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ENTRETIENS 25 avril 2024

Mireille Delunsch, passionaria de l'opéra
© D.R.

Mireille Delusch

Mélisande rêvée par Robert Wilson en ce début de saison, Mireille Delunsch revient à l'Opéra Bastille dans une nouvelle production de la Flûte enchantée dirigée par Marc Minkowski. Nouveau reflet de la fascinante versatilité de la soprano française, prête à tout pour exalter les utopies de son art.
 

Le 26/01/2005
Propos recueillis par Mehdi MAHDAVI
 



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  • Le simple regard jetĂ© sur quinze annĂ©es de carrière peut facilement ĂŞtre dĂ©routĂ© par la diversitĂ© des profils vocaux et psychologiques, votre Ă©ventail stylistique très large. Vous donnez l'impression d'ĂŞtre insaisissable.

    Cela tient beaucoup au fait que lorsque j'ai commencé à chanter, je ne m'attendais pas du tout à avoir toutes ces opportunités. Et contrairement à la plupart de mes collègues, j'ai toujours l'impression que ma voix n'est pas totalement construite, qu'elle est en même temps à géométrie variable : quand je commence à travailler un rôle, c'est comme si j'étais au milieu d'un rond-point sans savoir quelle voie prendre. Comme je suis bien plus sensible au style et à l'atmosphère qu'à une constante vocale et scénique, je me sens un peu caméléon. D'ailleurs, être obligée de chanter cinq rôles dans ma vie m'aurait profondément ennuyée.

     

    Vous reprenez Pamina après dix ans. Faites-vous simplement des retouches ou l'abordez-vous comme un nouveau rôle ?

    En dix ans, beaucoup de choses évoluent, mais la manière dont je me jette dans ce rôle aujourd'hui n'est pas très différente, avec plus d'inconscience encore, pour pouvoir tout donner. J'ai été surprise en reprenant Mélisande, en réécoutant le disque que j'avais fait avec Jean-Claude Casadesus ; contrairement à ce que je pensais, il y avait quelque chose d'abouti. Non pas que ce soit absolument figé, mais c'était globalement ce que j'avais envie de dire dans ce rôle. C'est comme si j'avais déjà trouvé cette manière de faire un travail personnel qui soit suffisamment profond et caméléon pour s'adapter à n'importe quelle situation.

     

    La complicité avec Marc Minkowski vous invite-t-elle à davantage d'abandon ?

    Il va sans doute me demander des choses très spéciales. Je suis impatiente de trouver avec lui une autre liberté dans de nouveaux carcans. C'est passionnant de voir à quel point il est ouvert à l'imagination de l'autre. C'est d'autant plus rare que beaucoup de gens arrivent avec ce dogmatisme qui met des bâtons dans les roues de l'imagination. Marc Minkowski m'a montré la liberté : faire un son laid si cela peut servir l'expression, ajouter du sens. C'est pour cela qu'il est un des chefs que je préfère. Il apprend en même temps que nous, sans le cacher : c'est un vrai travail en profondeur, et aussi une rencontre humaine.

     

    Quelle est la part de liberté dans des esthétiques aussi stylisées que celles de Robert Wilson et Peter Sellars, avec qui vous venez de chanter Pelléas et Mélisande et Theodora ?

    Cela passe par l'Ă©coute. Le discours du metteur en scène est essentiel pour comprendre exactement quel est son univers : pourquoi ces gestes, ces lumières, pourquoi ce style peut s'adapter Ă  des oeuvres diffĂ©rentes, comment il fait le lien entre les arts de la scène du Japon et l'utopie opĂ©ratique occidentale. Mais les chanteurs ne savent plus tellement se mettre au service de quelqu'un : nous ne sommes que des interprètes, et si nous ne sommes pas gĂ©nĂ©reux par rapport au discours, rien ne peut se passer. Nous sommes toujours sur la corde raide, car il faut composer avec un indispensable narcissisme vocal, en gardant une modestie vis-Ă -vis de l'oeuvre, du metteur en scène ou du chef d'orchestre. Avec Peter Sellars, le discours a la mĂŞme importance pour comprendre cette gestique entre langage des signes et gestique baroque, comme une Eglise naissante qui cherche ses rites. C'est extrĂŞmement intĂ©ressant et courageux que de prendre la ferveur au premier degrĂ©, de trouver une inspiration « divine Â» lĂ  oĂą nous pensions chanter des textes plutĂ´t convenus. Dieu sait que je suis totalement mĂ©crĂ©ante, mais je suis plus « croyante Â» qu'avant Theodora. VoilĂ  ce qui me passionne, dĂ©couvrir quelque chose de nouveau Ă  chaque production, et voir ce qu'il y a lĂ  de vraiment personnel, essayer de s'en imprĂ©gner. C'est dans l'interfĂ©rence entre le texte, la musique et le mouvement quasi-chorĂ©graphique que j'ai l'espoir de trouver des voies nouvelles pour cet art utopique, justement en se laissant porter par ses utopies. VoilĂ  ce dont je vais essayer de parler dans la Master Class que je vais animer durant les reprĂ©sentations de la FlĂ»te enchantĂ©e.

     

    Cette Master Class avec les stagiaires de l'Atelier Lyrique de l'Opéra de Paris est-elle une première expérience ?

    J'ai déjà fait travailler des étudiants pour aider mon professeur de chant, Sophie Hervé. J'ai fait le lien entre sa technique et la musique, en profondeur, sans sombrer dans le dogmatisme, simplement pour faire comprendre qu'en regardant un texte avec une lorgnette théâtrale, on peut chanter un rôle de manière personnelle, tout en étant dans le style. Souvent, les jeunes chanteurs ne savent pas quoi faire d'un texte ; du coup, ils imitent Mme Fleming. Je vais aussi faire une Master Class à Aix-en-Provence cet été.

     

    Dans Theodora ou dans le Psaume 42 de Mendelssohn, la ferveur religieuse passait par la théâtralité.

    A partir du moment où le chanteur, même avec sa partition, est face au public, il y a une théâtralité, et même dans un orchestre qui s'installe. S'il n'y avait pas de son, le concert serait à la fois totalement ridicule, et théâtral. Pourquoi les gens se rassemblent-ils ainsi, à regarder ces mouvements frénétiques de l'archet sur la corde, qui ont quelque chose de terriblement sexuel ? Il y a bien là quelque chose de la transcendance : cela tient de la cérémonie, du meeting politique, du théâtre. C'est à la fois profondément humain et multifonctionnel ! Le rapport physique à l'instrument m'a toujours fascinée, conflictuel, fusionnel, sensuel, pour un résultat miraculeux, totalement humain et totalement divin, de même que la transformation de la partition en musique.

     

    Vous sentez-vous une mission vis-Ă -vis du public ?

    J'ai un côté militant par rapport à l'opéra. C'est à la fois la plus grande mégalomanie possible et la vérité la plus tangible de l'humain : nous en avons d'autant plus besoin que nous vivons dans un monde qui vend de l'artifice. Je ne prétends pas changer la vie des gens, mais je ne néglige pas l'impact que cela peut avoir. Lorsque j'ai commencé, je n'y croyais pas vraiment, car l'opéra avait encore une connotation extrêmement poussiéreuse, je pensais que les gens trouvaient cela ridicule de parler en chantant très fort. Mais depuis vingt ans, les gens sont de plus en plus sensibles à la voix. Même Star Academy a fait venir des chanteurs d'opéra pour justifier cette merde qu'on nous inflige. Les gens qui ne sont jamais venus ne se rendent évidemment pas compte de ce qu'est le contact avec une voix réelle, sans micro, mais la résonnance entre un être profond et la manière incroyablement émouvante dont il la donne, fascine. Après les spectacles, j'ai eu des témoignages qui m'ont bouleversée, et c'est vraiment pour cela que je continue, et que je continuerai jusqu'à ce que mort s'ensuive. Mais il faut garder une totale modestie, car ce sont des chefs-d'oeuvre que nous avons entre les mains.

    Essayer de transformer l'idĂ©e de l'opĂ©ra et l'intĂ©grer Ă  la vie moderne, voilĂ  pourquoi je ferais une « carrière Â». L'opĂ©ra n'est pas un art de musĂ©e, mais les grands mĂ©dias ne veulent pas faire de publicitĂ© parce qu'il y a au mieux quinze reprĂ©sentations, et les mĂ©dias spĂ©cialisĂ©s seraient plutĂ´t enclins Ă  dĂ©courager les lecteurs en le considĂ©rant comme une chasse gardĂ©e honteuse – mĂŞme certaines affiches le proclament. Il ne s'agit pas de dĂ©mocratiser Ă  tout prix, car l'opĂ©ra n'est pas une forme d'art comme les autres – certains ministres de la culture lui ont fait beaucoup de mal en considĂ©rant que tous les artistes Ă©taient Ă  Ă©galitĂ© –, mais c'est un spectacle vivant au mĂŞme titre que le cabaret ou le théâtre. Les surtitres sont une vĂ©ritable rĂ©volution : plus besoin de lire le livret avant, tout le monde peut comprendre Ă  chaque instant. Il faut casser les stĂ©rĂ©otypes : une chanteuse ne doit pas obligatoirement peser cent-vingt kilos, ce n'est pas toujours complet, il y a des places moins chères que des places de cinĂ©ma – c'est fantastique que GĂ©rard Mortier rĂ©tablisse les places debout. Allez Ă  l'opĂ©ra ! Je voudrais bien venir en parler Ă  la tĂ©lĂ©vision. Pourquoi Laurent Ruquier n'essaie-t-il pas l'opĂ©ra dans On a tout essayĂ© ? Je leur ai dĂ©jĂ  Ă©crit, mais ils ont dĂ» me trouver folle ! D'ailleurs je ne sais pas si je serais capable d'en parler assez lĂ©gèrement pour ne pas me faire sortir.

     

    Alors l'opéra au Stade de France ? Est-ce possible de toucher le public dans un stade ou à Bastille comme à l'Opéra de Tours ou à l'Opéra du Rhin, qui sont de petites salles ?

    Si le spectacle est de qualité, pourquoi pas le Stade de France ! C'est formidable de retransmettre la Grande Duchesse de Gérolstein en direct du Châtelet à la télévision, parce qu'on a montré ce qui se passe dans un théâtre, et il faudrait insister encore plus sur l'ambiance du théâtre à l'italienne, la résonance entre la salle et la scène. Je n'aime pas les salles gigantesques, et c'est pour cela que je continue à chanter à l'Opéra de Tours. J'y retrouve cette magie que j'ai ressentie petite fille à l'Opéra de Mulhouse, cette odeur de colle, de poussière, le rideau qui frotte contre la scène, et se sentir intégrée, respirer avec les chanteurs. A l'Opéra de Tours, je vois les gens cligner des yeux : les corps parlent. C'est aussi une touche d'émotion supplémentaire que de ressentir l'imperfection de la voix.

     

    Vous venez d'enregistrer un deuxième volume de mélodies de Louis Vierne. Qui a voulu cette réhabilitation ?

    Stéphane Topakian, le producteur de la maison Timpani, m'a appelée pour faire le premier il y a sept ans. J'ai regardé la musique, et le projet m'a intéressée, d'autant que l'on ne connaît que sa musique pour orgue. Pour cela, j'ai été mariée de force à François Kerdoncuff et à la harpiste Christine Icart. C'est une aventure formidable : découvrir au fil du piano une musique que personne n'a enregistrée, sans a priori, et avoir l'opportunité d'en faire un objet, cela m'émeut à chaque fois. J'ai aussi enregistré le Pays de Ropartz, et j'aimerais beaucoup le faire sur scène : le Grand-Théâtre de Luxembourg était intéressé, mais cet opéra est un tel OVNI qu'il faut trouver quelqu'un qui ait une vision. J'en ai parlé à Giuseppe Frigeni, le co-metteur en scène de Bob Wilson, il ferait sans doute quelque chose de très beau avec cela. Je ne renonce pas : il faut aussi être actif de ce côté-là.

     

    Y a-t-il des rĂ´les dont vous rĂŞvez et que l'on ne vous propose pas ?

    J'ai déjà été tellement comblée ! A chaque fois que je retrouve l'orchestre qui s'accorde, c'est tellement miraculeux, cela tire vers le haut, cela dépasse tellement la petite humanité qui souffre de ne pas savoir comment elle va faire le son. Et au moment où l'on sent que le public s'en va avec vous dans un autre monde, cela pourrait s'arrêter. J'ai vécu des choses qui dépassaient tellement ce que j'avais imaginé – la façon dont j'ai éclaté en sanglots quand le public a fêté ma première Traviata – qu'il m'est arrivé de désirer mourir sur scène.

     

    Le 26/01/2005
    Mehdi MAHDAVI


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