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ENTRETIENS 24 avril 2024

Susan Graham, une âme en clair-obscur

Posé sur un souffle infini, le timbre clair-obscur de Susan Graham vibre aussi sensuellement au contact des travestis mozartiens et straussiens que de la musique française. Alors que paraît au disque son nouveau récital consacré à Chausson, Ravel et Debussy, la mezzo américaine est Sextus dans la Clémence de Titus au Palais Garnier.
 

Le 20/05/2005
Propos recueillis par Mehdi MAHDAVI
 



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  • Comment êtes-vous devenue accro au répertoire français ?

    Professionnellement, cela a commencé avec Berlioz, mais quand j'étais jeune fille, à 15 ou 16 ans, j'étudiais des mélodies de Fauré et je jouais des préludes de Debussy au piano. J'aimais le langage harmonique français, sa subtilité, son élégance, la douceur avec laquelle les harmonies se développent. Puis la langue m'a absorbée. J'ai une coach française fantastique, Denise Massé : elle n'est pas seulement douée pour la prononciation, mais pour le sens caché du texte, la subtilité des couleurs. C'est une musicienne consommée, et elle m'a beaucoup aidé sur la plupart de mes grands projets français. J'ai aussi beaucoup appris en travaillant fréquemment en France. Beaucoup de collègues étrangers trouvent le français difficile à chanter à cause des nasales, de la subtilité des voyelles, et aussi des consonnes : on ne peut pas les prononcer avec trop d'énergie, car le français est une langue très linéaire, et la ponctuer de consonnes explosives briserait la ligne. Le legato de la langue française me la rend très facile à chanter. Dans Poème de l'amour et de la mer, Chausson s'oriente vers un style plus germanique que ses contemporains, avec une texture orchestrale riche en dégradés : il faut parvenir à maintenir une pensée expressive sur un orchestre imposant. J'adopte d'une certaine manière la même ligne que dans Strauss, mais avec une langue moins percussive.

     

    Pour une spécialiste des rôles travestis, quelles sont les particularités de Sextus ?

    Parmi les travestis que j'aime interpréter, Octavian du Chevalier à la Rose est mon préféré. Il est jeune, impétueux, et s'amuse beaucoup : il est très proche de ma propre personnalité. Sextus est très tourmenté, et il puise dans des parties plus profondes et plus sombres de mon âme, qui me permettent d'explorer des émotions auxquelles nous n'aimons pas nous confronter dans la vie. A certains moments, et plus particulièrement dans cette production, je dois puiser au plus profond de mes ressources physiques, car le tourment et l'angoisse du personnage s'expriment physiquement par des contorsions : Sextus est très sombre, animé par une tristesse et des conflits très profonds. Dans cette production, le superflu est écarté : l'histoire est racontée de manière figurative. C'est une grande boîte blanche dans laquelle les Herrmann sondent la psychologie des personnages de manière très crue. Ils parviennent à l'essence du tourment, de l'agitation, des conflits intérieurs et des relations entre les personnages.

     

    Cette approche semble indissociable du Mozart à la fois précis et dramatique de Sylvain Cambreling qui dirigeait cette production à sa création à Bruxelles en 1982.

    Nous sommes parvenus à une certaine union de nos styles dramatiques. J'aime être très expressive dans Mozart, souvent perçu comme une forme très carrée, qui n'est pas toujours appropriée. Il était certes classique, mais je pense qu'il aurait soutenu un certain niveau d'expression humaine. Mozart ne doit pas toujours être exactement métronomique, et cela ne veut pas dire que je vais en faire du jazz, mais dans certains passages, il nous autorise à chanter avec plus de liberté par sa manière d'utiliser l'orchestre. J'ai beaucoup discuté avec l'équipe musicale, et nous sommes parvenus à des conclusions très agréables.

     

    Quel souvenir gardez-vous de l'Idoménée naufragé à Garnier en 2002 ?

    A l'époque, c'était difficile, mais maintenant, j'aime raconter des anecdotes à propos de cette production parce que les gens ont du mal à y croire. De toutes ces choses qui se passaient sur scène, le ballet de fruits de mer était ma préférée, sans parler de la pauvre chèvre
    Devoir chanter un magnifique récitatif accompagné couchée et enveloppée dans des bandes de lin comme une momie, c'était incroyable, un vrai test de courage et de patience, d'autant que la communication avec le chef et metteur en scène était totalement rompue.

     

    Vous avez récemment abordé des rôles de soprano : Iphigénie et Donna Elvira.

    D'après les partitions d'Ariane à Naxos et du Chevalier à la Rose, le Compositeur et Octavian sont aussi des rôles de soprano. La tradition veut qu'ils aient été chantés par les deux. Je suis une mezzo avec un aigu facile, je peux donc essayer des rôles dont la tessiture sollicite parfois l'aigu, sans y rester longtemps. En termes de tessiture, Donna Elvira est très similaire à Dorabella, ou même la Comtesse, qui correspond mieux à un tempérament de soprano. Mais le tempérament ardent d'Elvira est très similaire à celui de Dorabella.

     

    Pourquoi ne chantez-vous pas le répertoire italien ?

    Que pourrais-je chanter ? Azucena, Eboli ? Ce n'est pas écrit pour ma voix. J'ai chanté Rosina une fois, cela suffit. La musique est belle, mais ce n'est pas mon tempérament : ma voix est assez agile, flexible, mais ce rôle ne me parlait pas. En revanche, Roméo des Capulet et Montaigu m'intéresse pour l'avenir. J'aime les personnages profonds, riches de conflits intérieurs, qui se mettent dans tous leurs états. Même Dorabella est un rôle qu'on ne peut pas chanter trop longtemps : on peut facilement s'en lasser parce qu'il n'est pas gratifiant, on est toujours en seconde position derrière Fiordiligi – n'importe quel Guglielmo vous dirait la même chose –, et son anxiété est de trop courte durée, mais la musique est tellement belle. J'adore écouter des gens qui chantent du bel canto, mais cette musique n'est pas pour moi.

     

    Avez-vous des modèles ?

    Christa Ludwig a toujours été un grand modèle, et un mentor. J'ai étudié le rôle d'Octavian avec elle. Je lui suis très reconnaissante pour son aide, ses encouragements, son soutien. Tatiana Troyanos est le premier Sextus auprès de qui j'ai chanté Annio. J'étais très jeune, et elle me terrifiait, d'autant qu'elle n'était pas très gentille avec moi au début. Mais elle a rencontré mon chien, et a fini par m'aimer ! J'ai tant appris juste en étant sur scène avec elle. Et maintenant, lorsque je chante Sextus, la manière dont elle interprétait certains récitatifs est toujours présente à mon oreille. L'intensité qu'elle insufflait à chaque chose était si exaltante. Et Frederica von Stade, avec cette joie de vivre qu'elle apporte à la musique française, son perpétuel sourire dans la voix.

     

    Vous sentez-vous une mission vis-à-vis de la musique contemporaine américaine ?

    Ma position ne me permet pas de commander des pièces, mais si je suis invitée et que le projet m'attire, j'accepte affectueusement. La musique est un art vivant : il est vital de continuer à produire de nouvelles oeuvres, parce qu'elles nous parlent de nos propres vies. J'aime raconter des histoires d'aujourd'hui, car nous ne vivons pas dans un musée. Nous aimons vivre dans un monde contemporain, c'est pourquoi Dead man walking de Jack Heggie a été un projet si fascinant. Je prépare en ce moment An American Tragedy de Tobias Picker, d'après le roman de Theodore Dreiser, qui se déroule au milieu des années 1920. C'est une histoire moderne, une oeuvre littéraire contemporaine. Se mettre physiquement au service du drame d'une femme moderne est fascinant.

     

    Que vous ont apporté vos expériences avec les instruments anciens ?

    J'ai adoré chanter les Troyens avec Gardiner. Les instruments de l'époque de Berlioz ont permis aux gens d'entendre cette partition comme ils ne l'avaient jamais entendue, à travers un récit musical rafraîchissant, sans la pesanteur des instruments modernes. La couleur wagnérienne que beaucoup insufflent à la musique de Berlioz détourne le tranchant de son génie d'orchestrateur. Entendre ces instruments me parler tel que Berlioz l'a voulu a été pour moi une telle révélation. Ils nous ont permis de faire des choix expressifs moins conventionnels : la texture plus claire de l'orchestre invitait à développer une palette dynamique plus large. J'ai aussi adoré faire Didon et Enée, qui découlait de ma première expérience avec Emmanuelle Haïm à l'occasion d'Alcina avec les Arts Florissants. Elle m'a ouvert un nouveau monde par la modernité de l'expression qu'elle insuffle aux instruments anciens. Son énergie est si enthousiasmante.

     

    Depuis vos débuts à Salzbourg en 1993, Gerard Mortier vous est très fidèle. Qu'a-t-il de plus que les autres directeurs de théâtre ?

    A Salzbourg, Gerard avait une vision très démocratique de la vie d'un festival. Il voulait créer une espèce de compagnie, un groupe très international, très accueillant pour les Américains. Il était très dévoué envers moi. Ses goûts ne sont pas universels, mais mon travail avec lui et les metteurs en scène qu'il avait choisis pour les projets dans lesquels j'étais engagée m'a aidée à grandir, et m'a entraînée à être très ouverte. Il m'arrive de penser qu'avec l'âge, mes goûts sont plus conservateurs, musicalement, dramatiquement et théâtralement, mais si on me permet de voir une idée se développer, je peux être convaincue de sa valeur.

     

    En référence à la chanson que Ben Moore vous a écrite, quelles sexy ladies rêvez-vous d'interpréter ?

    On m'a toujours demandé Carmen, mais je n'ai pas le désir brûlant de la chanter. Je prépare Poppée, et elle est très sexy ! Je voudrais chanter Tosca, mais elle n'est pas sur ma liste de manière très réaliste. J'aimerais essayer la Maréchale dans le Chevalier à la Rose ; il y aurait une certaine poésie à l'inscrire à mon répertoire.

     

    Le 20/05/2005
    Mehdi MAHDAVI


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