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ENTRETIENS 19 avril 2024

Soile Isokoski, une lumineuse sincérité

Discrètement mais sûrement, Soile Isokoski est devenue une étoile incontournable du monde lyrique. Straussienne lumineuse, Marguerite irradiante, Liù adamantine et bouleversante, la soprano finlandaise revient à l'Opéra Bastille pour une reprise d'Otello, avec la promesse d'une Desdemona rayonnante de pureté. Rencontre avec une musicienne simple, à l'enthousiasme débordant.
 

Le 21/02/2005
Propos recueillis par Mehdi MAHDAVI
 



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  • Avez-vous toujours rêvé d'être une star de l'opéra ?

    Je dis souvent que je suis devenue chanteuse d'opéra par accident. Lorsque j'étais enfant, nous faisions beaucoup de musique à la maison : je chantais, je jouais du piano, de la flûte, j'ai même essayé la guitare. Mais mon père était un pasteur luthérien, et même dans mes rêves les plus fous, je n'imaginais pas devenir chanteuse d'opéra. Mais musicienne, cela allait presque de soi. C'est pourquoi j'ai commencé à étudier dans une école de musique. Puis j'ai travaillé dans l'église de mon père pendant deux ans : je jouais de l'orgue, chantais dans le choeur, c'était beaucoup de travail ! Utiliser ce talent comme chanteuse est plus gratifiant.

     

    Comment avez-vous franchi le pas ?

    J'ai étudié le chant au plus haut niveau en Finlande, à l'Académie Sibelius, où j'ai obtenu mon diplôme et donné mon premier concert. A l'époque, tout le monde me disait que j'avais une voix merveilleuse. Cela a fini par m'irriter. Je me suis donc présentée au plus grand concours national finlandais, et j'ai gagné, moi, l'inconnue sur qui personne n'aurait parié. Cela a été un moment difficile, car ma vie s'est retrouvée sens dessus dessous. La Radio finlandaise m'a envoyée au Pays de Galles, pour représenter la Finlande au le concours Singer of the World de la BBC. Durant les deux ou trois années qui ont suivi, je ne savais plus vraiment à quel monde j'appartenais. J'étais effrayée par l'opéra ; je n'en avais même jamais vu. Les chanteurs d'opéra me semblaient étranges, égoïstes, imbus de leur personne, arborant des tenues excentriques. Maintenant, j'ai appris que dans ce milieu la célébrité rend normal. Il y a des exceptions, mais j'ai rencontré tant de personnes adorables que j'aime travailler à ce niveau. Et puis je pensais être incapable de jouer sur une scène. Mais je n'avais aucunement l'intention de retourner travailler à l'église non plus, ni à la banque, où j'ai travaillé deux ans après mes études de commerce : j'avais la migraine tous les jours, je n'étais vraiment pas faite pour cela !

     

    Ecoutiez-vous de l'opéra avant d'en chanter vous-même ?

    Parfois, mais je n'avais pas cette passion comme certains de mes collègues qui écoutent de l'opéra depuis le berceau, et qui connaissaient tout le répertoire par coeur avant d'apprendre à lire la musique. J'avais tout de même quelques idoles, comme Maria Callas, dont la voix me touchait particulièrement. Je retrouve la même intensité et le même appétit de vie chez Tina Turner. C'est le même type d'engagement, la même exigence, même si ces voix ne sont pas jolies. J'aimais aussi Jessye Norman, Elisabeth Schwarzkopf, Elly Ameling, et plus récemment Kiri Te Kanawa : une palette assez large. Mais je n'ai jamais pensé imiter qui que ce soit. Au début, cela peut aider, évidemment, et travailler avec un professeur qui a la même tessiture que vous est souvent très utile. Mais il faut trouver sa propre voie, car sur scène, on se retrouve seul face à soi-même.

     

    De Mozart à Strauss, en passant par Verdi, Puccini, l'opéra français et Wagner, votre répertoire est très large.

    C'est un peu mon dilemme. Ma pianiste, Madame Viitasalo, dit que je suis une musicienne de chambre, et cela reste vrai dans les grands théâtres, où il m'est parfois impossible d'entendre l'orchestre. Avec Gergiev, c'est facile ; il nous a dit : « Ne me regardez pas, je vous suis Â». Lorsque je dois à la fois suivre la battue, avoir l'impression de chanter en avance sur l'orchestre parce que le retour du son légèrement est décalé, cela devient très difficile, d'autant que j'aime avoir une sensation d'immédiateté dans la musique : nous faisons la musique ensemble et maintenant. J'apprécie beaucoup les récitals, les concerts avec orchestre. Je meurs d'envie de chanter les Passions de Bach, mais je n'ai pas le temps. Je suis très enthousiaste et assidue dans l'apprentissage des styles. Pour cela, je travaille seule, et avec des chefs de chant, qui me donnent leur avis, des indices. Avec les années, ma conscience des différents styles va grandissante, vers une certaine sagesse. Pour l'instant, la justesse stylistique reste pour moi un défi à surmonter : voilà ce qui m'attire.

     

    Utilisez-vous votre voix différemment lorsque vous chantez Mozart et Verdi, par exemple ?

    Dans Verdi, je dois penser con affetto, avec plus de sentiment. Les mots sont importants pour moi, mais pas au point d'appuyer la moindre double-consonne : il faut étirer la ligne, soigner le legato, l'élasticité. Je chante toujours avec la même voix, mais le style est différent. Par exemple, j'utilise davantage les résonances de poitrine dans Verdi que dans Mozart, que je garderai toujours à mon répertoire, rien que pour une question de santé vocale. Comme en récital, je peux y cultiver la diction, les pianissimi, jusqu'au murmure. Dans Verdi, il faut murmurer avec tout son corps.

     

    Quelle est votre approche de Desdémone ?

    Je ne pense pas qu'elle soit stupide. Elle est typiquement féminine : elle tente de plaire à son mari, elle est une bonne âme, même si toutes les femmes ne le sont pas. Cela se ressent dans sa manière d'agir : Otello est de mauvaise humeur, elle pourrait voir qu'il ne veut pas discuter, mais elle persiste à vouloir lui parler de Cassio. Elle est jeune et naïve.

     

    Qu'attendez-vous d'un chef d'orchestre ?

    J'espère établir une relation où nous puissions véritablement faire de la musique ensemble ; que cela passe par le regard ou les mots, peu importe, tant qu'il me montre le chemin de ce qu'il désire. Satisfaits ou pas, certains grands noms de la baguette ne disent rien : c'est un peu déroutant. Certains de mes collègues tiennent peut-être à chanter les oeuvres telles qu'ils les ont apprises. Je pense pouvoir modifier ma manière de chanter une oeuvre, pas énormément sans doute, mais je reste ouverte aux changements. J'ai chanté les Quatre derniers Lieder une cinquantaine de fois, la cinquante et unième pourrait être différente.

     

    Vous avez chanté Daphne, La Juive. Est-ce un défi pour vous que d'aborder des oeuvres rarement jouées ?

    Je ne cours pas désespérément après, mais bien chanter un rôle rarement interprété est très gratifiant. Daphne est un rôle extrêmement difficile : elle chante tout le temps, très haut, avec une scène finale très lyrique. Dans la version concertante à laquelle j'ai participé, les autres chanteurs pouvaient aller et venir, alors que je devais toujours être sur scène. Mais cette musique est magnifique. La Juive m'a beaucoup intéressée à cause de l'histoire. Je n'avais pas réalisé à quel point le rôle est haut, mais aussi parfois très bas, notamment l'air Il va venir, qui sollicite beaucoup le médium.

     

    Quels sont les rôles dont vous rêvez, que vous allez aborder dans un avenir proche ?

    On m'a proposé de chanter Tatiana dans Eugène Onéguine au début de ma carrière, mais je ne me sentais pas prête. C'est une question d'expérience : Tatiana doit sembler extrêmement naturelle dans l'air de la lettre. Je vais bientôt l'aborder, ainsi qu'Ellen Orford dans Peter Grimes : le personnage est magnifique, et son air est si beau. Je vais aussi chanter Capriccio sur scène, Ariadne auf Naxos, il est question d'Arabella. Dans Ariadne, on imagine évidemment Jessye Norman, mais je dois le chanter avec ma voix. Je vais le faire une fois, et si cela ne me va pas, j'abandonnerai. Ce sera à Monte Carlo. Le théâtre est petit, je me sentirai plus en sécurité.

     

    Vous sentez-vous à l'aise dans les très grands théâtres d'aujourd'hui ?

    C'est un problème, particulièrement à Bastille. L'acoustique est difficile, même depuis la salle : le son n'est pas direct, il semble adouci, comme si vous baissiez le volume de la radio, et la voix paraît moins riche. Mais l'équilibre avec l'orchestre n'est pas mon problème : c'est le chef qui doit y prendre garde.

     

    Aimez-vous chanter le français ?

    Il m'arrive sans doute de faire des erreurs, mais j'aime cette langue. J'aimerais beaucoup l'apprendre, mais j'ai grandi dans un petit village du nord de la Finlande, et les opportunités étaient très restreintes. Grâce à la télévision, je le comprends de mieux en mieux, et je me sens moins perdue que lors de mon premier séjour ici !

     

    Le 21/02/2005
    Mehdi MAHDAVI


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