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ENTRETIENS 25 avril 2024

Elisabeth Platel, l'intelligence de la pédagogie
© Jean-Louis Saïz

La grande étoile Elisabeth Platel a succédé à Claude Bessy à la tête de l'Ecole de Danse de l'Opéra national de Paris. Complément d'une éblouissante carrière au sommet, la pédagogie lui permet de développer cet autre aspect de sa personnalité. Un nouveau poste qu'elle assume avec intelligence, fermeté, clairvoyance et talent.
 

Le 21/03/2005
Propos recueillis par Gérard MANNONI
 



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  • Vous avez hésité plusieurs années avant d'accepter la responsabilité de cette école, jugée comme la meilleure du monde. Qu'est-ce qui vous finalement poussée à accepter ?

    C'est vrai que je me suis longtemps posé la question car j'adore donner des cours à une compagnie et remonter un ballet. Mais j'aime aussi beaucoup le contact avec les enfants. Je ressens le besoin de transmettre. Pourtant, ce qui m'a vraiment décidée, c'est que je tenais à rester à l'Opéra de Paris, dans le souci de transmettre et de préserver ce que j'avais appris. L'Ecole de l'Opéra est l'endroit privilégié où cultiver l'école française.

     

    Vous n'êtes pas vous-même issue de l'Ecole de l'Opéra puisque vous avez fait vos classes au Conservatoire national supérieur de Paris. Est-ce un avantage ou un inconvénient ?

    Comme élève de Christiane Vaussard, je me sens totalement issue de cette Ecole. Je suis une fille de l'école française, n'ayant eu que ce professeur, elle-même grande étoile de l'Opéra. Et puis, je n'ai jamais eu d'autre désir que de rentrer à l'Opéra dès mes premières années d'apprentissage. C'était une filière normale à l'époque et beaucoup d'autres étoiles comme Jean-Yves Lormeau, Isabelle Guérin, Clairemarie Osta et bien d'autres, premiers danseurs aussi, sont sortis du Conservatoire. La filière Conservatoire était parallèle, empruntée par ceux que leurs parents n'avaient pas voulu ou pu mettre à l'Ecole de l'Opéra, mais pour beaucoup, l'issue était aussi cette grande compagnie.

     

    Quand vous avez pris votre poste, quels étaient pour vous les éléments à modifier ?

    On ne change pas une équipe qui gagne. Tous les gens qui sont actuellement dans le Ballet de l'Opéra sont issus de cette école et la compagnie est toujours considérée comme la meilleure du monde dans ce type de répertoire. Après, il est permis de s'interroger sur des points bien précis. Et-ce que la musicalité est aussi bonne qu'il y a dix ou quinze ans ? Est-ce que le travail de pieds est toujours du même niveau ? Est-ce que les ports de bras n'étaient pas meilleurs il y a quelques années ? Ce sont des questions de pédagogie que j'ai tout de suite abordées avec les professeurs en leur demandant quels étaient les manques constatés et comment les combler. On a par exemple renforcé le travail de saut pour les filles, car j'ai trouvé qu'elles sautaient moins qu'avant. On a en revanche gardé le travail de pointes qui est formidable. Il ne s'agit pas de changements révolutionnaires, mais d'améliorations, de réglages qui peuvent toujours évoluer.

     

    Le répertoire de la compagnie a évolué ces dernières années, incluant beaucoup plus d'oeuvres très contemporaines. Cela vous conduit-il a modifier l'enseignement de l'Ecole ?

    Il faut éviter de tomber dans ce piège en se disant qu'on doit préparer les danseurs au contemporain. Faire un danseur prend beaucoup de temps et je suis contre les enseignements pluralistes où l'on fait faire un petit peu de tout. Je préfère former des danseurs un peu trop classiques mais qui sont capables de tout faire, que des danseurs moyens en tout. En outre, il ne faut pas tout juger d'après une saison. Si celle qui se déroule actuellement est très tournée vers le contemporain, rien ne dit que la prochaine le sera également. Par rapport au monde de la danse, j'ai le devoir de garder le patrimoine de notre école, et l'on voit d'ailleurs beaucoup des créateurs et des interprètes les plus contemporains revenir vers les normes classiques pures et dures. Ils s'aperçoivent qu'elles leur ouvrent d'immenses possibilités. Il faut en revanche aiguiser la curiosité des jeunes, mais ils doivent arriver dans la compagnie totalement faits. Ils peuvent évoluer ensuite artistiquement, mais ils doivent être prêts techniquement Si l'on voit dès le début que telle personnalité sera sûrement plus contemporaine que classique, ce n'est pas une raison pour orienter différemment l'enseignement prodigué. L'évolution se fera d'elle-même.

     

    Même si le bilan actuel de l'Ecole est très positif, elle a été récemment soumise à d'acerbes critiques. Etaient-elle injustifiées ? Allez-vous en tenir compte ?

    L'Ecole n'est naturellement pas hors de toute atteinte critique. Celles qui ont été émises n'étaient malheureusement pas les bonnes et étaient mal ciblées. Elles ont eu néanmoins l'avantage de déboucher sur un rapport de la DDAS qui a permis d'apporter quelques améliorations. Par exemple, des crédits ont pu être dégagés pour une réorganisation et un développement du service médical. Quand elle était à Garnier, l'Ecole bénéficiait du service médical de l'Opéra. A Nanterre, la structure était très limitée. Nous avons maintenant une infirmière à plein temps, un kiné deux fois par semaine, un médecin qui fait les examens médicaux prévus dans les écoles d'activités physiques. On ne peut pas dire non plus qu'il n'y avait rien avant, car beaucoup de surveillants avaient leur brevet de secourisme et faisaient de petits actes d'infirmerie. Maintenant, les tâches sont mieux définies et l'infirmière peut à tout moment prendre les bonnes décisions, soigner elle-même ou faire appeler par exemple les pompiers en cas de problème qui la dépasse. Elle peut aussi être une écoute psychologique pour les adolescents et même les tout-petits. Nous avons aussi fait appel à un nutritionniste. Il faut éviter les régimes anarchiques, surtout pour les plus jeunes, et surveiller l'équilibre de la cantine. Cela faisait partie de mes projets, mais grâce à ce rapport de la DDAS je n'ai pas eu à me battre pour obtenir les budgets.

     

    Beaucoup de ceux qui fréquentent l'Ecole aujourd'hui affirment que le climat y est plus détendu. Est-ce dû à une volonté précise de votre part ?

    Ces enfants vont être amenés à travailler dans une compagnie où l'autodiscipline sera fondamentale pour leur carrière. Si on leur impose une discipline à coup de punitions à l'ancienne, on les maintient dans l'interdiction. On essaie désormais de les responsabiliser en leur laissant gérer leur comportement par rapport au règlement. Tout manquement au règlement, c'est d'abord une convocation pour dialoguer. On décide après. Ils ont un choix, et je pense que cela va les aider à s'assumer plus tard comme adultes. Je suis en revanche intraitable sur la politesse. Tous les adultes ont droit au salut. C'est ici une tradition ancestrale pour dire bonjour. Pas la peine de tous se lever quand j'arrive à la cantine ou dans un cours, mais en revanche, ils vont tous prendre l'air et se défouler dehors en faisant du sport. La danse se travaille dans un univers clos. Il faut que les jeunes puissent respirer dehors. On a opté pour le badminton, car le volley est dangereux pour les poignets. Pas d'interdiction de parler dans le hall danse, mais on ne crie pas. Je tiens à ce que les élèves soient simplement normaux et vivants. Le tableau de service a été placé dans un lieu de passage, au pied d'un escalier, très facile d'accès. C'est devenu l'endroit où tout le monde peut se rencontrer.

     

    Vous n'avez rien changé à la répartition des professeurs ?

    Pour l'instant non. Ils sont tous très attachés à leur niveau. Tous donnent néanmoins un cours au niveau supérieur et au niveau inférieur. Mais il est possible que je procède à certains remaniements à l'occasion de l'arrivée de nouveaux professeurs. J'ai moi-même pris quelques classes de première division et j'essaie de donner à certains professeurs un plus large éventail de niveaux. Mais ils sont tous formidables artistiquement. De toutes manières, il y a plutôt trop de matières enseignées que pas assez. Cela pose des problèmes d'emploi du temps parfois difficiles à résoudre.

     

    Vous avez un bureau à Garnier. Pourquoi ?

    Je voulais absolument avoir aussi un bureau à Garnier où je viens prendre des cours tous les jours, car je tiens à ce que l'Ecole ne soit pas coupée de la compagnie. A Nanterre, nous sommes dans un confort qui touche au luxe, mais avec un grand danger d'isolement. Pour moi, il est indispensable que les élèves ne soient pas coupés de la vie du Ballet.

     

    Comment avez-vous choisi le programme du spectacle annuel, qui est une tradition incontournable ?

    L'instauration du spectacle annuel a été une des grandes avancée de la gestion de Claude Bessy. Les enfants, qui ne participaient plus aux spectacles du Ballet ni des opéras, ont eu la possibilité de s'exprimer. En revanche je ne suis pas pour sa multiplication. Une série à Garnier est normale, une brève tournée ailleurs peut s'envisager, mais il n'est pas question de faire une compagnie junior. Nous n'en avons pas le temps. Les démonstrations de fin décembre sont l'aboutissement du travail technique du premier trimestre. Ensuite, nous faisons un travail plus artistique pour le spectacle et le troisième trimestre est la préparation des examens. Ça va très vite ! Organiser des déplacements veut dire faire l'impasse sur un enseignement à un moment ou à un autre. Quelques déplacements sont néanmoins prévus l'an prochain, mais je m'arrange pour qu'ils soient exceptionnels et ne concernent pas les mêmes niveaux.

     

    Comment avez-vous bâti le programme de cette année ?

    Autour de l'école française et de la musique française. Je tenais absolument aux Deux pigeons, ballet emblématique de l'Ecole, que j'avais travaillé avec Christiane Vaussard, typique de l'école française. On aura dans le programme la photo de toutes les grandes étoiles qui l'on dansé, de Rosita Mauri à Zambelli, Vaussard, Chauviré et Darsonval. C'est un ballet idéal avec non seulement tous les pas de l'école française, mais les danses de caractère dont le travail est très important. En parallèle, il y a le Tombeau de Couperin de Balanchine, sur la musique de Ravel. C'est un ballet difficile qui sera dansé par la première division au complet. Enfin, il y aura une création de José Martinez, étoile de l'Opéra, sur Scaramouche de Darius Milhaud, avec des costumes d'Agnès Letestu, également grande étoile maison. Mais même avec des programmes d'aussi haut niveau, l'Ecole ne sera jamais une compagnie bis, formule très à la mode actuellement. Tout cela n'empêche pas d'envisager une politique de vidéos de spectacles et même de cours, à vocation pédagogique. C'est à mettre en place peu à peu dans les années qui viennent.

     

    Avez-vous encore le temps de danser ?

    Je prends des cours tous les matins, et j'ai participé l'été dernier aux spectacles du groupe que Manuel Legris a formé et qu'il emmène tous les ans au Japon. J'ai dansé du Neumeier, rien que pour me faire plaisir !




    Premier spectacle de cette nouvelle ère de l'Ecole de Danse à partir du 25 mars au Palais Garnier.

     

    Le 21/03/2005
    Gérard MANNONI


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