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ENTRETIENS 20 avril 2024

Carlos Alvarez, grand baryton ibérique

Il vient de triompher en Iago à l'Opéra Bastille. La crinière aussi noire que l'œil, la voix sombre, c'est le grand baryton Verdi du moment. Aussi bon acteur que chanteur, présence fulgurante sur scène, c'est pourtant un sage qui mène sa carrière avec prudence et intelligence. Encore une grande voix ibérique.
 

Le 28/02/2005
Propos recueillis par Gérard MANNONI
 



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  • Vos biographies ne mentionnent quasiment rien sur ce qui vous a conduit à faire une carrière de chanteur. On sait seulement que vous aviez commencé des études de médecine avant d'opter pour le chant. Pourquoi ce brusque changement d'orientation ?

    Je n'avais absolument jamais songé à être chanteur. Je voulais devenir médecin et avais entrepris les études adéquates. Je tiens d'ailleurs à préciser que, contrairement à ce qu'on croit souvent, je n'ai aucun lien de parenté avec mon collègue, l'excellent ténor Marcello Alvarez, qui est argentin alors que je suis espagnol, de Malaga. Nous nous sommes une fois retrouvés dans la même distribution, lui en Duc et moi en Rigoletto, et cela a jeté un grand trouble dans les esprits, car on nous croyait frères ! J'étais donc étudiant en quatrième année à la faculté, chantant dans la chorale et travaillant aussi au conservatoire, lorsque l'on décida de former une chorale pour le théâtre de Malaga, une ravissante petite salle à l'italienne. On allait y recréer une petite saison d'opéra, nécessitant un choeur. J'en ai fait partie, mais sans songer une seconde à autre chose. Mais un ancien directeur du Teatro Real de Madrid vint à Malaga. Je chantais un ou deux tout petits rôles très secondaires, comme le Marquis d'Aubigny dans La Traviata, je crois. Rien de plus. Il m'a demandé si je voulais venir à Madrid où ils avaient besoin d'une doublure pour la nouvelle production d'une Zarzuela. J'ai accepté. Et tout a commencé ainsi, en 1990. J'ai alors rencontré plein de gens, comme Placido Domingo, ou mon agent et professeur de chant Alfonso Garca Leoz, qui m'ont convaincu qu'une vraie carrière s'ouvrait à moi. La chance m'a souri de manière incroyable car je n'ai eu aucune difficulté. Je n'ai jamais fait de petite carrière. J'avais vingt-trois ans, et j'ai immédiatement chanté de grands rôles dans des théâtres importants. Je vais avoir trente-neuf ans en août prochain, ce qui signifie que j'ai déjà passé sur scène presque la moitié de ma vie ! Et comme on y apprend tous les jours, c'est une opportunité formidable. Apprendre en travaillant ! Mais il faut faire ses preuves aussi tous les jours. En quittant l'université, je me suis dit : finis les examens ! Je ne savais pas que j'en passerais un chaque fois que j'entrerais en scène ! Il faut prouver sans cesse que vous méritez le rang auquel vous vous trouvez.

     

    Commencer une carrière aussi jeune et aussi vite est rare pour votre type de voix.

    Les voix graves ont en effet généralement besoin de mûrir. La mienne s'est d'ailleurs développée en même temps que moi. Elle a gagné en épaisseur, en couleurs, mais, dès le début, j'ai voulu ne choisir que ce qui convenait à l'état de maturité de mes cordes vocales. Mes premier rôle ont été Figaro dans le Barbier de Séville, Belcore, dans l'Elixir d'amour, des rôles ne présentant aucun risque. Et puis, peu à peu, j'ai assumé des responsabilités plus lourdes, jusqu'à ce que je me sente vraiment en pleine maîtrise de mes moyens. Je me rappelle qu'en 1993, Riccardo Muti m'a demandé de chanter Rigoletto à La Scala. Je lui ai répondu que je ne me sentais pas prêt à le faire. Pouvais-je apporter autre chose que l'exécution des notes ? J'étais alors trop jeune, je n'avais rien vécu, je n'étais pas encore père, pour donner une épaisseur valable à un rôle comme celui-ci. Je prenais un risque, pensant que je serais à jamais banni de la Scala, mais c'est exactement le contraire qui s'est produit. Il a pris cela comme une marque de sagesse et m'a ensuite réinvité. Je m'efforce d'ailleurs toujours d'alterner des rôles de Mozart ou de bel canto qui sont une cure de jouvence pour voix, avec les rôles plus agressifs de Verdi notamment. J'y porte la plus grande attention en établissant mon planning. Ce sont des plages de repos.

     

    Vous êtes considéré comme le baryton Verdi idéal, mais n'avez-vous jamais songé comme Placido Domingo à vous orienter aussi vers le répertoire wagnérien ?

    Je crois que personne ne songe à moi dans cet emploi. Il y a tellement de barytons qui y excellent en ce moment. Et puis, je dois reconnaître que se pose le problème de la langue. Je n'accepte pas de chanter des mots, même phonétiquement corrects, comme un simple flot sonore supportant la musique, sans en vivre le sens, sans en savourer la prononciation. Je ne parle pas l'allemand et réaliser mes exigences en ce domaine sur un grand rôle wagnérien me demanderait un temps dont je ne dispose pas actuellement. J'ai chanté Onéguine en russe. Apprendre la musique m'a demandé trois semaines, mais j'ai mis six mois à maîtriser le texte comme je le souhaitais. Et encore, le texte de Pouchkine est de la poésie, ce qui facilite la mémorisation.

     

    Qu'est-ce qui vous séduit le plus chez Verdi, la puissance de la musique ou la dimension théâtrale des personnages que vous chantez, puisque les barytons ont des rôles de tout premier plan ?

    C'est vrai que Verdi nous a gâtés. Il ne voulait pas seulement un déploiement de voix sur scène, mais du vrai drame et il a compris l'intérêt de l'impact dramatique des voix de barytons à cet égard. Elles correspondent à la force des personnages qu'il imaginait. C'est ainsi qu'il a fait de nous les piliers de ses drames, aussi présents, d'ailleurs en concert ou à l'audition d'un disque. Je sais que chaque fois que j'entre en scène, je ne veux plus être moi-même. Je veux me transformer, oublier totalement qui je suis et devenir celui que Verdi a imaginé. C'est une mutation complète. Je ne souhaite pas qu'on me reconnaisse, mais que l'on reconnaisse le personnage. Je me rappelle l'une des premières fois où j'ai chanté Rigoletto. J'avais été si bien maquillé et habillé que ma femme ne m'a reconnu qu'à mon regard quand elle est entrée dans ma loge. C'est cela qu'il faut atteindre pour incarner ces grands héros verdiens : s'effacer derrière eux et tâcher de devenir eux-mêmes à tous égards. Le plus beau compliment que l'on puisse me faire est de dire que ce n'est pas moi que l'on a vu, mais le personnage.

     

    Comment voyez-vous maintenant l'évolution de votre carrière ?

    Je vais dans les années qui viennent continuer à explorer les rôles de Verdi que je n'ai pas encore abordés. Il y aura d'abord en avril Un bal masqué, au Metropolitan Opera de New York. La saison prochaine, ce sera Simon Boccanegra à l'Opéra Bastille, et une nouvelle production de Luisa Miller à New York. De toutes manières, pour moi, une reprise peut être aussi excitante qu'une prise de rôle. La production, le chef, les partenaires sont différents. C'est un autre univers dans lequel il faut entrer. Je trouve toujours cela très exaltant. Je ne comprends pas ceux qui se plaignent de chanter un rôle pour la centième fois. Mois, je trouve ça formidable. Je ne m'en plains jamais.

     

    Etes-vous attiré par le répertoire français où un certain nombre de rôle vous conviendraient très bien ?

    Je n'ai chanté que Cleopâtre de Massenet avec Montserrat Caballé. J'ai trouvé cela fantastique. J'adorerais chanter Hamlet. Il y a un projet en ce sens en Espagne et peut-être ailleurs. Le version pour baryton de Werther me tenterait aussi. Ce sont des incursions un peu en dehors du grand répertoire traditionnel qui pourraient aussi tenter quelqu'un comme Gérard Mortier. Dans un autre domaine, Monteverdi tel qu'on le représente aujourd'hui me séduit aussi beaucoup. Il faut que le public garde sa curiosité et accepte qu'on le surprenne, qu'on ne lui donne pas toujours ce à quoi il s'attend.

     

    Etes-vous prêt à tout accepter d'un metteur en scène ?

    Jusqu'à un certain point, oui, à condition que je comprenne la relation profonde existant entre l'oeuvre et ce que l'on me demande. Sinon, je préfère me retirer. J'attends du metteur en scène ou même du chef qu'ils expliquent et justifient leurs options, si elles sont nouvelles, voire révolutionnaires. Je n'accepte pas l'arbitraire ni le refus du dialogue. Cela arrive rarement, mais je peux très bien, effectivement, préférer m'en aller plutôt de faire forcément mal ce que je ne peux comprendre ni accepter. Le problème est que peu d'artistes peuvent se permettre ce type de refus et que, de toutes manières, ces conflits ne peuvent surgir qu'au moment des répétitions car nous signons les contrats bien avant que la production soit définie avec assez de précision. Au début, tout paraît toujours superbe : les costumes, les décors, les intentions de chaque protagoniste du spectacle. Les désillusion viennent lorsque l'on est confronté à la réalité, car un costume magnifique peut se révéler totalement inadéquat sur tel chanteur, tout comme la conception d'un personnage peut être discordante avec la personnalité d'un interprète. C'est une question de respect mutuel. L'interprète doit considérer avec respect les propositions qui lui sont faites, mais le metteur en scène ou le chef doivent aussi prendre en considération les spécificités de chaque interprète.

     

    Le 28/02/2005
    Gérard MANNONI


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