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ENTRETIENS 24 avril 2024

Felicity Palmer, mezzo explosive
© Askonas Holt

Soprano phare de la révolution baroque, Felicity Palmer brûle désormais les planches avec une intensité saisissante dans les rôles de mezzo les plus tourmentés du répertoire. Après Madame de Croissy, elle est Maria Akhrossimova dans la Guerre et la Paix, avant de hanter en juin une nouvelle production d'Elektra. Entretien avec une artiste scrupuleuse et explosive.
 

Le 29/03/2005
Propos recueillis par Mehdi MAHDAVI
 



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  • Le chant a-t-il toujours Ă©tĂ© une Ă©vidence dans votre vie ?

    Mon père était musicien, et lorsque j'étais enfant, il y avait beaucoup de musique à la maison. J'ai chanté dans un choeur à l'église, à l'école. A l'âge de 14 ans, j'ai passé une audition à l'école pour Trial by jury de Gilbert and Sullivan, avec ma mère qui était metteur en scène amateur. Mon père qui était là a très été étonné par la maturité de ma voix. A 16 ans, j'ai commencé mes études à la Guildhall School of Music and Drama, mais seulement deux fois par semaine. A 18 ans, ayant chanté comme soliste dans Judas Maccabaeus de Haendel et la Création de Haydn, j'ai commencé mes études musicales à plein temps. Peut-être aurais-je dû faire des études à l'université pendant trois ans avant de me lancer dans cette voie, mais à l'époque, en 1962, nous étions ingénus !

     

    Vous avez un parcours étonnant : d'abord soprano, dans des parties plutôt légères, vous êtes aujourd'hui spécialisée dans les grandes figures dramatiques de mezzo et contralto.

    Si j'avais immédiatement commencé à chanter de l'opéra, j'aurais sans doute découvert ma véritable voix plus tôt. A mes débuts, je faisais seulement des concerts et des récitals. Ce n'est qu'en 1973 que j'ai débuté à l'opéra, dans Didon et Pamina. Quand on écoute des enregistrements, on pense que je suis soprano, mais pour moi, cette voix n'était pas entière. Dans les choeurs, je chantais toujours le second soprano. Dans ma jeunesse, cette voix allégée fonctionnait bien, mais elle s'est développée, et j'ai fini par appréhender mes engagements pour des oeuvres comme la Missa Solemnis de Beethoven et le Requiem de Verdi. Cette évolution vers la voix de mezzo-soprano a duré dix ans, mais cette tessiture est beaucoup plus confortable pour moi, et les rôles conviennent mieux à mon tempérament. Lorsque j'ai chanté Pamina, un critique a écrit que si l'opéra avait eu un acte supplémentaire, j'aurais écrasé Sarastro. Je préfère les personnages à plusieurs facettes.

     

    La dimension théâtrale vous a-t-elle immédiatement paru naturelle ?

    Quand j'étais assez jeune, les gens, à Glyndebourne par exemple, pensaient que je ne faisais que des concerts, et que je ne pouvais pas faire d'opéra. Puis j'ai chanté Pamina et Albert Herring de Benjamin Britten, le rôle de Florence Pike : j'aime aussi beaucoup les femmes un peu comiques. Les mots sont le liens entre le théâtre et la musique. Il suffit juste de savoir jouer avec les mots, les couleurs, les idées, et les personnages prennent vie sur scène : les gestes en découlent naturellement.

     

    La plupart des rôles que vous chantez ne sont pas parmi les plus sympathiques du répertoire.

    J'aime les femmes un peu compliquées, qui ont un passé lourd. Et il y a toujours quelque chose de positif chez ces personnages terribles, et surtout une raison à leur souffrance. Psychologiquement, elles sont beaucoup plus intéressantes. J'ai de la sympathie pour Klytemnestra : elle souffre depuis tant d'années avec ses cauchemars, elle a payé. Elle reste hantée par le sacrifice d'Iphigénie, et y trouve une justification à son acte. Comme pour Madame de Croissy, il y a toujours quelque chose de nouveau à découvrir, des couleurs, des nuances. J'aime tout détruire et recommencer.

     

    Vous ĂŞtes une des seules titulaires de Madame de Croissy Ă  chanter toutes les notes du rĂ´le.

    Je sais que c'est un problème. A mon âge, beaucoup de chanteurs compensent par des gestes leur incapacité à chanter toutes les notes. Mais je ne pourrais plus me regarder en face si je ne faisais pas précisément ce qui écrit sur la partition. Il y a des rôles que je ne peux pas chanter pour cette raison, et je l'accepte. Si on n'a pas les notes, on ne chante pas le rôle. C'est la même chose pour la Comtesse de la Dame de Pique : cette chanson en français est à la fois très simple et très difficile, mais il faut être en mesure de la chanter. La vie serait sans doute plus simple pour moi si j'évitais certaines notes, mais malheureusement, je ne peux pas le faire.

    « Je ne pourrais plus me regarder en face si je ne faisais pas prĂ©cisĂ©ment ce qui Ă©crit sur la partition Â».

     

    Sacrifiez-vous parfois le son au profit de l'expression ?

    J'aurais voulu parler une fois avec Madame Callas. Ma conception est qu'on doit faire attention à la voix – c'est souvent difficile, parce que je suis impulsive et que cela peut être dangereux pour l'instrument, je dois me retenir – mais si je dois prononcer des paroles violentes, je ne peux pas chanter comme un ange. La voix n'est qu'un ingrédient parmi d'autres, et si c'est nécessaire de faire des sons pas très beaux, je n'hésite pas. Je m'ennuie beaucoup en écoutant des chanteurs qui ne misent que sur leur voix, à l'exception de Gheorghiu qui a une voix fantastique, mais Callas a tout changé parce qu'elle a risqué des sons, des couleurs. Notre travail est de jouer le rôle : si je suis là seulement pour chanter, ce n'est pas assez. Voilà ce que j'enseigne dans mes Master Classes. J'ai écrit une lettre à Janet Baker, qui est très importante pour moi, après avoir vu une vidéo d'elle à New York. Il faut faire tout un travail sur les couleurs, les mots, toujours trouver quelque chose de nouveau. Ainsi, Pierre Bernac m'a enseigné l'amour de la langue française. Si on chante par exemple un lied de Schubert, il faut penser à son propre vécu, se remémorer ces larmes qui brûlent la peau après une séparation. Nous sommes là pour faire passer ce genre de sentiments, sans en faire trop, mais en y pensant : chanter sans perdre le sens. C'est plus difficile dans des salles comme Bastille, parce qu'on est seul sur scène et que l'on ne ressent pas le public : il faut espérer qu'il ressente cette sollicitation.

     

    Acceptez-vous tout de la part d'un metteur en scène ?

    Certains metteurs en scène ont des idées totalement toquées, pas claires du tout : j'aime beaucoup cela, de temps en temps. Ce sont eux qui ont le pouvoir, et j'essaie de faire ce qu'ils me demandent, mais si c'est vraiment stupide, je le dis. Plusieurs fois, il m'est arrivé de vouloir quitter une production, mais après tout, tellement de chanteurs sont prêts à vous remplacer que cela n'a guère de poids. C'est à la direction du théâtre de mettre un frein à ces excès, mais le scandale génère tant de publicité. Rares sont les metteurs en scène qui vous apprennent beaucoup de choses. Il y en a, bien sûr, mais je n'ai pas travaillé avec. J'ai eu une expérience très intéressante à New York, avec la personne chargée de la reprise de Dialogues des Carmélites. Nous avons discuté de théologie, en essayant d'expliquer le comportement de Blanche, de Mère Marie. Je ne sais pas si cela a donné un résultat, mais ces questions sont nécessaires à la compréhension du texte de Bernanos, dans ses moindres nuances. Madame de Croissy permet une confrontation directe du public avec la mort, et la peur que nous avons de la mort. De temps en temps, c'est le chef qui fait cela. Je suis impatiente de travailler le rôle de Klytemnestra avec Dohnanyi. C'est un homme exigeant, mais je pense qu'il a des idées à propos des couleurs, et je suis ouverte à cela.

     

    Comment parvient-on Ă  trouver sa place dans une oeuvre aussi gigantesque que la Guerre et la Paix ?

    Je dois dire que cela n'a pas été une très bonne expérience. J'aime beaucoup la langue russe, et c'était était pour moi un défi. Hormis Natacha, Pierre, André, les personnages sont un peu perdus dans l'immensité de l'oeuvre, d'autant que les rapports sont conflictuels. C'est une pièce immense à écouter, à voir, et à chanter peut-être une fois dans sa vie. Il y a des moments incroyables, et Maria Akhrossimova est très intéressante, à la fois rigoureuse et tendre, mais je ne veux pas le refaire. Il est parfois bon pour une cantatrice de mon âge d'avoir moins de responsabilités, mais être ici pour cette pièce n'était vraiment pas simple : j'ai beaucoup de respect pour les chanteurs russes, qui sont très gentils, mais ne parlant pas leur langue, je me suis vraiment sentie seule. C'est extraordinaire pour une jeune chanteuse de se retrouver à Paris pendant un mois, mais comme je suis une gitane depuis trente ans, j'en ai un peu assez de cette vie de valises, d'hôtels, et à certains moments, je préfèrerais être chez moi.

    « La Guerre et la Paix n'a pas Ă©tĂ© une très bonne expĂ©rience Â».

     

    Qu'est-ce qui vous incite Ă  continuer ?

    Mon âme est le chant. J'en parlais à Londres avec une étudiante, qui a des difficultés à trouver des engagements, et je lui disais à quel point la vie est importante. Pour le chant, il faut tout sacrifier, c'est une vie de discipline et de sérieux. Je suis en ce moment dans un état d'esprit un peu négatif, mais pour Elektra, qui est un opéra qui m'intéresse toujours beaucoup, je serai certainement explosive ! J'aime beaucoup le chant, je n'aime pas la vie qui va avec. Mais si je m'arrêtais, je serai seulement une dame à la maison, en train d'attendre que le téléphone sonne.

     

    Y a-t-il encore des rĂ´les que vous rĂŞvez de chanter ?

    Je ne crois pas. Il y a en revanche des personnages que je regrette de ne pas avoir chantĂ©. Je n'ai pas pu faire Azucena, parce que j'ai trop attendu dans l'Ă©volution de ma technique. Et je pense que ma voix n'est pas vraiment adaptĂ©e au rĂ©pertoire italien. J'aimerais faire des rĂ©citals, pour ĂŞtre plus libre. A l'OpĂ©ra, on est un peu comme un enfant : nous avons des coachs pour les langues, le chef et son assistant, le metteur en scène et son assistant, qui nous dictent le moindre geste. J'ai envie de leur dire : « laissez-moi ! Â». En rĂ©cital, nous pouvons tout choisir, les couleurs, les tempi, les tonalitĂ©s qui nous conviennent. Je regrette qu'il n'y ait pas de public pour cela, car c'est le plus intĂ©ressant pour un chanteur : c'est un travail terrible pour les nerfs, mais c'est ce qu'il y a de plus artistique.

     

    Le 29/03/2005
    Mehdi MAHDAVI


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