altamusica
 
       aide















 

 

Pour recevoir notre bulletin régulier,
saisissez votre e-mail :

 
désinscription




ENTRETIENS 18 avril 2024

Philippe Herreweghe, inlassable explorateur

Philippe Herreweghe a récemment dirigé Schütz avec son Collegium Vocale, notamment à Paris. Mais c'est surtout son Orchestre des Champs-Élysées qui a, ces dernières années, retenu l'attention du monde musical. Le chef belge nous livre quelques réflexions sur son travail capital sur le répertoire romantique sur instruments d'époque.
 

Le 06/06/2005
Propos recueillis par Yutha TEP
 



Les 3 derniers entretiens

  • Ted Huffman,
    artiste de l’imaginaire

  • JĂ©rĂ´me Brunetière,
    l’opéra pour tous à Toulon

  • Jean-Baptiste Doulcet, romantique assumĂ©

    [ Tous les entretiens ]
     
      (ex: Harnoncourt, Opéra)


  • Pourriez-vous nous faire un petit Ă©tat des lieux au sujet de l'Orchestre des Champs-ÉlysĂ©es, après plus de dix annĂ©es de travail ?

    L'orchestre se voulait dès le départ comme prolongement des réflexions que nous avions menées dans le répertoire baroque, et dont le coeur était que les musiques du passé pouvaient être très convaincantes sur les instruments que connaissait l'époque des compositeurs, et avec des interprétations fondées sur des informations historiques. L'orchestre est donc né pour jouer le répertoire du XIXe siècle sur des instruments d'époque. Lors de la révolution baroque, cette démarche a fait l'objet d'un grand débat, notamment en France, mais elle est maintenant complètement acceptée. Il est même devenu difficile de jouer Lully, Rameau ou Bach avec un orchestre moderne. Dans Beethoven ou plus encore dans Schumann ou Bruckner, on voit surgir les mêmes contre-arguments qu'il y a trente ans pour la répertoire baroque : quelque part, tout est à recommencer. On trouve ridicule de jouer Schumann sur instruments d'époque, l'argument étant que les instruments actuels seraient plus performants, que si Schumann avait connu les instruments modernes etc.

     

    Mais il est vrai que la question instrumentale pour le répertoire classique et romantique n'est pas une chose réglée.

    Les pionniers du mouvement baroque, dont je fais partie, devaient jouer sur des instruments qu'ils créaient et mettaient au point eux-mêmes en travaillant : on ne peut pas faire dix années de recherches, puis jouer pendant dix ans, puis rechercher pendant dix autres années. Lorsque avec La Chapelle Royale, nous avons joué – il y a plus de dix ans – les grands motets de Rameau, nous étions un peu novices dans ce domaine, mais en même temps, nous étions les meilleurs en partie parce que nous étions les seuls à faire ce travail sur la musique française, magnifiquement défendue aussi par William Christie. Les symphonies de Schumann, Brahms ou Bruckner sont pour leur part défendues depuis toujours par des interprètes fabuleux avec des instruments magnifiques et également des conceptions tout aussi merveilleuses. Le problème, c'est que la critique confond parfois les tâtonnements au niveau des instruments avec la démarche qui consiste à employer des instruments d'époque dans ce répertoire. On revit exactement la même situation qu'à l'époque de la révolution baroque, avec des tâtonnements, des recherches, des évolutions identiques.

     

    La situation est cependant bien meilleure qu'à la création de l'OCE.

    On a fait d'immenses progrès en dix ans, c'est certain. Un orchestre a besoin d'un certain temps pour prendre de la bouteille. Par ailleurs, nous avons pris et prenons toujours un immense plaisir personnel à cela. Je ne suis absolument pas honteux de certains enregistrements que nous avons faits. Je pense notamment que les Nuits d'Eté de Berlioz, grâce au type d'orchestre adopté et à un choix de chanteuse judicieux (Brigitte Balleys), a apporté un éclairage novateur, une poésie différente pour Berlioz. Il y a bien sûr d'autres disques dont je suis assez content, mais je trouve que celui-là constitue un exemple particulièrement éloquent. Artistiquement, nous sommes donc très enthousiastes, nous effectuons des recherches en permanence. Je suis évidemment le premier à être conscient qu'il y a encore des progrès à faire, mais j'ai bon espoir. Nous allons faire l'intégrale des symphonies de Bruckner sur une période de cinq ou six ans.

     

    Est-il facile pour un orchestre comme le vĂ´tre de recruter ses musiciens ?

    Il s'agit en fait de la principale difficulté que nous avons rencontrée. Quand j'ai eu à recruter des clarinettes avec le Philharmonique des Flandres, on a plus d'une centaine de candidats. Ce n'est pas vraiment le cas avec l'Orchestre des Champs-Élysées. Quand nous voulons par exemple recruter un chef de pupitre pour les cordes, le nombre de personnes assez fortes musicalement et instrumentalement, et qui en plus ont l'expérience des cordes en boyau, n'est pas si large. Quant aux cors naturels, aux clarinettes et hautbois romantiques, on compte très peu de musiciens capables de les jouer sérieusement. Au départ, l'Orchestre se composait de baroqueux s'essayant à des instruments plus tardifs, tous ne possédant pas les qualités instrumentales requises pour accompagner la montée en puissance de la formation. Evidemment, nous ne pouvions guère recruter des jeunes ayant suivi un cursus adéquat, ce cursus n'existant pas. Nous avons donc décidé de créer une sorte de conservatoire par nos propres moyens. L'Abbaye aux Dames de Saintes, qui est un centre culturel, abrite une sorte d'Orchestre des Champs-Élysées bis, grâce auquel une quinzaine de jeunes peuvent chaque année suivre un cursus intégrant un enseignement particulier ce type d'instruments, avec en outre de la musique de chambre, et une ou deux fois par an, des stages d'orchestre avec moi ou d'autres chefs.

     

    Vous recrutez en fait des musiciens « modernes »


    Aussi bien pour la Chambre Philharmonique que pour Gardiner ou pour nous, je pense qu'on peut dire que 60 à 70% des musiciens ne sortent actuellement pas du mouvement baroque. Nous attirons de plus en plus des musiciens normaux, si je puis dire. Ils viennent majoritairement pour deux types de raisons. D'abord, il s'agit d'un type de travail qu'ils estiment, je pense, intéressant – jouer dans de belles salles, dans un esprit rafraîchissant. Deuxième motivation : certains sont tout simplement convaincus par le bien-fondé de la démarche. Par exemple, l'un de nos premiers cors, Luc Bergé, est sans doute l'un des meilleurs cornistes modernes en Belgique, il joue notamment beaucoup de musique contemporaine. Depuis qu'il s'intéresse aux différents cors naturels, selon ses propres dires, il a fait un effort immense du fait des études complexes qu'il a dû consentir, mais son jeu sur cor moderne s'est enrichi parce que ses réflexions ont nourri son imaginaire. Je veux simplement dire que cette démarche organologique intéresse un nombre croissant de musiciens.

     

    Il n'y a plus de différence qualitatif entre anciens et modernes.

    A l'heure actuelle, les orchestres baroques jouent avec une qualité tout à fait comparable aux orchestres dits normaux. Pour faire confortablement du 120 km à l'heure, il vaut mieux avoir une voiture capable d'aller jusqu'à 180 : les orchestres baroques sont très souvent constitués de musiciens avec une très solide formation traditionnelle. Personnellement, je pense qu'il est très dangereux de ne faire que du clavecin, que du baroque – d'autres, à l'inverse, pensent qu'il faut justement se concentrer sur sa spécialité, mais c'est un débat qui est ouvert. Simplement, je constate qu'il y a des gens très doués ayant la double pratique. Christophe Coin, par exemple, joue très bien la viole de gambe, le violoncelle baroque et le violoncelle moderne. C'est bien sûr un cas exceptionnel, mais dans l'Orchestre des Champs-Élysées, il y a pas mal de personnes possédant cette double pratique.

     

    Quelle est la situation matérielle de l'Orchestre ?

    Financièrement, la situation reste très dure. Nous sortons du giron des ensembles non permanents, grâce à des subventions pour lesquels nous sommes évidemment reconnaissants. Une grande partie de nos moyens provient de notre collaboration avec la région Poitou-Charentes ; la construction en cours d'une grande salle de concert à Poitiers est très importante dans cette perspective ; nous travaillons pour l'instant dans une salle de la périphérie de Poitiers, la Hune, mais d'ici quelques années, cette nouvelle salle sera notre lieu de résidence. Il faut aussi indiquer que nos subventions sont bien inférieures à un orchestre permanent : un dixième ou un vingtième du budget d'un orchestre symphonique traditionnel. Nous avons donc une équipe très réduite : je dirige régulièrement l'Orchestre Royal Philharmonique des Flandres, elle dispose d'une équipe d'une trentaine de personnes pour faire fonctionner l'orchestre. Nous sommes obligés d'avoir des ressources propres qui occupent une place importante pour le secteur qui est le nôtre. Pour nous en sortir financièrement, nous sommes obligés de nous vendre à un prix presque aussi important que le Berliner Philharmoniker ou le Concertgebouw d'Amsterdam ! Et ce qui est étonnant, c'est que nous y parvenons ! Je pense pouvoir dire que nous sommes l'orchestre symphonique français qui tourne le plus en Europe, car nous jouons dans toutes les grandes salles en Europe comme en France.

     

    N'y a-t-il pas une réflexion aussi à mener sur les acoustiques qu'un orchestre tel que le vôtre est amené à rencontrer ?

    Les salles dans lesquelles nous nous produisons ont en général de très belles acoustiques. Je ne parle pas des salles parisiennes, qui posent un autre problème. Mais si vous prenez l'Arsenal de Metz, l'Auditorium de Dijon ou celui de Lucerne, ou encore la Tonhalle de Zurich ou le Musikverein de Vienne, il n'y a aucun problème. La seule difficulté concerne nos programmes incluant des concertos avec piano d'époque : nous avons donné beaucoup de Beethoven avec Andreas Staier, c'est un excellent musicien mais quand il joue sur un Graf, cela peut poser des problèmes dans certaines salles où le piano a du mal à passer.

     

    Quelles sont les principales lignes de vos futurs projets ?

    Je dirigerai certainement un jour les Quatre derniers Lieder de Strauss avec les Champs-Élysées. Dans un certain répertoire, comme dans ces Lieder, un certain type de couleur orchestrale est déterminant pour la poésie-même de la musique. La couleur fait ici partie de la substance musicale. Il n'y a pas le même enjeu chez Bach, où c'est la structure-même qui est la plus importante, le revêtement étant secondaire. Je préfère évidemment jouer Bach sur instruments baroques, mais c'est finalement plus accessoire. Cela dit, dans Strauss, la couleur de l'orchestre est certes importante, ce sont néanmoins les qualités de la chanteuse qui est déterminante. Par contre, la couleur de l'orchestre est capitale dans Debussy, nous avons déjà fait des expériences très intéressantes. On jouait Debussy sur des cordes en boyau jusque dans les années 1930 ! Evidemment, nous n'allons pas faire des disques Debussy dans les prochains jours. Pour Bruckner, c'est différent, parce que je m'y intéresse depuis trente ans, c'est donc un monde dans lequel je me sens vraiment chez moi. Debussy est l'un des plus grands compositeurs de l'histoire de la musique, mais d'autres chefs le feraient mieux que moi avec l'Orchestre des Champs-Élysées – lequel peut arriver à des résultats très intéressants dans cette musique. Je suis plus réservé sur Mahler sur le moment ; je crois que ses Lieder peuvent être un champ d'expérimentation intéressant, mais c'est moins urgent.

     

    Et Schumann ?

    On dit toujours que Schumann n'est pas un bon orchestrateur, et je suis persuadé que beaucoup de problèmes tombent quand on le joue avec le bon nombre d'instrumentistes, celui dont lui disposait à l'époque, et avec les instruments adéquats. Ceux qui ont fait de la musique plus ancienne ont toujours l'habitude d'accorder plus d'importance aux problèmes de phrasé et d'articulation. Cela peut effectivement contribuer, dans le cas d'un Schumann, à alléger une musique dont on dit souvent qu'elle est lourde et pâteuse. J'adore personnellement Schumann, mais je dois cependant avouer que son instrumentation n'est pas la plus géniale du répertoire symphonique. Cela dit, cela passe après la poésie et l'esprit.

     

    Vous êtes aussi un ardent défenseur du romantisme français, Berlioz notamment.

    Chez Berlioz, que j'adore, le principal problème est de le jouer ! Il y a eu bien sûr l'année Berlioz, je n'ai qu'un aperçu global du nombre de concerts Berlioz que l'on donne en Europe, mais je pense qu'au final, il est très peu joué. Je vais donner Harold en Italie avec Gérard Caussé, mais aux Pays-Bas et avec un orchestre néerlandais. Les symphonies de Brahms sont régulièrement jouées et partout. La musique française, comme aussi Chausson, a finalement été très défendue par les chefs anglais, même si en France il y a Plasson. On ne donne jamais, par exemple, Tristia, une partition chorale. Berlioz est un géant dans l'histoire de la musique, mais je ne suis pas sûr de sa stature en France. Cela peut en partie venir du fait que cette musique si géniale peut devenir un peu vulgaire quand elle est mal interprétée. Je reviens à Bach : il est dur de casser Bach, il résiste à toutes les interprétations. Il en va de même de Brahms, d'une certaine manière. Le génie de Berlioz tutoie volontiers une certaine vulgarité, comme dans certains passages d'Harold en Italie. Mais c'est un cercle vicieux : comme Berlioz n'est pas vraiment dans le répertoire des orchestres et qu'il n'est pas facile à jouer, c'est donc cher à monter. Si je n'ai jamais donné le Te Deum, c'est essentiellement pour des raisons financières.



    Dates des concerts de l'OCE sur le site de l'Orchestre des Champs-Élysées : www.orchestredeschampselysees.com

     

    Le 06/06/2005
    Yutha TEP


      A la une  |  Nous contacter   |  Haut de page  ]
     
    ©   Altamusica.com