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ENTRETIENS 25 avril 2024

Natalie Dessay : toujours plus loin mais pas plus haut.
© Simone Fowler

Elle vient une fois encore de triompher dans Olympia des Contes d'Hoffmann. En pleine gloire, Natalie Dessay porte un regard lucide sur l'évolution de sa carrière et de son répertoire.
 

Le 22/03/2000
Propos recueillis par Michel PAROUTY
 



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  • Vous venez de chanter Olympia dans la nouvelle production des Conte d'Hoffmann prĂ©sentĂ©e Ă  l'OpĂ©ra Bastille. Que pouvez-vous trouver de nouveau dans un personnage que vous avez si souvent interprĂ©tĂ© ?

    Musicalement, je ne peux apporter que quelques variations ; théâtralement, l'essentiel vient du metteur en scène. C'est la septième production des Contes à laquelle je participe et je vous assure qu'elle n'a rien à voir avec la précédente de Bastille, celles de Lyon, de Vienne, de New York, de La Scala ou de Gand. J'ai conçu mon automate en étroite collaboration avec le metteur en scène Robert Carsen ; je voulais quelque chose de spécial, une poupée qui aille jusqu'au bout de ce pour quoi elle est programmée, le sexe, un peu poupée gonflable, un peu Barbie. Je rencontre bientôt Jérôme Savary pour parler du spectacle qu'il monte à Orange cet été. Ce sera ma dernière Olympia, tout au moins en tant que personnage isolé. Il faut laisser la place aux jeunes. Désirée Rancatore, qui me succède à Bastille, a vingt-trois ans, elle est pleine d'enthousiasme, c'est l'âge idéal pour aborder Olympia.

     
    En revanche, vous pensez toujours aux trois rôles féminins des Contes ?

    J'ai un projet pour 2003, à Lausanne, avec Marc Minkowski au pupitre et une mise en scène de Laurent Pelly. Nous utiliserions la nouvelle édition critique établie par Jean-Christophe Keck, dans laquelle Giulietta retrouve une écriture de soprano léger, avec un air encore plus compliqué que celui d'Olympia. J'attends de voir si ce rôle, précisément, sera bien adapté à ma voix et ne restera pas trop grave.

     
    Parlons de votre voix, justement. Elle semble se développer considérablement en volume, en rondeur et en puissance.

    Oui, mais elle reste malgré tout spécifiquement celle d'un soprano léger. Je ne sais pas si je pourrai un jour tenter des rôles de tessiture plus centrale. J'ai travaillé pendant huit ans pour arriver à une voix plus ronde, plus large. J'ai suivi un véritable programme d'entraînement, comme un athlète. Mais un athlète travaille en vue d'une course, d'une compétition ; nous, les chanteurs, devons penser à plus long terme. Nous devons aller au maximum de nos possibilités, mais pas au-delà. Mon professeur, Jean-Pierre Blivet, part d'une base technique, le souffle, à partir d'une respiration profonde, qui, par synergie, oblige à chanter avec tout le corps. C'est un entraînement sensoriel et corporel ; nous devons éprouver des sensations précises, ce qui permet d'éviter les accidents de parcours et de chanter même malade ou fatiguée.

     
    En fait, le statut de soprano léger semble vous peser.

    Oui, parce qu'en fin de compte nous n'avons que peu de rôles à notre disposition. En même temps, pour parvenir à maturité, dans un rôle, il faut le chanter souvent. Tant mieux si c'est Zerbinetta dans Ariane à Naxos, mais la Reine de la Nuit, c'est bien fini !

     
    Vos premières Amina dans La Somnambule, à Lausanne et à Bordeaux, annonçaient-elles un tournant dans votre carrière ?

    Certainement. J'ai trente-cinq ans, c'est le bel âge dans une vie professionnelle, et je suis en pleine possession de mes moyens. J'ai chanté deux fois Amina, avec six mois d'écart, et les progrès que j'ai accompli pendant ces six mois m'ont prouvé que j'étais sur la bonne route. Je reprendrai le rôle en janvier 2001 à La Scala de Milan, puis en septembre à Vienne. En fait, ce rôle, c'est une ouverture vers Lucia di Lammermoor, le but de toute ma vie. C'est un vrai rôle dramatique, avec un vrai parcours théâtral, l'un des rares que je pourrai trouver dans le grand répertoire. Je vais commencer par la version française, adaptée par Donizetti pour Paris, et je l'enregistrerai.

     
    On sent que vous aimez vraiment chanter en français.

    Énormément. Mais là encore, que chanter ? Aucun théâtre ne veut plus de Lakmé, trop désuet, paraît-il, alors que je suis certaine qu'en le dépouillant d'une partie du kitsch visuel et musical qui l'encombre, c'est un ouvrage qui pourrait reprendre sa place au répertoire. L'un de mes grands bonheurs a été Ophélie dans Hamlet d'Ambroise Thomas, que je vais bientôt faire à Toulouse et au Châtelet, et que j'envisage aussi au Covent Garden de Londres et à Barcelone. C'est un opéra qu'on ne jouait plus et qui pourtant est superbe. L'une de mes prochaines prises de rôle sera aussi française puisque dans les saisons à venir j'aborderai Manon.

     
    Vous pensez à Shakespeare quand vous l'interprétez ?

    Oui, ça m'aide énormément, d'autant qu'Ophélie a le même parcours dans la pièce ou l'opéra. Vous savez, Shakespeare, Molière, Mozart, on y revient toujours.

     
    Aspasia, dans Mitridate, que vous avez chanté et enregistré c'était le signe d'une nouvelle orientation mozartienne ?

    C'est extrêmement difficile de monter un opéra seria. Je préférerai Lucio Silla plutôt que Mitridate ; le personnage de Giunia m'attire mais ses airs sont terriblement difficiles ? J'en ai préparé un, pour un enregistrement avec Louis Langrée et l'Orchestra of the Age of Enlightement, et la longueur de souffle, la rapidité des vocalises m'ont demandé six mois de préparation pour quelques mesures seulement. Mon prochain rôle mozartien sera Susanna dans Les Noces de Figaro, l'an prochain, au Theater an der Wien, sous la direction de Riccardo Muti. Je préfère l'aborder dans une petite salle. Dramatiquement, je sens que je vais bien m'amuser. Pas un seul aigu dans la soirée ! Je vais trouver ça bizarre !

     
    Vos récents détours par Haendel et Rameau auront-ils des lendemains ?

    Ce furent vraiment de très beaux voyages. Je reviendrai à Haendel, j'en suis sûre. Rameau, c'est l'un de mes compositeurs préférés, c'est pour moi un génie absolu mais je ne crois pas que ma voix puisse lui rendre complètement justice, d'abord parce que ses rôles de sopranos sont écrits dans des tessitures qui, pour moi, sont relativement graves, et surtout parce que, pour le chanter, je suis obligée de changer complètement ma technique, et pas seulement à cause du diapason, qui est plus bas que celui qu'on utilise couramment aujourd'hui. Il exige une façon de dire le texte, de négocier les apoggiatures à laquelle il m'est difficile de m'adapter. C'est comme si vous demandiez à un coureur de fond de passer au 100 mètres, c'est une autre discipline. J'ai pris un immense plaisir à participer à la production des Indes galantes du Palais Garnier, mais le répertoire baroque reste malgré tout très dur à intégrer dans une carrière. On voit d'ailleurs que tous ceux qui le pratiquent s'en échappent à un moment ou à un autre.

     
    Le Lied et la mélodie vous obligent-ils aussi à adopter une technique différente ?

    Absolument, et ils demandent un effort considérable. Je m'interdis formellement de programmer un récital pendant que je fais une série d'opéras, sinon je sais que je n'aboutirai pas au résultat que je souhaite atteindre. Préparer un récital demande une concentration et un engagement physique incroyables, et engendre un énorme stress. Pour moi, cela s'apparente au marathon, alors que l'opéra relève plutôt du sprint.

     
    Vous vous produisez très régulièrement à l'étranger ; avez-vous l'impression que les chanteurs français ont désormais repris une place de choix dans le monde lyrique contemporain ?

    Certainement ; en revanche je pense que les critères de la beauté vocale sont maintenant partout les mêmes, on aime les voix chaudes, rondes, qui s'évasent vers l'aigu. Il existe probablement une sorte de standardisation du chant, mais fondée sur l'emploi d'une même technique, la technique italienne, qui me semble la meilleure. Cela dit, on perçoit quand même des différences entre les chanteurs, dues en particulier à leur langue ; les Slaves et les Nordiques, par exemple, ont des voix très caractéristiques. Fort heureusement, c'en est fini de ces voix nasales et placées "dans le masque" qu'on associait à la langue française et au chant français ; mais de grands interprètes comme Régine Crespin ou Robert Massard ont évité ce défaut, sans doute parce qu'ils ont puisé leurs connaissances dans des horizons plus vastes.

     
    Vous êtes connue et aimée d'un public qui dépasse largement celui de l'opéra. Quelle image aimeriez-vous donner ?

    Je suis certaine d'une chose : je ne suis pas une star, et personne ne se détournera sur moi dans la rue. Une star est médiatisée, mais aujourd'hui, tout le monde peut être médiatisé. Je me considère comme quelqu'un qui fait de l'artisanat d'art, et je n'ai pas envie de faire parler de moi par des événements qui n'auraient rien à voir avec mon métier. Chanter dans un stade, ce n'est pas pour moi, car il est hors de question que j'accepte une quelconque sonorisation. Je souhaite vivre tranquillement, profiter de mes enfants autant que mon activité me le permet, et la seule reconnaissance qui me fasse plaisir, c'est celle des gens du métier et du public qui aime vraiment le chant. Il faut donner aux gens de la qualité, ce qu'il y a de meilleur, et fuir le nivellement par le bas qui nous menace.

     
    Vous pensez parfois à ce que vous ferez lorsque vous cesserez de vous produire sur scène ?

    J'y pense souvent. Je m'étais dit que j'aimerais être agent, mais je ne crois pas être très douée pour les relations publiques. Quant à l'enseignement, j'aimerais bien faire comme les anciens maîtres italiens, dire à mes élèves : "Mes leçons sont gratuites, vous me rémunérerez lorsque vous commencerez à faire carrière".

     
    Puisque vous aimez tant jouer la comédie, le théâtre ne vous tente pas ?

    Je ne dis pas que je n'essaierai pas une fois, mais c'est un autre métier. Les comédiens sont seuls, ils doivent tout inventer ; nous, les chanteurs, nous avons toujours la musique pour nous soutenir.

     


    Discographie de Natalie Dessay
    Delibes: Lakmé, dir. Plasson (EMI)
    Haendel: Alcina, dir. Christie (Erato)
    Mozart: La Flûte enchantée, di.Christie (Erato)
    Mozart: Mitridate, dir. Rousset (Decca)
    Offenbach: Orphée aux Enfers, dir. Minkowski (EMI)
    Vocalises, dir. Schonwandt (EMI)
    Airs de Mozart, dir. Guschlbauer (EMI)
    Air d'opéras français, dir. Fournillier (EMI)

     

    Le 22/03/2000
    Propos recueillis par Michel PAROUTY


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