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ENTRETIENS 25 avril 2024

Thomas Hengelbrock, homme-orchestre

L'événement que constituait l'entrée au répertoire de l'Opéra de l'Orphée et Eurydice de Pina Bausch aurait pu faire passer l'exécution musicale au second plan. C'était sans compter sur les denses splendeurs du Balthasar-Neumann Ensemble & Chor galvanisées par le geste passionné de Thomas Hengelbrock. Rencontre avec un artiste humaniste, en totale osmose avec ses musiciens.
 

Le 12/07/2005
Propos recueillis par Mehdi MAHDAVI
 



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  • OpĂ©ra italien rĂ©visĂ© pour Paris, l'OrphĂ©e de Gluck est ici prĂ©sentĂ© en Allemand. Cela vous dĂ©range-t-il ?

    Gluck avait demandé une traduction allemande, d'autant qu'il admirait particulièrement la version allemande d'Iphigénie en Tauride. A l'époque, il était tout à fait normal que les opéras soient traduits lorsqu'ils étaient présentés à travers toute l'Europe. Des traductions sont apparues immédiatement après la création viennoise de la version italienne de 1762, et la version française de 1774 a rapidement donné lieu à un mélange des deux partitions. Cette version mixte a été représentée à Copenhague, à Stockholm en suédois, et en Allemagne. Même les langues pouvaient êtres mélangées, parce que l'un des chanteurs préféraient chanter des airs en français dans la version italienne. Le XVIIIe siècle était bien moins rigide que nous le pensons aujourd'hui. Je n'aurais évidemment eu aucun problème à diriger la version française, ou la version italienne, que j'ai déjà faite, mais le son que nous créons dans cette version avec un choeur et un ensemble allemands, avec des voyelles naturelles, est bien plus typique de cette tradition.

     

    Entre l'ouverture et la fin heureuse coupées pour les besoins de la chorégraphie, quel version avez-vous choisie : Vienne, Paris, ou la révision de Berlioz ?

    Lorsque j'ai abordé cette partition pour la première fois il y a huit ans, j'ai choisi une version présentée en Angleterre et au Danemark à laquelle j'ai intégré des mouvements symphoniques d'autres compositeurs, selon une pratique avérée. Ici nous avons ajouté une partie de harpe aux Champs-Elysées, en la divisant entre obbligato et continuo. On trouve cela dans d'autres opéras de Gluck : à l'époque, un bon harpiste était une star. La version que nous jouons, sans ouverture, sans lieto fine, est concentrée sur le drame. Elle est très intéressante, car Gluck n'aimait pas la fin heureuse, qui était un hommage au public. Pina Bausch a une vision très sensible, très romantique, qui révèle le côté sombre de l'artiste : cette version est très naturelle.

     

    L'orchestre a lui aussi une couleur très sombre, une sonorité très dense. Auriez-vous défendu les mêmes options sans la chorégraphie de Pina Bausch ?

    Des orchestres comme le Concentus Musicus ou la Petite Bande ont commencé à jouer sur des instruments anciens, il y a trente cinq ans. Aujourd'hui, il y a de grandes différences stylistiques entre les ensembles : je viens d'une tradition allemande plus romantique. Je joue beaucoup Brahms, Schumann, Mendelssohn, Schubert, et mon éducation est allée dans le sens de Furtwängler, Fritz Busch, Carlos Kleiber. A la lecture des traités, en jouant sur instruments anciens, je me suis fait ma propre opinion. Les anglais ont un style très différent, Christie aussi, et j'aime cela. C'est très intéressant pour le public de pouvoir confronter différentes approches. Tout en s'accordant parfaitement avec la vision de Pina, cette version vaut pour elle-même, elle est un peu romantique, le son est plus sombre, profond. Elle correspond mieux à ce travail que la version italienne, avec ses sonorités brillantes et ses tessitures vocales uniformément hautes.

     

    Entre une mezzo-soprano, un alto masculin et un ténor, quelle tessiture choisiriez-vous pour le rôle-titre ?

    J'ai dirigé Orphée avec Michael Chance il y a huit ans, alors qu'il était au sommet de ses moyens : c'était formidable. Puis Teresa Berganza m'a demandé si je voulais le faire avec elle. Si je trouvais un ténor capable d'affronter cette tessiture, je ferais immédiatement la version parisienne. Un merveilleux enregistrement existe avec Nicolai Gedda. Il faudrait trouver un ténor avec la bonne couleur de haute-contre, une voix pleine et riche qui sache utiliser la voix mixte, sans pression. Actuellement, nous avons des ténors aigus, qui chantent Rossini, ou même un jeune Duc de Mantoue, il faudrait essayer : si c'est réussi, le public ne pourra s'empêcher de pleurer. Je ne sais pas si Ramon Vargas pourrait le faire.

     

    La chorégraphie vous impose-t-elle des contraintes ?

    Nous sommes arrivés avec nos différences, et beaucoup de respect. Lorsque Pina a commencé à apprécier notre travail, elle est devenue très flexible. Pour créer une grande forme comme celle-ci, il faut accepter certaines choses. Mon opinion est totalement différente de celle de Riccardo Muti par exemple ; j'aime travailler en équipe. J'ai une conception très claire de mon idéal, mais lorsque j'arrive face aux chanteurs, aux danseurs, je dois travailler avec et pour eux. Cela ne sert à rien de presser un chanteur avec tel ou tel tempo : je connais chacune de ses respirations parce que je chante, que je respire avec lui. Il faut une grande flexibilité. J'essaie de nouvelles choses chaque soir. Je dirige différemment avec Kader Belarbi et Yann Bridard. Si Marie-Agnès Gillot danse, mes tempi sont un peu plus lents, parce qu'elle est plus grande que les autres titulaires d'Eurydice.

     

    De par la notoriété de Pina Bausch, votre travail ne risque-t-il pas de passer au second plan, alors que le mythe d'Orphée a davantage à voir avec la pouvoir de la musique et du chant ?

    Gluck a beaucoup travaillé avec des danseurs. Et Dido and Aeneas de Purcell n'a-t-il pas été écrit pour Josas Priest, qui était chorégraphe ? Nous savons aussi que quelques opéras italiens ont été présentés en version concertante, avec des acteurs et des acrobates à l'avant-scène. Dans la vision de Pina, le chanteur est là, il chante le drame, il raconte l'histoire, tandis que le danseur montre ce qui se passe à l'intérieur. Pour lire cela, il faut une clé, il faut comprendre son langage. Je m'y suis habitué, et plus je dirige ce ballet, plus je l'aime. En tant que musicien, cela peut paraître étrange, mais j'ai trouvé intéressant de prendre part à cette expérience. Maintenant, quand Kader danse, ou Yann, qui est un formidable danseur, je comprends leurs mouvements par rapport aux mots, et ce qu'ils veulent signifier à travers leur corps. Evidemment, le soir de la première, Pina a eu une ovation spectaculaire, mais notre succès ne cesse de s'affirmer, d'autant que je travaille principalement en Allemagne, en Italie et en Autriche, et qu'en France, personne ne nous connaît vraiment. Je ne pouvais donc pas m'attendre à ce que Mortier m'invite pour une importante production d'opéra, avec le choeur sur scène : mais nous sommes en discussion. Cet orchestre et ce choeur sont merveilleux, avec une telle chaleur, une telle profondeur, une telle intensité du jeu et du chant : tous les ténors sont capables de chanter Belmonte, Tamino, le répertoire baroque – l'un d'entre eux vient même de chanter Châteauneuf dans Zar und Zimmermann de Lortzing, un rôle très périlleux.

     

    Vous avez beaucoup collaboré avec Achim Freyer, notamment pour une version mise en scène de la Messe en si de Bach. D'où vient votre intérêt pour ce genre de projets en marge de l'opéra ?

    Je ne suis pas seulement musicien. J'ai arrêté la musique pendant quelques années pour étudier différentes choses, afin d'accompagner le public dans la culture et la découverte de l'être humain. Je fais de la mise en scène, de la scénographie, et lorsque je dirige, ce sont des images qui me viennent à l'esprit. J'aime travailler avec d'autres artistes pour capter leur influence, en imprégner mon imagination : pour moi, la collaboration avec Achim Freyer est extraordinaire. Et j'ai un nouveau projet avec Pina Bausch, que nous allons concevoir ensemble dès le début, quelque chose de spécial, où la musique devrait avoir davantage d'importance.

     

    Le 12/07/2005
    Mehdi MAHDAVI


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