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ENTRETIENS 26 avril 2024

Le passé retrouvé (11) :
Gian-Carlo Menotti

Rencontré lors de son passage à Paris pour une nouvelle production du Médium et du Téléphone à l'Opéra-Comique, le compositeur italien Gian-Carlo Menotti parle de ses oeuvres, de ses idées sur la mise en scène, et du Festival des Deux Mondes. Portrait d'un musicien qui aime à dire qu'il est sa musique.
(Entretien réalisé au milieu des années 1980 pour le Quotidien de Paris).

 

Le 18/07/2005
Propos recueillis par Gérard MANNONI
 



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  • Quelle place tient aujourd'hui pour vous le Médium dans votre oeuvre ?

    Le Médium marque un tournant dans mon style et c'est la base de toutes mes oeuvres ultérieures. C'est là que j'ai établi la forme de récitatif que j'ai utilisée partout ensuite. Je l'aime aussi car on peut le donner partout, pas seulement dans un grand théâtre. On le donne beaucoup dans les universités en Amérique, interprété par des jeunes. En outre, ce fut pour moi l'occasion d'entrer en contact avec le cinéma. Je n'aime pas beaucoup le cinéma, mais vu sa popularité, il serait idiot de l'ignorer. Le seul film que j'ai fait est donc le Médium. J'ai fait beaucoup de mises en scène du Médium pour Rome, New York, et un peu partout dans le monde. Quand je revois le film, je suis surpris de voir à quel point ce que je fais aujourd'hui est différent de ce que j'avais fait alors. J'aimerais le refaire pour montrer aux jeunes metteurs en scène comment on peut rester totalement fidèle à l'oeuvre d'un compositeur et avoir des approches très différentes, très personnelles.

     

    Vous êtes donc prêt à accepter que d'autres présentent une oeuvre que vous avez vous même mise en scène ?

    A condition qu'ils restent fidèles à l'esprit de la musique. Beaucoup ne mettent pas en scène la musique, et là, ça ne va pas. Quand la musique dit de bouger, ils ne bougent pas. Quand la musique dit de ne pas bouger, ils courent partout. Cela m'étonne toujours. D'ailleurs, je suis un peu fatigué de mettre en scène le Médium moi-même! Je l'ai fait des centaines de fois et j'ai envie de faire autre chose.

     

    Le Téléphone, qui fait partie du même programme, est une oeuvre très différente.

    C'est plutôt un lever de rideau. Alors, on m'a expliqué ce matin qu'il y avait une unité, qu'il s'agissait chaque fois d'un problème de communication, l'un purement matériel, l'autre spirituel. Peut-être, mais pour moi c'était seulement un petit opéra-bouffe. Si on cherche un peu, on peut dire que dans toute oeuvre théâtrale, il y a un problème de communication. De toute façon, je ne veux pas que l'on souligne le symbolisme de mes oeuvres, qui doit rester caché. Quand je vois certaines mises en scène de Ronconi, pour Verdi par exemple, où il aborde tout de manière symbolique, je trouve cela idiot. Il n'a qu'à prendre des oeuvres symboliques. Pour Madame Butterfly vu par Lavelli à la Scala, chaque personnage était dans une sorte de cage, pour symboliser le fait qu'ils sont tous prisonniers de quelque chose. On le voit dans l'histoire, nous ne sommes pas stupides. Ce n'est pas la peine de le représenter. J'ai vu parfois le Téléphone en symbole phallique et ainsi de suite. C'est absurde. Je me rappelle une rencontre que j'avais organisée avec Ionesco à la demande d'un grand metteur en scène français qui voulait absolument faire sa connaissance. Ionesco lui a dit qu'il l'admirait beaucoup, et alors ce metteur en scène a annoncé son intention de travailler sur une de ses pièces. Alors, Inesco lui a demandé de ne surtout pas toucher à ses oeuvres. Il était très difficile pour ça. Une autre fois, à Spoletto, j'avais donné une de ses pièces à une jeune metteur en scène et quand il a vu son travail, il s'est mis en colère : Qu'est-ce que c'est que tout ce symbolisme ? Le contenu de la pièce, il est dans le texte. Ce n'est pas la peine de représenter deux fois la même chose. Il faut simplement une cuisine et des chaises. Rien d'autre !

     

    Dans le Médium, il y a quand même deux niveaux bien distincts, celui du drame humain anecdotique, et celui, bien plus complexe, de la possibilité d'entrer en contact avec l'au-delà. Un metteur en scène peut quand même choisir de mettre en relief l'un ou l'autre.

    Bien sûr, mais à condition de ne pas détruire l'autre. Si vous prenez le théâtre de Tchekov ou d'Ibsen, c'est le drame humain qui importe, même s'il y a aussi de nombreux symboles. Quand j'ai créé le personnage de Tobi, je l'ai imaginé complètement muet. Il ne disait pas un mot. Maintenant je commence à croire que peut-être Dieu nous envoie des messages très difficiles à déchiffrer. Alors, désormais je lui fais émettre non des mots mais des borborygmes indistincts avec la bouche. Je ne crois pas qu'il va vraiment donner une réponse, mais il essaie ! Si j'étais les trois clients, je serais plus sûrs d'eux-mêmes dans leur foi. Bref, si je réécrivais le Médium aujourd'hui, ce serait très différent.

     

    Pensez-vous que le créateur est le seul à pouvoir analyser son oeuvre ? Elle ne lui échappe pas, d'une certaine manière, surtout quand il s'agit d'un chef-d'oeuvre ?

    On doit toujours laisser la possibilité de monter une oeuvre de différentes manières. Prenez une symphonie, Toscanini la faisait d'une façon, Karajan d'une autre et Furtwängler d'une autre encore, chacun persuadé que c'était la vérité de la partition de Beethoven. Mais leur recherche était celle de la vérité de l'auteur. Quand je monte le Médium, je cherche à retrouver ce moment d'inspiration que j'ai eu au moment où je l'ai composé. Il faut laisser le théâtre vivre. On ne peut pas toujours répéter tout de la même façon. C'est une recherche permanente, mais dans un certain cadre. On peu faire Tchekov de mille manières mais à condition que ça reste du Tchekov. C'est pareil avec Puccini. Quand j'ai monté la Bohème à l'Opéra de Paris, j'ai encore découvert beaucoup de choses, mais ça restait du Puccini. Quand je vais entendre un opéra de Verdi, c'est un opéra de Verdi que je veux entendre et voir et pas l'oeuvre d'un metteur en scène. Je n'ai pas envie de voir un tableau de Rubens dont on aurait fait maigrir les femmes !

     

    Considérez-vous la mise en scène comme un deuxième métier ?

    Pas du tout. Je suis un metteur en scène occasionnel. Je m'y suis mis d'abord sur mes propres oeuvres
    pour les protéger des autres ! Et puis, à Spoletto, parce que nous n'avions pas assez d'argent pour avoir de grands noms. J'ai commencé avec la Bohème, puis Pelléas, puis presque toutes les oeuvres que j'aimais : Tristan, Moïse, Don Giovanni, Don Carlo, Don Pasquale, la Dame de pique, Eugène Onéguine, et maintenant j'aimerais mettre en scène Parsifal et les Noces de Figaro. Parsifal, c'est énorme, je ne sais pas si je pourrais le faire. Je voudrais un ténor très jeune, très maigre, avec une voix lyrique. Je pense toujours aux Préraphaélites. C'est ce fantasme que je voudrais mettre sur scène.

     

    Pourquoi y-a-t-il tant d'enfants dans vos oeuvres ?

    Peut-être parce que je n'en ai jamais eu ! En fait, j'aime beaucoup écrire pour les enfants. Après Amal, j'ai eu l'amitié de milliers d‘enfants qui m'ont écrit, qui m'ont envoyé des dessins. Tellement que je ne sais plus quoi en faire. J'ai donc trouvé un public, très honnête, très enthousiaste, très chaleureux, très difficile, car s'ils s'ennuient, ils vous le font savoir tout de suite. S'ils commencent à demander à aller faire pipi, c'est la débâcle ! Mais si vous les touchez, si vous les amusez, alors ils restent des amis pour la vie entière. Je vois venir des messieurs avec leur fils parce qu'ils ont entendu mon opéra quand ils avaient dix ans ! On continue à me demander d'écrire des opéras pour les enfants, mais j'en ai déjà écrits cinq, qui marchent très bien.

     

    Dans le domaine de l'écriture musicale, vous semblez indifférent aux modes, aux diverses tendances qui agitent périodiquement le monde musical.

    Effectivement. Je reste fidèle à moi-même. Si on a vraiment le courage de se montrer nu devant le public, avec son propre visage, on ne ressemble à personne. Il faut avoir le courage d'être soi-même. Moi, je suis ma musique. Les gens qui prétendent m'aimer sans aimer ma musique, je leur dis que c'est impossible. Ils ne m'aiment pas. Ce qui me fascine dans la musique, c'est ce que j'appelle son inévitabilité. Un compositeur n'est pas un créateur mais un chercheur, qui trouve la mélodie exacte, à laquelle on ne peut pas changer une note. Pourquoi, comment ? C'est le grand mystère de la musique. Ça me fascine. Seuls les grands compositeurs parviennent à trouver l'inévitable. Mais je n'aime pas parler de la forme, car c'est très compliqué et très personnel. La fidélité à la forme est un défi. Qu'est-ce que je peux faire en restant dans un cadre donné ? Je tiens beaucoup à la forme. Tous mes opéras sont très sévères à cet égard.

     

    Comment se porte le Festival des Deux Mondes ?

    Trop bien, car le moment approche où je vais devoir me séparer des trois festivals dont je m'occupe. Je suis comme l'apprenti sorcier. Plus je cherche à m'en sortir, plus ils se développent. Mais je suis content. Quand j'avais quarante ans, je ne voulais pas écrire de la musique uniquement, pour les musicologues ou les critiques qui viennent au Met. Je voulais voir si le compositeur avait vraiment une place utile dans la société, avec son art. J'ai cherché un lieu en Italie qui aurait pu avoir besoin de moi. J'ai trouvé Spoleto, une ville qui était au bord de la faillite, mais avec de beaux théâtres. Alors je me suis installé là-bas. J'y ai mis tout mon argent, j'ai fait venir mes amis riches, et pendant quinze ans j'ai interdit qu'on joue ma musique à Spoleto. J'ai beaucoup souffert, je dois le reconnaître. Alors j'ai demandé à Monsieur Bogiankino de prendre la direction artistique et il a commencé à programmer mes oeuvres.

     

    Spoleto est très vite devenu un festival d'avant-garde qui a révélé beaucoup de jeunes compositeurs, metteurs en scène et même chorégraphes. C'était votre souhait ?

    Je ne voulais pas que ce festival soit un miroir de mes goûts personnels. Nous avons eu beaucoup de chance avec tous les jeunes qui ont commencé avec nous, même les peintres. Andy Warhol a commencé chez nous. Nous allons continuer dans cette direction. La formule d'un festival sans formule s'est révélée magique. Nous n'avions pas assez d'argent pour faire des programmations longtemps à l'avance. Alors on improvisait. Tu es libre ? Alors tu viens. Il y a eu Chéreau, Lavelli, Louis Malle, Polanski, Harry Moore. Nous nous sommes bien amusés. C'était le contraire des grands festivals institutionnels. Une aventure un peu folle !




    A suivre



    La semaine prochaine : Katia Ricciarelli

     

    Le 18/07/2005
    Gérard MANNONI


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