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ENTRETIENS 26 avril 2024

Heinz Holliger, musicien protéiforme (2)
© Bruno Amsellem

Après une première partie d'entretien sur l'interprétation des répertoires des XVIIIe et XIXe siècles, le compositeur, chef d'orchestre et hautboïste suisse-allemand Heinz Holliger reprend la parole, pour évoquer cette fois quelques aspects de la musique du XXe siècle en tant que compositeur.
 

Le 01/07/2005
Propos recueillis par Benjamin GRENARD
 



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  • Vous êtes de manière générale influencé par le romantisme et ses dérivés tardifs, comme on peut le sentir dans votre opéra Blanche-Neige, avec notamment un certain attachement à l'école de Vienne, particulièrement à Schoenberg et Berg, davantage tournés vers cet esthétique que Webern.

    Oui. Webern n'est pas un modèle que l'on prend pour un opéra. C'est une musique tellement intime, délicate, alors que Berg était un vrai compositeur d'opéra. Le sujet de Blanche-Neige est complètement romantique, bien qu'il soit transcendé par le poète, Walser, qui lui ne l'est pas du tout.

     

    Si l'on prend des exemples d'orchestration, autant Wagner ou Richard Strauss mélangent des timbres pour obtenir des alliages de nouvelles sonorités, autant on retrouve aussi dans Blanche-Neige une certaine transparence de l'orchestre, où le timbre est davantage individualisé, comme chez Webern ou Chostakovitch.

    Surtout chez Chostakovitch ! C'est un véritable génie, notamment pour travailler avec de grandes masses tout en restant transparent et jamais épais, comparé à Prokofiev qui ne savait pas du tout orchestrer. Chez Chostakovitch, même dans les tutti les plus stridents, comme dans la 8e symphonie, cela reste transparent. Dans ces moments-là, il évite de surcharger l'harmonie pour laisser respirer l'orchestre. Cela lui donne aussi cette froideur, cette distance, cette dureté dans l'expression. Il s'agit d'une musique très directe. En tant que compositeur, je ne suis pas du tout influencé par Chostakovitch mais j'ai un très grand respect envers cette musique et j'aime beaucoup l'interpréter : je viens de diriger la 8e et j'ai également dirigé plusieurs fois la 14e ainsi que les Fragments pour orchestre. C‘est une musique que je connais assez bien, car Rudolf Barshai, un élève du compositeur, a habité chez moi pendant deux ans. Mais pour revenir à mon opéra Blanche-Neige, il est tout à fait exact que la transparence orchestrale a quelque chose à voir avec Webern, et encore davantage avec Debussy ou Schumann. Je dirais toutefois que je ne suis aucun type d'orchestration préétabli : je me fie à mon oreille et j'évite autant que possible de faire une pâte sonore surchargée.

     

    Vous avez été le disciple de Boulez à une époque où celui-ci rejetait le romantisme de Schoenberg et Berg [cf « Incidences actuelles de Berg  » dans Relevés d'apprentis], pour mieux se situer dans la continuation esthétique d'un Webern.

    Ce que disait Boulez et ce qu'il faisait étaient deux choses bien différentes. Il ne rejetait pas Berg. En ce qui concerne le romantisme, déjà de mon temps il adorait Wagner, que, pour ma part, je n'aime pas du tout. Pour lui, cela ne posait pas problème d'avoir ces deux aspects. Boulez a toujours eu cette flexibilité qu'il a apprise dans Jeux de Debussy, mais qu'il aurait pu apprendre chez Mahler et Berg.

     

    Est-ce que cette esthétique romantique, que l'on retrouve aussi chez Honegger, est le ressort d'une identité suisse allemande ?

    J'ai beaucoup de respect pour Honegger : j'ai beaucoup dirigé sa musique et je connais très bien sa fille. Il m'a surtout influencé quand j'avais 12 ou 13 ans. Mais, en Suisse allemande, c'est surtout la littérature qui était extrêmement riche, car en musique nous n'avions pratiquement pas d'expressionnisme. Il s'agissait toujours de néo-baroque ou de néo-classicisme. Les deux élèves de Schoenberg, Erich Schmid et Alfred Keller avaient d'ailleurs une vie terrible : ils n'étaient pas joués en Suisse ! De même, il y a eu de très grands peintres expressionnistes suisses allemands qui n'ont quasiment pas gagné leur pain avec leurs oeuvres. C'était un mouvement artistique qui faisait peur aux Suisses, lesquels préféraient se sentir rassurés, protégés. Or, l'expressionnisme est un art très visionnaire, il détruit toutes les sécurités. Dans la littérature, la Suisse a pu quelque peu échapper à cette restriction esthétique.

    Je crois que si Honegger avait étudié auprès de Schoenberg à Vienne, il aurait été un meilleur expressionniste. Quand j'entends Horace victorieux, même Antigone, je trouve qu'il a été trop influencé par les milieux parisiens, par Cocteau ou le groupe des six, qui composaient une musique un peu sucrée, un peu faible. J'apprécie les membres du groupe des six mais ce que dit Cocteau sur l'art [Le Coq et l'Arlequin], c'est n'importe quoi ! J'aime beaucoup Honegger avec sa vitalité et particulièrement ses dernières pièces, la 5e symphonie et la Monopartita. Honegger a également été capable de rejoindre des techniques dodécaphoniques. Mais surtout, il a osé exprimer ses dépressions en musique. Il ne s'agit pas d'une musique plaisante à la parisienne des années 1920 et 1930.

     

    On a souvent dit de la musique d'après les années 1950 qu'elle était cérébrale, surtout la musique sérielle, dont Boulez est un emblème. Pourtant certains compositeurs, comme Barraqué, se sont revendiqués d'une certaine expressivité.

    Je ne crois pas tellement que les compositeurs sériels soient cérébraux. Ce sont des qualificatifs qu'on leur a attribués. Dans la réalité, les choses sont tout autres : les sériels ont voulu une période faire cause commune avec l'expressionnisme, pourtant daté. Les peintres expressionnistes fréquentaient les mouvements nazis, fascistes ; beaucoup de futuristes sont d'ailleurs devenus fascistes ; ils ont alors déclaré vouloir un art complètement pur, qui ne soit pas touché par les faiblesses humaines. Dans un système comme la série, tout est contrôlé a priori de manière « extra-corporelle Â», c'est-à-dire qu'il s'agit d'une musique qui n'a plus rien à voir avec le corps. Toutefois, si on entend Structures I de Boulez, on se rend compte que c'est une pièce volcanique, pleine d'énergie, très dramatique, beaucoup plus dramatique que bien d'ouvrages d'autres compositeurs qui écrivent sans l'aide de ce système.

    Quant à Barraqué, il est certain qu'il avait probablement moins besoin de s'établir dans la société que Boulez ; c'était un isolé, un ermite ; c'est la raison pour laquelle il n'avait sans doute pas besoin de prouver quelque chose envers le passé. Mais personnellement, au contrôle de l'oreille, je trouve que cela n'est pas toujours satisfaisant, surtout la Sonate pour piano qui pourrait sonner tellement mieux. J'ai néanmoins beaucoup d'estime envers Barraqué, nous partagions le même engouement pour Hermann Broch. Mais cette estime se concentre essentiellement sur la personnalité même de Barraqué, davantage que sur son oeuvre.

     

    Le sérialisme ne s'est pas pérennisé et les compositeurs ont pris d'autres chemins. Aujourd'hui, pensez-vous qu'on en soit arrivé à la fin des systèmes ?

    Le système n'a jamais eu d'importance, même dans le sérialisme. Un système n'est rien du tout ; le génie commence quand le système aide le compositeur à trouver le fil. Un système doit être au service des idées. S'il n'y a pas d'idées, ce n'est pas celui-ci qui assurera la composition d'un ouvrage. Schubert n'est pas un génie parce qu'il a écrit de la musique tonale avec son propre système harmonique ; ce n'est pas à cause de celui-ci que sa musique est d'une telle force, d'une telle conviction. On porte beaucoup trop d'attention sur les recettes de cuisine, sur la manière dont une pièce est construite. Il y a tellement de musicologues qui analysent et qui disent : « Tiens ! J'ai trouvé la clef ! Â». Mais en réalité ils n'ont rien trouvé ! C'est seulement là que commence le message d'une pièce. Moi-même, lorsque je compose, je suis assez cérébral. Et pourtant, à y regarder de près, il y a au moins 80% d'inconscient dans ce que je délivre. C'est toute ma vie qui me dit pourquoi j'écris telle note après telle autre. Ce que j'ai vécu, la manière dont je fonctionne psychiquement, c'est cela qui définit la pièce, non le système, qu'il soit sériel ou non. Dans des pièces extrêmes, comme Structures I de Boulez que nous évoquions, les compositeurs sériels ont voulu prouver que l'on pouvait créer une musique qui soit complètement autonome, sans subjectivité. Mais au final, le résultat demeure subjectif et en définitive, c'est beau que l'on ne puisse pas échapper à cela. C'est la richesse humaine qui fait l'art, non les systèmes.

     

    Quels sont actuellement vos projets dans le domaine de la composition ?

    Dernièrement, au mois de février, j'ai créé une grande pièce pour 36 voix a cappella, où l'on chante simultanément en hébreux et en allemand. J'ai conçu les 36 voix comme une toile d'araignée. Il s'agit d'une musique assez complexe à suivre mais finalement, je crois, assez directe. En ce qui concerne les pièces en chantier, je n'en parle jamais : je suis trop superstitieux.

     

    Le 01/07/2005
    Benjamin GRENARD


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