui entre piano et improvise une dernière fois, en reprenant « Kommt der neue Gott gegangen Â». C'est vraiment le moment le plus touchant, et c'est cela qui fait que l'ensemble est homogène.

     

    Dans une salle immense comme l'Opéra Bastille, n'est-il pas difficile de faire sonner un orchestre de trente-huit musiciens ?

    Non, je ne trouve pas. Ariane à déjà été jouée au Grosses Festspielhaus de Salzbourg, au Met de New York, et ça marche. Bien sûr, la partition compte beaucoup de pages chambristes, surtout dans le prologue et le début de l'opéra, mais les grands passages symphoniques s'épanouissent à merveille à Bastille. De plus, la fosse a été rehaussée, et l'orchestre sonne beaucoup plus présent, moins déconnecté de la scène. Et à chaque fois que je dirige la fin de l'opéra, je n'arrive pas à croire qu'un compositeur puisse faire sonner autant un orchestre d'une quarantaine de musiciens seulement. Non, pour moi, la vraie difficulté à Bastille est du côté de l'atmosphère, car Ariane est tellement du théâtre en musique qu'on voudrait un vrai théâtre pour cette oeuvre.

     

    La France n'est pas réputée pour l'excellence de ses orchestres. Que manque-t-il aux ensembles français pour avoir la superbe sonorité d'orchestres comme Boston, Chicago, Londres, Amsterdam, Dresde, Vienne ou Berlin ?

    Mon expérience avec les orchestres français m'a montré qu'il s'agit d'excellents orchestres. On les reconnaît par leur sonorité plus transparente, plus fine, plus souple que celle des orchestres allemands, qui sont plus massifs, plus denses. Les vents notamment, en France, sont incomparables. La seule faiblesse serait peut-être que la transparence tourne parfois à une dynamique trop faible, une couleur générale trop pâle. Il faudrait peut-être que les orchestres français osent plus affirmer leur personnalité, un peu plus d'exhibitionnisme si je puis dire. Mais ces dernières années, ils ont accompli d'énormes progrès. Et je tiens à dire que pour un chef d'orchestre, c'est aussi une belle chance de pouvoir diriger une symphonie de Bruckner avec le son français. Ce n'est pas parce que Bruckner était autrichien qu'il lui faut absolument une couleur orchestrale germanique. Le meilleur exemple, c'est l'enregistrement de la Valse de l'Empereur par Erich Kleiber à Berlin, qui n'a rien de viennois. Mais peu importe, ça a tellement de caractère !

     

    Le 19/10/2004
    Yannick MILLON


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