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ENTRETIENS 26 avril 2024

Alexandre Tharaud, de Bach à Kagel
© Eric Manas

Avec son récent enregistrement consacré à Bach, Alexandre Tharaud poursuit ses réflexions sur la musique baroque sur piano, en une démarche qui s'affirme comme l'une des plus intelligentes de ces dernières années. Il nous livre ici quelques propos sur Bach, mais aussi sur Maurizio Kagel, qu'il vient de jouer à la Cité de la Musique.
 

Le 04/04/2005
Propos recueillis par Yutha TEP
 



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  • Après Rameau, vous aviez évoqué Domenico Scarlatti, voire François Couperin. Pourquoi finalement Bach ?

    A l'origine, je ne voulais pas graver un disque Bach avant longtemps, mais à partir du jour où j'ai joué Rameau en concert, j'ai fait la rencontre de beaucoup de gens qui, à la fin du concert, me demandaient d'enregistrer Bach. Cette idée a commencé à me trotter dans la tête, et je me suis rendu compte qu'au fond, j'avais vraiment envie de m'y lancer. Je voulais mettre dans le premier disque le Concerto Italien, que je le joue depuis mon enfance. J'ai aimé l'idée de commencer ma discographie Bach avec cette pièce, autour de laquelle j'ai bâti le reste du programme.

     

    Le fait qu'il s'agisse de pièces transcrites par Bach d'après Vivaldi ou Marcello a-t-il impliqué des considérations particulières ?

    Dès le départ, ce double niveau esthétique a posé des questions. C'est ce qui m'a intéressé, c'est de me demander comment avec mon instrument moderne, je pouvais parvenir à un piano multiple. Les versions originales de ces oeuvres sont pour orchestre, la version de Bach est destinée au clavecin ou à l'orgue : il semblait dès lors intéressant travailler sur ces multiples facettes, car le piano d'aujourd'hui a la possibilité – mais sans faire un simple travail d'imitation– d'aller vers des sonorités d'orchestre, de clavecin ou d'orgue. Il y a aussi des questions passionnantes en matière de dynamique et de textures. Bach voyait plus loin que l'instrument. Ses oeuvres devaient sonner sur des claviers en général.

     

    Avez-vous effectué le même travail de consultation que pour Rameau, programme pour lequel vous avez notamment eu des échanges soutenus avec Olivier Baumont ?

    J'ai pris les conseils de clavecinistes, par soucis d'un style toujours plus approfondi. Mais j'avais un bagage plus important que lorsque j'ai abordé Rameau, et la question des ornements est moins importante dans Bach que dans Rameau. Rameau m'a apporté une liberté que je ne connaissais pas, mais dans Bach, il faut être très rigoureux, cela sonne tout de suite mal si on est trop libre. Cela dit, je n'avais pas réellement de matière à inspiration, car ces concertos ne sont pratiquement pas enregistrés au piano, sauf bien sûr le Concerto Italien. Cyprien Katsaris a fait les Vivaldi-Bach, Gould a enregistré le Concerto en ré mineur, de même qu'Edwin Fischer (uniquement l'Adagio). Mais globalement, je n'avais pas d'exemple sur lequel m'appuyer. Le mois dernier, j'ai joué à Bruxelles et à la fin du concert, un fan m'a donné un livre qu'il a écrit sur ces concertos et le nom d'une pianiste qui aurait enregistré dans les années 1960 les 17 concertos de Bach d'après différents compositeurs. Plusieurs spécialistes m'avaient pourtant dit que tous ces concertos n'avaient pas encore été enregistrés au piano.

     

    Pourquoi cette dédicace à Dinu Lipatti dans votre disque ?

    Je dédie toujours mes disques solo, et dans le cas de Bach, j'ai beaucoup pensé à Dinu Lipatti : comme Marcelle Meyer et d'autres dans les années 1950, il fait partie d'une famille d'artistes qui me fascine : ses Bach ont été importants, décisifs dans ma vie d'interprète. Quant à l'interprétation de Bach au piano, je citerais Sergio Fiorentino, Rudolf Serkin et aussi Marcelle Meyer. Mais, plus près de nous, il y a aussi Zhu Xiao-Mei avec qui je joue souvent et à qui on doit l'une des plus belles des Variations Goldberg qu'on puisse trouver.

     

    Vous avez pris des options particulières quant à l'enregistrement à proprement parler ?

    Ce qui m'effraie, ce que j'ai en horreur, ce sont les disques figés. J'ai beaucoup travaillé sur le naturel du discours. Le dernier jour de l'enregistrement, j'ai fait un filage public, mais même pendant l'enregistrement, j'ai essayé d'avoir un jeu inné, proche du concert. Un disque de piano, c'est de l'artisanat. Il n'y a que trois personnes dans le studio, c'est presque une histoire de famille
    C'est grâce à cet esprit qu'on peut arriver à un résultat abouti.

     

    A l'autre extrémité de la chronologie, vous allez interpréter la musique de Maurizio Kagel. Est-ce le programme de votre très beau disque Kagel chez Aeon ?

    A la Cité de la Musique, je n'ai pas joué tout à fait le programme, car tout tournait autour de Ludwig van, qui est un film mais aussi une musique composée pour un nombre d'instruments ad libitum, et pour un instrumentarium également ad libitum, de même que la durée ! Tout cela demande évidemment une grande part d'improvisation. Je joue Ludwig van en plusieurs parties, tout en intercalant entre ces parties d'autres oeuvres de Kagel enregistrées dans mon disque.

     

    Maurizio Kagel, c'est une longue histoire d'amour !

    J'ai découvert Kagel quand j'étais encore adolescent, avec son opéra Répertoire, donné à l'époque au Châtelet : cette pièce m'a fasciné car elle ne contient pratiquement pas une seule note de musique ! J'ai été immédiatement attiré par ce théâtre musical dont Kagel est un des plus grands représentants. Par la suite, au Conservatoire National Supérieur, il m'a été difficile de travailler sa musique car on ne m'en donnait pas la possibilité, mais j'ai acheté petit à petit des partitions et des enregistrements, et j'en suis finalement venu à rencontrer Kagel lui-même, afin de travailler avec lui pour mon disque. Quand je l'ai vu pour la première fois, j'ai été très impressionné par sa taille et par son rire tonitruant. Kagel le dit lui-même, il est une personne très sérieuse mais qui rit énormément.

     

    Pourriez-vous nous dire ce qui vous intéresse particulièrement dans les choix musicaux de Kagel ?

    Ce qui m'a attiré le plus, c'est avant tout sa manière de repousser les limites de l'interprète, et de lui donner une autre place. Par exemple, dans la pièce Unguis Incarnatus Est qui figure dans mon disque, le pianiste doit crier : c'était pour moi quelque chose d'impensable ! Mais le jour où je l'ai fait en public pour la première fois, ce fut un véritable cri de délivrance ! J'ai éprouvé la même sensation pour l'enregistrement. Je me suis aperçu que crier sur scène n'était pas si difficile. Ce programme Kagel, je le donne régulièrement en concert. Et j'aimerais bien faire un deuxième disque Kagel. Mon rêve serait de lui passer commande d'un concerto pour piano et orchestre !

     

    Le 04/04/2005
    Yutha TEP


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