altamusica
 
       aide















 

 

Pour recevoir notre bulletin régulier,
saisissez votre e-mail :

 
désinscription




ENTRETIENS 29 mars 2024

Christina Pluhar, grande prêtresse du Seicento

A la tête de l'Arpeggiata, Christina Pluhar s'est affirmée comme la plus ardente défricheuse de la musique vocale du Seicento. Alors que vient de paraître sa vision de la Rappresentatione di Anima, et di Corpo d'Emilio de' Cavalieri, la harpiste autrichienne s'apprête à imprimer sa fougue au continuo de l'Incoronazione di Poppea à Garnier. Elle nous livre ses secrets ancestraux.
 

Le 07/02/2005
Propos recueillis par Mehdi MAHDAVI
 



Les 3 derniers entretiens

  • Ted Huffman,
    artiste de l’imaginaire

  • Jérôme Brunetière,
    l’opéra pour tous à Toulon

  • Jean-Baptiste Doulcet, romantique assumé

    [ Tous les entretiens ]
     
      (ex: Harnoncourt, Opéra)


  • D'où vient votre passion pour le Seicento ?

    J'ai commencé par la guitare classique, et me suis assez tôt spécialisée dans le luth. J'ai étudié à La Haye, et à la Schola Cantorum de Bâle. Puis, je me suis installée en France, où j'ai joué avec l'ensemble La Fenice, qui est spécialisé dans la musique du XVIIe siècle. J'ai donc eu la chance de connaître en profondeur le répertoire instrumental. J'ai également pratiqué l'opéra avec beaucoup de chefs différents. L'opéra et la musique de chambre sont quasiment deux métiers différents, ces expériences m'ont donc beaucoup appris sur la dramaturgie.

     

    Est-ce le contact avec les chanteurs qui vous a incitée à créer votre propre ensemble ?

    Je suis passionnée par le chant et la théâtralité de cette musique. Après avoir recueilli tant d'expériences différentes en observant différents chefs, les nombreuses interprétations possibles, j'ai développé un grand besoin de créer mes propres projets. J'ai surtout voulu m'entourer de musiciens et de chanteurs que j'aime énormément. Créer des rencontres entre des artistes est une expérience formidable. Si vous regardez les gens qui jouent dans mon ensemble, cela va d'un extrême à l'autre depuis le début. Je cherche à chaque fois à inviter des personnalités très fortes, qui ont beaucoup à dire. On se régale, car le cocktail est toujours un peu différent.

     

    Comment avez-vous découvert les musiques traditionnelles, la Tarantella par exemple ?

    Avant d'enregistrer chez Alpha, j'avais fait un disque d'Alessandro Piccinini pour l'Empreinte Digitale. En même temps est sorti un disque de Pino de Vittorio, la Tarantella del Gargano, en 1995. Ecouter cette manière de chanter, très archaïque – une vocalité tellement spéciale, une ornementation tellement riche, le vieux dialecte – a été un choc, mais je ne comprenais pas du tout le rapport entre la voix et les arrangements modernes. Peu après, je suis tombée sur les écrits de Kircher traitant justement de la Tarantella, qui datent du XVIIe siècle, et j'ai fait des recherches sur l'instrumentarium de l'époque. Puis j'ai rencontré Lucilla Galeazzi, Marco Beasley. Lorsque nous avons enregistré le projet en 2001, cela faisait des années que je le préparais.

     

    Avec Rappresentatione di Anima, et di Corpo, vous vous attaquez pour la première fois à une oeuvre intégrale.

    J'aime énormément cette oeuvre, mais elle est extrêmement difficile à interpréter, car la notation est très rudimentaire. Vous avez pour la première fois dans l'histoire de la musique un opéra en recitar cantando du début à la fin. La liberté rythmique, l'interprétation du continuo : il n'y a quasiment rien dans la partition. Il faut quasiment ignorer la notation musicale, car elle est expérimentale. Ecouter des enregistrements anciens est très intéressant. Un spectacle du Festival de Salzbourg a été capté en 1969, avec un orchestre moderne, et des chanteurs comme José van Dam. Il y a des accompagnati partout pour l'orchestre, comme si le chef n'avait pas su quoi faire de cette partition vide. Le style est tellement différent : cela ressemble à du Rossini, même si la basse reste identifiable. La Rappresentatione permet de mesurer l'évolution de l'exécution de la musique ancienne bien plus que l'Orfeo, car l'interprète est plus libre de lire entre les notes. Cavalieri donne beaucoup d'indications, mais pour les comprendre, il faut avoir une grande expérience de cette musique. J'arrive en fait à un moment très facile, parce que beaucoup de musiciens ont travaillé sur ce répertoire avant moi.

     

    Avez-vous écrit des accompagnati pour les récitatifs ?

    J'ai écrit des accompagnati pour viole, parce que cette pratique existait déjà depuis au moins un siècle. Dans La Pellegrina, la formation de quatre violes accompagne souvent le chanteur doublé par un violon. Comme Cavalieri a pris part à la composition de ces intermèdes, je me suis beaucoup inspirée de l'instrumentarium, précisément mentionné. L'accompagnato est une pratique absolument historique. Sans en noter les parties, Sances indique l'instrumentation, mais c'est une grande exception. Les pratiques d'improvisation sont décrites par Agazzari : un violon peut jouer une partie intermédiaire du continuo. Comme peu de gens sont aujourd'hui capables de telles improvisations, les accompagnati sont le plus souvent écrits.

     

    A partir de quels éléments recherchez-vous les couleurs du continuo ?

    Ce choix est clairement laissé à l'interprète. Reconstituer les pratiques de l'époque est évidemment très complexe, car il y a très peu d'indications. Pour ma part, je me base sur la dramaturgie, essentiellement par la pratique : je ne fixe pas préalablement mon interprétation sur le papier. Les couleurs doivent s'adapter aux artistes, à leurs voix. Si un instrumentiste est capable de faire une chose très bien, je vais favoriser cet aspect. Nous nous basons sur Agazzari, qui précise qu'une partie des instruments assure le fondamento, c'est-à-dire qu'ils remplissent l'harmonie le plus harmonieusement possible, et que l'autre joue l'ornamento, ce sont les improvisateurs.

     

    L'oeuvre comprend un prologue parlé, trois actes et des intermèdes. Quelle est la source de l'épilogue que vous enregistré ?

    C'est une liberté que j'ai prise en m'appuyant sur le texte de Cavalieri. Le prologue est noté dans l'édition de la Rappresentatione. Il était joué par des acteurs. Les intermèdes n'avaient aucun rapport avec le contexte : un spectacle total, fascinant. J'ai voulu ajouter des pièces instrumentales pour figurer ces intermèdes, nous guider d'une scène à l'autre. Joué trois fois, le Pass e medio de Susato évoque pour moi l'ange qui passe, le jugement dernier, par la mélodie très triste des trombones. Beaucoup de petites pièces dans l'histoire de la musique sont des réflexions sur la mort, très touchantes. La pièce de Merula, dont Marco Beasley a quelque peu adapté le texte, évoque une déception amoureuse et la mort. J'ai choisi cette pièce comme épilogue car j'y vois un rapport musical avec ce que chante Tempo au début. La construction de l'oeuvre est fascinante. Alors que les opéras Peri et Caccini se basent uniquement sur le recitar cantando, la Rappresentatione, comme l'Orfeo a une structure très variée : alternance de choeurs, de pièces instrumentales, d'arie strophiques, dialogue entre les voix graves et les voix aiguës.

     

    Il s'agit donc vraiment, selon vous, du premier opéra ?

    C'est un opéra sacré, exécuté à l'époque comme un spectacle très complet, basé sur les représentations sacrées créées dans les églises depuis le XIIe siècle, avec des acteurs, des danseurs, trois niveaux de scène avec le ciel et l'enfer, des costumes, et les chanteurs qui représentaient l'action. Je ne vois vraiment pas pourquoi on ne pourrait pas l'appeler opéra. Nous n'avons malheureusement pas eu l'occasion de le faire en version scénique : c'est un rêve.

     

    Cette musique a-t-elle vraiment besoin d'être dirigée ?

    Dans l'opéra du XVIIe siècle, le rôle d'un chef d'orchestre est très discutable : Monteverdi, Marazzoli, Mazzocchi, Rossi, étaient surtout des continuistes. La relation entre l'instrumentiste – claveciniste, harpiste, théorbiste –, les chanteurs, et la création était fondamentale. Je dirige tous les récitatifs de mon instrument : c'est la chose la plus efficace. Pour les plus grands effectifs, le geste est nécessaire. Mais l'équilibre entre choeurs et recitar cantando, le plus souvent dominant, est rare.

     

    Et votre carrière de soliste ?

    Je n'ai pas le temps pour cela. Je pense qu'il y a deux sortes de musiciens : pour être soliste, il faut être un ermite, perpétuellement confronté à soi-même et son instrument – j'aime beaucoup mon instrument et j'ai étudié énormément –, alors que je suis surtout fascinée par le contact avec d'autres artistes, l'échange, la création.

     

    Le 07/02/2005
    Mehdi MAHDAVI


      A la une  |  Nous contacter   |  Haut de page  ]
     
    ©   Altamusica.com