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ENTRETIENS |
26 avril 2024 |
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Autant la voix est profonde et sait être métallique, autant le regard bleu et le ton se révèlent tranquilles et accueillants. Le baryon berlinois Dietrich Henschel est un interlocuteur généreux, qui ne se contente pas d'à peu près. Il cherche et pèse chaque mot en français, relevant le défi de ne jamais s'appuyer sur l'allemand en cours d'entretien. C'est que la langue est un outil qu'il aime entretenir et améliorer. "C'est la première fois que je chante Figaro en Italien. Je l'avais déjà interprété en Allemand. La différence entre les deux langues impose de revoir complètement le jeu et le chant. C'est passionnant. En Italien, c'est la mélodie de la langue qui prime, surtout chez Rossini. On chante plus qu'on pense, en quelque sorte. Dans la façon de prendre un récitatif, par exemple, la langue est déjà une mélodie en soi. On peut se laisser porter. En Allemand, je pense d'abord et je chante après. Je m'appuie sur les mots plus que sur la musique pour créer le personnage. Le résultat est très différent d'une langue à l'autre." |
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Ce souci du verbe se sent dans votre façon de déclamer le texte. La clarté de vos interventions rappelle Fischer-Dieskau.
Les barytons allemands sont tous des héritiers de Fischer-Dieskau. C'est une référence naturelle. Il a tellement influencé les générations suivantes, c'est un tel modèle, que tout chanteur ne peut que suivre son exemple, consciemment ou pas. Vouloir lui ressembler, c'est évidemment l'écueil à éviter. Mais s'inspirer de tout ce qu'il a apporté au chant, s'avère sans aucun doute indispensable. Le contraire serait contre-productif. |
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Entre la mélodie et le mot, où avez-vous l'impression de vous situer le mieux ?
Ça dépend. Quand le texte est riche, je m'y attache spontanément. Dans les Lieder, par exemple, l'équilibre est une question de sensibilité propre avec chaque pièce, puisque texte et musique sont également nourrissants. Ayant d'abord été pianiste, j'ai d'autre part un rapport très étroit avec l'accompagnement. Si j'ai choisi le chant après les concours de piano, c'est pour briser l'isolement qu'impose cet instrument. Mais aussi parce que le besoin d'un rapport frontal avec le public, la nécessité d'une complicité avec d'autres musiciens et le désir profond d'une expérience théâtrale enrichissante se sont dégagés avec force. |
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Cette expérience de la scène se révèle-t-elle toujours convaincante pour vous ?
Vous imaginez la réponse. Je n'ai pas encore une habitude comparable à celle d'Enzo Dara dans le rôle de Bartolo ! Mais je peux déjà faire un constat : il y a les metteurs en scène s'attachent d'abord à l'aspect purement théâtral ou à l'esthétique comme un Bob Wilson. Et ceux qui partent de la musique pour alimenter leur théâtre, et vice-versa, comme un Pierre Strosser. Tout me semble intéressant du moment que la partition est respectée. L'idéal, c'est quand elle est mise en valeur. Dans les Trois soeurs, par exemple, l'idée théâtrale était très intéressante et l'esthétique énorme. Mais on n'avait pas forcément besoin d'être chanteur d'opéra, dans cette production contemporaine. Tout était très fixé, complètement défini. La mesure de liberté personnelle d'interprétation était quasiment nulle. Pour ma part, j'aime bien me situer au centre de tout, avoir la possibilité d'explorer chaque particularité de l'acteur et du musicien. |
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Vous allez prochainement proposer à Nancy, avant Lausanne, un Winterreise de Schubert mis en scène par Pierre Strosser. Ne vous semble-t-il pas que l'on atteint ici les limites du genre ?
Ce théâtre de l'intime est justement passionnant. On touche là à l'idée de théâtre, où tout est à faire, ou plutôt à suggérer. Au récital, toute l'action est réduite à une histoire racontée, pas jouée. Le théâtre se passe à l'intérieur. Mais ça reste du théâtre, toujours. C'est une scène du dedans. Cela requiert d'avoir mentalement l'idée du théâtre sans la faire sortir physiquement. Ce jeu entre les mots et les gestes, je pense que ce sera un travail formidable, où tout se passera entre le pianiste et moi. |
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Quels sont les rôles du grand répertoire qui vous font rêver ?
Paradoxalement, l'opéra russe me fascine, même si je ne parle pas la langue couramment. J'ai eu un plaisir immense dans les trois soeurs, de chanter en Russe. Onéguine, Dame de pique me plairaient beaucoup. Il y a tant de chanteurs russes qui font ça merveilleusement, que c'est un réel défi de s'y attaquer. Et ça m'enthousiasmerait. Dans un genre totalement opposé, Monteverdi reste pour moi l'alpha et l'oméga du chant. Et puis, évidemment Wagner. C'est tout un monde. Il faut, on ne peut pas ne pas le chanter. Mais c'est trop tôt encore pour moi. J'ai en projet un Wolfram en 2002 à Nancy. Et encore Strauss, naturellement, et Mozart. Enfin, vous voyez, je ne suis pas restrictif. Disons que j'apprécie surtout les rôles littéraires. Et il n'en manque pas ! |
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Le fait d'avoir travaillé aussi la direction d'orchestre vous donne-t-il un autre regard sur les productions que vous abordez ?
Forcément. Mais pas dans le sens où je voudrais imposer mon propre point de vue. Je suis simplement plus sensible aux chefs qui savent écouter et ouvrir les yeux et les oreilles aux interprètes pour les inspirer davantage. C'est évidemment avec ceux-là qu'il est agréable de se retrouver dans une aventure musicale. |
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| Le 10/04/2002 Propos recueillis par Sylvie BONIER |
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