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ENTRETIENS 27 avril 2024

L'impératrice Anna Caterina Antonacci

Nerone ambigu et sadique au TCE, Anna Caterina Antonacci est en ce moment Poppea pour ses débuts à l'Opéra de Paris, dans une production de Poppée signée David Alden. Adulée des parisiens depuis sa Cassandre historique dans les Troyens au Châtelet, la sculpturale italienne ne semble avoir peur de rien, si ce n'est des étiquettes.
 

Le 31/01/2005
Propos recueillis par Mehdi MAHDAVI
 



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  • Le public français n'a pas été surpris de vous entendre en Nerone, bien que pour tout le monde, vous soyez Poppea. N'était-ce pas étrange de passer de l'un à l'autre ?

    C'était mon souhait, un défi même. J'ai beaucoup chanté Poppea depuis 1993, notamment dans la production de David Alden, que nous reprenons à l'Opéra Garnier. J'étais très curieuse d'aborder le rôle de Nerone, car il est musicalement plus intéressant, et le personnage est plus varié. J'ai beaucoup aimé m'y essayer, particulièrement avec David McVicar, qui est un génie. J'ai accepté cette production parce que j'étais sûre que ce genre d'opéra lui irait comme un gant. C'était moderne et inhabituellement provocateur. J'ai été stupéfaite de découvrir à quel point ce livret pouvait être encore sulfureux aujourd'hui. Personne n'hésite à tuer : Poppea, Nerone, même Ottavia, tuent des gens tous les jours. Même les « gentils Â», Drusilla, Ottone, ne le sont qu'à moitié. Cela ne les dérange pas de fouler un cadavre pour atteindre leur but. L'opéra traite de la lutte pour le pouvoir entre la vertu et la fortune. Seneca est le seul champion de la vertu, mais c'est un être très vaniteux.

     

    Comment êtes-vous venue à la musique baroque ?

    C'est une vieille histoire. Dès le début, j'ai étudié beaucoup de partitions anciennes au conservatoire. Malheureusement, cette musique est très peu jouée en Italie. Monteverdi est mon grand amour. C'est une combinaison parfaite entre la ligne musicale et la beauté du texte. Le Combattimento di Tancredi e Clorinda, évidemment, sur un texte du Tasse, mais aussi le livret de Busenello, le meilleur que j'aie jamais chanté, par sa fluidité, sa liberté. C'est un texte poétique, au même titre que ceux de l'Arioste, du Tasse.

     

    Comment pouvez-vous supporter les livrets des opéras de Haendel après cela ?

    Haendel est très différent, beaucoup plus vocal, et même dangereux, car je dois beaucoup alléger mon émission, et je finis par perdre l'appui du diaphragme. Sur le plan dramatique, c'est plus facile à transposer dans une autre époque, et cela peut être tout à fait passionnant, comme pour Rodelinda et Agrippina, qui devient une merveilleuse comédie. Monteverdi, c'est du théâtre pur, mêlant comédie et tragédie, dans une veine shakespearienne. L'Incoronazione di Poppea est l'opéra de toute une vie. J'ai commencé par Amore en 1988 à Martina Franca, avec Alberto Zedda. Puis j'ai abordé Poppea, et je viens de faire Nerone. Je ferai certainement Ottavia, et peut-être Arnalta, pour mes vieux jours !

     

    La production la plus célèbre du Couronnement de Poppée à Paris réunissait Jon Vickers, Gwyneth Jones et Christa Ludwig. Y a-t-il une tradition monteverdienne en Italie ?

    Il y a eu des choses très étranges dans les années 1950, avec des voix imposantes, un orchestre surdimensionné. De toute façon, même si cela a un peu changé aujourd'hui, notre conception de la voix est très différente. La spécialisation n'est pas en usage en Italie ; c'est pour cette raison, par exemple, que les contre-ténors sont très peu employés. J'ai fait une très belle Poppea à Bologne en 1993, avec Graham Vick et Ivor Bolton. Il n'y avait que des femmes : Ottone était interprété par Bernadetta Manca di Nissa. Seule Nutrice était un ténor. Je dois dire que pour Arnalta, je préfère un ténor. Dans la production du Théâtre des Champs-Elysées, Tom Allen était idéal, vocalement et physiquement.

     

    Quel est votre rapport aux instruments anciens ? Est-ce plus facile de chanter avec eux ?

    Le son est différent, mais ce n'est pas plus facile. J'ai fait avec Claudio Abbado et le Philharmonique de Berlin un fabuleux concert Monteverdi : le Combat de Tancrède, que je fais seule – en fait je trouve très frustrant de le faire à trois –, le Lamento d'Arianna et Con che soavità. Claudio Abbado dans Monteverdi, cela peut paraître étrange, mais il est ouvert à tout. C'est aussi ma conception de la musique. Nous avons fait un autre concert où Monteverdi côtoyait Tchaïkovski et une oeuvre contemporaine. Le fondamentalisme musical m'effraie. Je ne veux pas devenir une prêtresse du baroque !

     

    Dans les Troyens, votre français était exemplaire. Accordez-vous beaucoup d'attention à la diction ?

    La diction est fondamentale, car j'aime le théâtre. C'est une question de technique vocale. J'ai beaucoup travaillé là-dessus. Même en italien, je suis parfois plus claire que mes collègues italiens, peut-être parce que je chante plus ouvert. Parfois, cette attention aux mots peut aller à l'encontre de la beauté de la voix. Je ne suis désormais plus prête à faire ce sacrifice dans les zones difficiles, l'aigu notamment, il faut trouver un compromis. Dans le médium, je tiens à être compréhensible. Dans les Troyens, l'approche plus légère de John Eliot Gardiner a été idéale pour moi.

     

    Vous allez aborder Medea de Cherubini, qui est un rôle très tendu.

    C'est très difficile. Cherubini n'est pas très expert en matière d'écriture vocale. Ses lignes sont parfois très instrumentales : soutenir des phrases très aiguës, puis revenir dans le grave. Le personnage est aussi très difficile.

     

    Avez-vous un modèle ?

    J'ai toujours été admirative des bonnes techniques. Joan Sutherland est un phénomène, en aucun cas un modèle : j'écoute et j'admire cette façon si étrange de chanter, en ouvrant très peu la bouche pour un impact sonore immense. Mirella Freni est un modèle technique, elle est plus humaine. J'essaye d'imiter cette manière de produire des sons toujours brillants.

     

    Vous avez beaucoup chanté Rossini au début de votre carrière. Allez-vous y revenir ?

    Je vais faire Ermione en concert à Gênes. C'est un très beau rôle, que j'ai beaucoup chanté, même si la musique a des faiblesses. En Italie, durant la « Rossini Renaissance Â», toutes ces oeuvres ont été considérées comme des chefs-d'oeuvre, mais après vingt ans, l'entousiasme est un peu retombé. Je chante beaucoup moins Rossini, car on y préfère souvent des sopranos légers, même pour les rôles dramatiques. C'est assez absurde, car Semiramide, Elena de la Donna del Lago demandent un soprano plutôt central, sans suraigus écrits. J'aimerais beaucoup refaire Semiramide que j'ai chantée trop tôt dans ma carrière, alors que je n'étais pas vraiment prête. Rossini, c'est agréable une fois par an, pour le plaisir, et aussi comme une gymnastique.

     

    Rossini, Mozart sont donc une question de santé vocale.

    Pas nécessairement. Il faut évidemment trouver un équilibre, ne pas enchaîner de rôles très lourd, mais c'est surtout la durée d'un opéra qui m'importe. Les temps de répétitions sont très éprouvants pour moi : huit à neuf heures dans la même journée, c'est impossible à tenir. Le lendemain, je ne peux pas parler. Agrippina dure quatre heures, c'est beaucoup plus fatigant que Cassandre qui n'est sur scène que pendant une heure et demie : les Troyens sont l'équivalent de deux opéras. J'aimerais aborder Didon, mais pas dans la même soirée. Psychologiquement, c'est impossible. Je n'avais pas réalisé la profondeur de l'oeuvre en acceptant le rôle. Chaque soir, je pleurais sur scène. C'est un authentique chef-d'oeuvre, malgré certaines longueurs du troisième et du quatrième acte : le grand frisson ! Comme cela coûte une fortune, il y a peu d'occasions de le chanter, mais je vais faire la reprise de la production de Yannis Kokkos à Genève.

     

    Gardiner vous a choisi pour être sa Carmen.

    Il a eu cette idée en me voyant dans Cassandre. Je l'ai fait à Macerata en Italie, mais c'est un honneur que de le chanter en France. J'ai aussi en projet la Juive d'Halévy, un rôle créé pour Cornélie Falcon et marqué par Rosa Ponselle. Ce sont des expériences extraordinaires qui m'attendent !

     

    Le 31/01/2005
    Mehdi MAHDAVI


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