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ENTRETIENS 20 avril 2024

Georges Prêtre, quatre fois vingt ans

Georges Prêtre fête ses quatre vingts ans cette année. Autant dire que la grande messe a été à la hauteur de ce chef légendaire. Après l'Opéra de Paris, c'est au tour de Radio France et de l'Orchestre National de France de lui rendre hommage. Rencontre avec une figure de légende, à la vitalité intacte.
 

Le 29/11/2004
Propos recueillis par Yutha TEP
 



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  • Georges Prêtre, avez-vous encore des désirs musicaux inassouvis ?

    Vous savez, avec la carrière qui est la mienne, j'ai dirigé une multitude d'oeuvres. Ne serait-ce qu'à Vienne – je suis chef d'honneur du Musikverein –, où je dirige depuis 40 ans, j'ai fait tous les Bruckner, tous les Beethoven, tous les Brahms, bref tout le répertoire allemand ou autrichien. En Amérique, j'ai fait presque tout Wagner, grâce à Rudolf Bing qui était l'administrateur du Metropolitan Opera. Maintenant, j'aimerais bien sûr refaire certaines choses, certains Debussy par exemple, et surtout certains Wagner : j'aime particulièrement Parsifal – mais j'aime tous les grands Wagner. En réalité, si l'on excepte les grandes oeuvres « modernes » dont je regrette qu'on ne les joue pas assez, je pense avoir dirigé toutes les oeuvres que j'avais envie de faire. Comme je le dis souvent, j'ai tout fait, mal peut-être, mais j'ai tout fait

     

    Avez-vous quand même des envies nouvelles ?

    Mon grand souhait, c'est de faire beaucoup de concerts pour les jeunes, parce que j'ai envie de les faire venir dans les salles de concert. Je parle en particulier des jeunes de banlieue. La musique est l'art le plus complet. C'est aussi le plus éphémère car lorsqu'on écoute une musique, elle s'envole immédiatement, mais c'est bel et bien l'art le plus complet : elle fait appel à la mélodie, la poésie, l'architecture avec l'orchestration, la peinture avec les couleurs, et même la psychologie etc. Et j'en oublie. Si l'on arrive à montrer tout cela avec le bon dosage, je suis sûr qu'on les amènera à aimer la musique, et pas seulement le football. N'importe quel jeune peut aimer la musique classique, mais on ne lui donne pas la possibilité de l'entendre. Sur ce point, l'Education nationale ne fait pas son devoir. La télévision aurait pu être un outil merveilleux pour révéler au public la beauté des choses, et c'est malheureusement l'inverse qui arrive : on lui donne à voir des choses de plus en plus laides. On donne de plus en plus de choses médiocres en croyant que le public est médiocre, alors qu'il ne l'est pas. A l'heure actuelle, on ne respecte pas ce public. Il suffit de voir l'heure à laquelle on programme les émissions culturelles, qu'il s'agisse de concerts ou de pièces de théâtre.

     

    L'inverse, en quelque sorte, de votre rôle en tant que chef.

    Pour transmettre la musique, il faut donner l'impression à chaque personne de l'auditoire qu'on fait cette musique pour elle. Même dans une salle de 2000 personnes, chaque auditeur doit avoir l'impression qu'on s'adresse personnellement à lui. Evidemment, chaque individu reçoit différemment la musique, mais cela n'a en fait aucune importance, l'essentiel est de recevoir puis de conserver un peu de beauté. Lorsque je dirige, je ne suis plus maître de moi, je ne suis qu'un interprète. Mon rôle est de faire passer ce que je ressens dans une partition, avec la complicité de l'orchestre. Je ne suis pas un chef, je suis un interprète dont l'instrument est l'orchestre.

     

    Vous évoquez l'importance de l'individualité, mais ne tend-elle pas à s'effacer, notamment devant la poussée de ce que l'on appelle la standardisation de l'interprétation ?

    Je ne crois pas en cette standardisation de la musique. Vous savez, quand vous avez des interprètes – je ne dis pas star, le mot n'existe pas pour moi –, que vous avez une équipe qui comprend des chanteurs, un chef, un orchestre, il y a dès ce moment un message à faire passer, qui est singulier. La standardisation peut éventuellement venir de certains théâtres, mais en général, les grands artistes, particulièrement les chanteurs, ne se laissent pas gagner par cette standardisation, ils ne pensent en général qu'à donner le meilleur d'eux-mêmes.

     

    On évoque souvent – et avec nostalgie – l'ère des Callas, Tebaldi ou Schwarzkopf : vous que l'on appelle le « Chef de Callas Â», êtes-vous aussi nostalgique de ce temps ?

    Encore une fois, avec mon parcours, j'ai la ferme conviction qu'on ne peut remplacer personne, qu'il s'agisse de Maria Callas ou d'un autre artiste. Il y aura toujours des artistes qui auront leur propre personnalité ; simplement, ils ne pourront pas remplacer Madame Callas ou Madame Schwarzkopf. On ne peut pas dire qu'il n'y aura plus de personnalités de ce calibre, ce n'est absolument pas vrai : il s'agira simplement de personnalités différentes. Dès à présent, il y a des artistes de cette stature, il nous faut simplement un peu de recul pour en juger : même Maria Callas à ses débuts ne faisait pas l'unanimité. Le seul danger, c'est que l'on use les voix trop tôt.

     

    Risque lié bien sûr à l'organisation actuelle des productions musicales, celles d'opéras notamment.

    L'élément majeur, c'est la très grande facilité des voyages. J'ai connu la période où l'on avait la chance d'avoir une longue préparation. Quand je dirigeais par exemple la reprise de La Bohème à la Scala, on répétait une semaine entière même si tout le monde savait exactement ce qu'il avait à faire. C'est ce temps de préparation qui fait maintenant défaut. Il ne faudrait pas que les artistes deviennent des voyageurs de commerce.

     

    On évoque régulièrement vos colères passées, mais avez-vous été un jour exaspéré au point de quitter une scène ?

    Je n'ai jamais ouvertement refusé une musique, je disais en général « j'ai peur de ne pas être à la hauteur Â». Ce n'est pas une plaisanterie : les rares fois où j'ai vraiment refusé de diriger une oeuvre, c'était parce que je ne la sentais pas à cent pour cent, et que j'avais peur de la trahir. J'ai fait cela pour certaines musiques dites modernes. A vrai dire, notre devoir à nous musiciens est de servir, j'ai eu certes des problèmes avec certains metteurs en scène, certains chanteurs aussi, mais je ne suis jamais parti – il en était hors de question car je ne voulais pas mettre tel ou tel directeur de théâtre dans l'embarras. J'estime que l'on n'a pas le droit de faire des caprices, quand on est artiste, on a le devoir de rester jusqu'au bout.

     

    Quels sont vos rapports actuels avec le monde de l'opéra ?

    Depuis quelques années, je ne fais plus d'opéra, sauf en version de concert, pour principalement deux raisons : j'ai toujours aimé les opéras et les voix, mais malheureusement on a tendance à détruire cet amour avec des mises en scène très contestables, confiées à des personnes qui ne connaissent ni la musique ni les voix. Avant, il me semble qu'il y avait une entente, une connivence qui n'existe plus maintenant. La plupart des metteurs en scène se servent de la musique au lieu de la servir, c'est mon premier reproche. La deuxième raison, c'est ma vie privée. Du temps où je faisais de l'opéra, il m'arrivait de travailler pendant six mois sans un seul jour de repos : deux mois pour une création à la Scala, deux autres mois pour une nouvelle production à Covent Garden etc. Je veux maintenant profiter de ma famille.

     

    Le 29/11/2004
    Yutha TEP


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