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ENTRETIENS 29 mars 2024

Le passé retrouvé (10) :
Beverly Sills

Bien que considérée comme la grande colorature des années 1970 et l'une des plus éminentes stylistes son l'époque, la soprano Beverly Sills a très rarement chanté à Paris, et assez peu hors des Etats-Unis, malgré de réels triomphes à Vienne et à Milan. Deux ans avant de quitter la scène, l'Américaine raconte sa carrière.
(Entretien réalisé en 1977 pour le Quotidien de Paris).

 

Le 11/07/2005
Propos recueillis par Gérard MANNONI
 



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  • Etre Beverly Sills aux Etats-Unis aujourd'hui, qu'est-ce que cela signifie ?

    C'est très amusant et excitant ; très prenant aussi. En plus de ma carrière de chanteuse, j'ai une émission de télévision que j'adore faire, un programme d'une demi-heure, diffusé aux Etats-Unis et au Canada. Je reçois des gens célèbres, parfois juste pour dialoguer, les faire parler d'aspects de leur vie que le public ignore. Certaines émissions sont d'utilité publique, quand je reçois par exemple d'anciens alcooliques qui expliquent comment ils s'en sont sortis, ou des gens dépressifs, ou encore des homosexuels qui ont des problèmes avec notre société. Nous sommes actuellement en plein débat sur ce sujet aux Etats-Unis, et j'essaie de montrer que ce sont des gens aussi bien que les autres et des citoyens américains avec les mêmes droits que les autres. Ce ne sont pas des interviews mais des conversations pour qu'on ne puisse pas dire que les questions sont orientées dans un sens ou dans un autre. C'est juste de l'expression libre. J'ai aussi reçu une femme qui est très célèbre chez nous car elle guérit les gens en leur imposant les mains. Et puis viennent aussi des collègues comme Marilyn Horne ou James McCracken. J'adore ça. J'ai moi-même participé à des séries d'émissions de ce type il y a une dizaine d'années, pour montrer que les chanteurs sont des êtres humains normaux, intelligents, avec une vie familiale. La seule différence entre une employée de bureau et moi, par exemple, c'est qu'elle travaille de neuf heures à cinq heures et moi de huit heures à minuit. Je ne pèse pas non plus cent kilos et je suis quelqu'un à qui on peut s'identifier. Je pense avoir amené beaucoup de gens ainsi dans les salles d'opéra. De toute façon, j'adore le contact avec les gens, leur parler. Il y a quelque temps, des Français sont venus me voir après un spectacle. Ils avaient mes disques et voulaient me connaître. Cela m'a fait énormément plaisir.

     

    Ce n'est pas étonnant car vous êtes très célèbre en France.

    Je ne sais pas, mais je dois vous expliquer. Je n'ai chanté qu'une fois en France bien que j'ai été invitée très souvent et je suis heureuse de cette occasion qui m'est donnée de m'expliquer et de dire pourquoi je ne suis pas venue plus souvent. Je ne veux pas que mes amis, ici, pensent que je n'avais pas envie de venir. La raison est que j'ai cinq enfants, dont deux sont handicapés. Il y en a un, surtout, dont je ne veux pas rester séparée longtemps. Même quand je viens enregistrer, je m'arrange pour que les séances d'enregistrement soient aussi rapprochées que possible. Je ne veux pas être loin de New York plus de deux semaines, car s'il arrive quelque chose, je peux rapidement rentrer à la maison. Mais quant à venir en Europe pour des nouvelles productions, il faut au moins cinq semaines, et je ne peux plus le faire. Je l'ai fait jadis, mais mon fils n'est plus assez bien, et ma fille aînée a dix-huit ans et elle entre à l'université. Il lui est impossible de me remplacer. Je pourrais tout au plus venir faire des rôles que je connais dans des productions existantes et ne demandant pas beaucoup de répétitions. Je regrette beaucoup de n'avoir jamais pu chanter Manon en France, car c'est l'un de mes rôles préférés, avec lequel j'ai remporté certains de mes plus grands succès. C'est à cela que servent les disques.

     

    Il n'est pas fréquent de voir des cantatrices de votre célébrité assumer à ce point leurs responsabilités familiales.

    C'est un choix. Ma carrière est toujours venu en second. J'ai eu un contrat de trois ans avec la Scala, par exemple, mais je n'ai jamais fait la troisième année. Il devait y avoir une nouvelle production des Puritains, mais j'ai reçu de mauvaises nouvelles de mon fils, et ce n'est pas la Scala que j'ai choisi. Maintenant, les enfants ont grandi et je pourrais avoir un peu plus de liberté. Eux, ils en prennent, d'ailleurs. En ce moment, j'ai une fille en France, une autre à New York, deux enfants dans le Maine et un autre à Copenhague. Je suis terriblement stressée ! J'ai dit ce matin à mon mari : vivement le 15 juillet que nous soyons à nouveau tous sous le même toit !

     

    Vous êtes l'une des plus grandes sopranos américaines du siècle. Est-ce une grande responsabilité ?

    Je n'ai pas l'impression de brandir un drapeau ! Je suis simplement heureuse quand je chante. J'aime ça. J'espère que le public est aussi heureux que moi !!! Tout ce que je fais me semble naturel. J'ai reçu quelques distinctions honorifiques, mais notre pays est très en retard par rapport à l'Europe en ce qui concerne la reconnaissance du monde artistique. Je n'aime pas critiquer mon gouvernement car je suis fière d'être américaine, mais je lui reproche quand même de ne pas choisir les bonnes priorités. Toutes les grandes nations du monde devraient commencer par renoncer aux armes de destruction massive, détruire leurs stocks et se concentrer sur l'amélioration des conditions de vie. Quel monde allons nous laisser à nos enfants ? Je ne suis pas fière de laisser à mes enfants un monde mieux armé. J'aimerais mieux leur laisser un monde où la vie est plus belle. Et nous devrions tous commencer à y travailler dès maintenant. Le prix d'un seul projet nucléaire pourrait atténuer tellement de pauvreté, ou aider à guérir le cancer, ou encore empêcher que des enfants naissent avec un handicap. Ce serait tellement mieux si en ouvrant le journal demain je lisais que des savants ont trouvé un vaccin qui assure à tous les enfants de naître en pleine santé plutôt que d'apprendre qu'on va construire de nouveaux bombardiers nucléaires.

     

    Pour en venir à des sujets moins importants mais plus musicaux, comment se passe à New York la cohabitation entre le Metropolitan Opera et le New York City Opera ?

    Le répertoire doublonne très rarement. Celui du New York City Opera est plus aventureux que celui de Met. Nous faisons davantage de créations. C'est une première différence. Nous donnons des oeuvres comme Jules César de Haendel, le Coq d'or, Louise, le Couronnement de Poppée, Semele. Plutôt ce répertoire spécialisé que la Bohème ou la Traviata. On a monté pour moi les trois Reines de Donizetti, cela n'avait jamais été fait à New York. On a fait les Puritains, les Contes d'Hoffmann, bien avant le Met. Nous sommes plutôt tournés vers ce genre de répertoire et vers des oeuvres contemporaines. Nous avons fait une saison de six semaines d'opéras américains contemporains. En outre, on ne pratique pas le star system au NYCO. Vous allez dire que je suis une exception. C'est vrai, mais c'est là que j'ai bâti ma carrière, pendant vingt ans, en commençant par pratiquer le répertoire, avant que l'on ne commence à monter des ouvrages pour moi. Au Met, les productions se font pour des stars. J'en ai bénéficié aussi, avec un nouveau Siège de Corinthe, un nouveau Thaïs, un nouveau Don Pasquale, et aussi Rigoletto. Au New York City Opera, il y a 95% de chanteurs américains, quand le Met est très largement international. En ce sens nous sommes une compagnie plus jeune. Pour les chefs d'orchestre aussi. Les productions sont plus somptueuses et coûteuses au Met et les deux théâtres engendrent des publics différents. Celui du NYCO est plus jeune, car les billets sont meilleur marché, à portée des jeunes. Ils viennent en jeans et baskets et sont beaucoup plus excités par la nouveauté que le public plus traditionnel du Met.

     

    Quel rapport entretenez-vous avec votre public ?

    C'est une histoire d'amour ! Mon public me connaît très bien, en partie grâce à la télévision. Je suis un produit purement américain. Leontyne Price est une somptueuse super star international, mais une grande partie de sa carrière s'est faite en Europe. Moi, je suis beaucoup plus national. Si je tombe malade, il y plein de gens qui se manifestent et s'inquiètent. C'est un rapport très intime.

     

    Planifiez-vous votre répertoire très longtemps à l'avance ?

    Nous y sommes obligées par les théâtres. C'est au moins deux ou trois ans à l'avance. Je choisis mes rôles surtout pour le contenu dramatique. S'il n'y a pas une vraie dimension théâtrale, comique ou tragique, je ne suis pas à l'aise. J'adore jouer la comédie, comme dans la Veuve joyeuse ou la Fille du régiment. C'est agréable de passer un opéra entier sans avoir à vous soucier du moment où on va vous poignarder dans le dos ou vous envoyer à l'échafaud !




    A suivre...

    La semaine prochaine : Gian Carlo Menotti

     

    Le 11/07/2005
    Gérard MANNONI


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