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ENTRETIENS 20 avril 2024

José Van Dam, humble relais de l'art du chant

« Un tel legato, une telle qualité de diction, on touche à un absolu du chant. Â» On ne pourrait décrire mieux que Ludovic Tézier l'art de José Van Dam. Et pourtant, c'est par la seule présence qu'il impose dans De la Maison des Morts la silhouette presque muette de Goriantchikov. Plus que l'humble récit d'une éblouissante carrière, il nous dit son bonheur de transmettre.
 

Le 19/05/2005
Propos recueillis par Mehdi MAHDAVI
 



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  • Vous avez plus de quarante ans de maison. Quels sont vos plus beaux souvenirs à l'Opéra de Paris ?

    Un des plus beaux souvenirs, c'est celui de mes débuts, quand je suis arrivé de ma Belgique natale et que j'ai vu cette superbe maison : c'était très émouvant pour moi de commencer ici ; et pendant un an, j'ai habité à trois cent mètres du Palais Garnier, dans un hôtel rue La Fayette parce que je n'avais pas encore trouvé de logement. Après, naturellement, mon plus beau souvenir est le spectacle des Noces de Figaro, que nous avons d'abord fait à Versailles, en 1973 avec Giorgio Strehler. L'Opéra de Paris est une maison qui représente beaucoup pour moi.

     

    Vous avez débuté ici en troupe. Regrettez-vous l'époque où chaque théâtre avait sa troupe ?

    J'ai fait quatre ans de troupe ici, puis je suis parti à l'âge de 24 ans pour l'opéra de Genève, où je suis resté deux ans, et enfin six ans à Berlin. J'ai donc fait douze ans de troupe. Cela a beaucoup servi à toute ma formation à ce métier difficile. Et cette absence de troupe dans nos pays – il y en a encore en Allemagne, mais ce n'est pas du goût de tout le monde d'aller s'exiler là-bas – prive les jeunes d'une formation extraordinaire. Dans une troupe, vous chantez un jour un rôle important, le lendemain un rôle de second plan : à l'Opéra de Berlin, un jour je chantais Figaro des Noces, deux jours après un des veilleurs de nuit dans la Femme sans ombre qui est très court, ou le Sprecher dans la Flûte, puis Leporello. Ces alternances étaient moins fatigantes. Aujourd'hui, on demande aux jeunes de chanter des rôles, souvent importants, sur une période d'un mois et demi, et ils ne font plus rien durant les trois ou quatre mois suivant. Ce manque de continuité est un peu dommageable. Je dis aux jeunes d'être patients et prudents au départ : il faut savoir ce que l'on chante, ce que l'on peut chanter, ce que l'on ne doit pas encore chanter, mais ce n'est pas évident, et quand ils en ont besoin pour vivre, ils font un peu n'importe quoi. En troupe, vous êtes suivi par des chefs de chant, des metteurs en scène, des chefs d'orchestre, et durant les premières années, c'est très important.

     

    Parmi les chefs d'orchestre que vous avez côtoyé, lesquels vous ont le plus apporté ?

    Le premier qui m'a fait venir à Berlin, qui m'a remarqué, c'était Lorin Maazel, avec qui j'avais fait un enregistrement de l'Heure espagnole alors que j'avais 24 ans. Il m'a beaucoup impressionné, et m'impressionne toujours. Et naturellement Herbert von Karajan, avec qui j'ai travaillé plus de vingt ans, qui était un homme extraordinaire sur le plan musical, et Georg Solti : ce sont tous des grands chefs. Mais les grands chefs ou les bons chefs sont toujours intéressants : on glane un petit renseignement ici, un petit truc là, qui font que quarante de carrière passent très vite. Faire une carrière, c'est presque un sacerdoce, une philosophie, c'est consacrer sa vie à son art. Mais je l'ai fait, et je continue à le faire avec grand plaisir.

     

    Après toutes ces années, n'éprouvez-vous pas, certains soirs, face à un public qui peut vous être acquis, un sentiment de lassitude ?

    Cela peut arriver parce qu'il y a dans cette vie des aspects contraignants, mais une fois que je suis en scène, c'est fini. Quand je me consacre à mon art, que ce soit à l'opéra, en concert ou en récital, quand je me plonge dans la musique, je me nettoie de tout ce qui m'agace, m'énerve, ou me contraint dans la vie, c'est aussi ce qui est superbe dans ce métier. Chaque fois que je monte sur scène, c'est un peu la première fois. Je suis un peu idéaliste, j'essaie de ne pas décevoir le public qui m'attend, justement parce que cette partie du public qui m'est peut-être acquise attend quelque chose de moi qui est assez spécial.

     

    Vous suscitez aussi l'admiration de vos cadets. Est-ce important pour vous d'être un exemple ?

    J'essaie, sans essayer vraiment, d'être un exemple, parce que quand je chante sur scène, je me consacre à la musique, mais c'est important que les jeunes aient des exemples pour savoir un peu comment faire. A l'époque où j'ai commencé, j'écoutais Jussi Björling, un ténor que j'adorais, un baryton, Leonard Warren, et George London, que j'aimais beaucoup aussi, mais je n'ai jamais essayé de les imiter. On peut écouter quelqu'un et le prendre en exemple, mais garder sa personnalité, parce qu'une copie ne vaut pas l'original, et pour un chanteur cela peut être dangereux.

     

    Ce legato, cette culture de la ligne de chant, et cette précision de la diction qui vous rendent unique étaient-ils naturels ?

    En partie, parce que j'avais ce qu'on appelle une voix naturelle. J'ai commencé à chanter à l'âge de onze ans, et quand on dit voix naturelle, c'est un peu technique naturelle. Par exemple, cette mécanique du souffle sur le diaphragme, je le faisais naturellement, mais je ne m'en suis rendu compte qu'à Berlin, vers trente ans, quand j'ai retravaillé ma technique avec le professeur de Carlo Cossutta, Monsieur Wolken, qui venait de Buenos Aires et qui était spécialisé dans le souffle. Lorsque j'ai voulu prendre des leçons avec lui, il m'a répondu que je n'en avais pas besoin. Mais je voulais savoir comment cela fonctionnait, j'ai donc pris cinq ou six leçons pour apprendre ce mécanisme, pour pouvoir le transmettre. Maintenant, quand je commence à travailler avec des jeunes, je peux leur expliquer exactement ce qui se passe.

     

    Vous avez abordé un nombre impressionnant de rôles, dans un éventail de tessitures assez large. Avez-vous pris des risques ?

    Je n'en ai pas pris beaucoup, parce que j'étais assez sage. J'ai commencé en chantant des petits rôles. Mais il y a toujours un risque, par exemple quand j'ai commencé à chanter le Hollandais du Vaisseau fantôme, un rôle assez dur dans une tessiture légèrement plus aiguë que ce que je faisais avant, mais cela s'est bien passé. J'ai attendu d'avoir 45 ans pour chanter Hans Sachs. Il y a des rôles que je n'ai pas voulu chanter, comme Wotan. La première fois que j'ai chanté Golaud, c'était un risque aussi, parce que c'est un rôle très complexe, mais ce sont des personnages qui m'ont porté chance et que j'ai chantés longtemps. C'est ce qu'on appelle des risques calculés.

     

    Parmi vos rôles les plus marquants, on peut citer Saint François d'Assise que vous avez repris cet automne dans une nouvelle production. Avez-vous souffert de son statisme et de son austérité ?

    C'était assez difficile, mais je pense que le metteur en scène a un peu suivi ce que voulait le compositeur. Messiaen n'a pas écrit un opéra, mais des scènes franciscaines : il a plutôt voulu des tableaux sans véritable action, et c'est ce que Nordey a fait. Cela rend l'oeuvre plus stricte, plus intègre. J'avais participé avant à une production que j'avais beaucoup aimée avec Peter Sellars, qui était plus mouvementée, plus visuelle, plus imagée, mais qui était très belle. Les deux conceptions se défendent.

     

    Vous incarnez pour la première fois Goriantchikov dans De la Maison des morts qui est aussi un opéra qui fonctionne par scène, comme une traversée.

    L'opéra fonctionne même plutôt par personnage. Des individualités sont sur scène, un prisonnier fou, un autre qui raconte. Le livret est un petit peu décousu, c'est une tranche de vie en fait, un an dans une prison sibérienne. Cela s'exprime aussi sur le plan musical : dans sa dernière oeuvre, Janáček a écrit de la musique superbe, mais plus décousue que pour Jenufa ou l'Affaire Makropoulos, parce qu'à chaque fois, la musique correspond à un personnage, des plans musicaux différents se superposent.

     

    Comment est née votre relation de fidélité à Gerard Mortier ?

    J'ai entendu parler de Gerard quand il était à Hambourg, et je l'ai connu quand il est venu ici avec Liebermann, dans son équipe avec Hugues Gall. En 1981, quand il est devenu directeur de la Monnaie, nous avons passé une sorte d'accord, parce que je n'y chantais pas tellement, et j'y suis allé à peu près tous les ans en chantant des rôles, certains pour le première fois, Hans Sachs, Boris Godounov en russe, Simon Boccanegra. Hans Sachs et Simon Boccanegra sont deux rôles superbes, et je suis très heureux de les avoir abordés à Bruxelles. Puis Gerard est parti pour le festival de Salzbourg, et il est revenu ici : cela fait plus de vingt-cinq ans que nous nous connaissons. C'est un homme extraordinaire parce qu'il a une vision des choses, un sens artistique que peu de directeurs d'opéra ont. Il a le courage de monter des ouvrages méconnus. J'aime travailler avec lui.

     

    Vous débordez de projets, notamment à l'Opéra de Paris. Pensez-vous parfois à la retraite ?

    De plus en plus, et c'est pour cela que j'ai pensé monter une école de chant. J'ai réussi à mener ce projet à bien en Belgique, à la Chapelle Musicale Reine Elisabeth, pour essayer en quelque sorte de remplacer la troupe. Ce qui est intéressant, c'est de travailler avec des gens du métier, de les écouter, d'avoir des exemples qu'on peut suivre ou ne pas suivre, pouvoir dire pourquoi les choses vont bien ou pas. Cette école est basée sur un système de Master Classes. Cette année, j'y ai donné des cours, Teresa Berganza, Tom Krause, Martina Arroyo et le pianiste Helmut Deutsch sont venus. Les jeunes ont des cours de langues, de philosophie, de musique, pour leur permettre de franchir un pas supplémentaire vers la carrière. L'éducation et cette idée de transmission sont très importantes, c'est pourquoi je m'engage de plus en plus dans cette voie.

     

    Le 19/05/2005
    Mehdi MAHDAVI


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