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ENTRETIENS 25 avril 2024

Le passé retrouvé (13) :
Pierre Boulez II

En 1980, Pierre Boulez est d'une activité débordante. Il dirige une ultime Tétralogie à Bayreuth, réforme l'IRCAM, fait évoluer l'Ensemble Intercontemporain et travaille beaucoup pour lui-même. Mais il prétend alors abandonner la direction d'orchestre et renoncer à ses incessants voyages.
(Entretien réalisé au printemps 1980 pour le Quotidien de Paris).

 

Le 01/08/2005
Propos recueillis par Gérard MANNONI
 



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  • Pourquoi avez-vous mis en place une aussi importante réforme de l'IRCAM ?

    Cette réforme vient après un certain nombre d'années d'existence de l'IRCAM, quatre ans exactement. On a assez de recul pour tirer les conséquences de ce qu'on a vécu. On voit par exemple que si une catégorie de personnel doit être permanente, c'est le personnel scientifique et technologique. Au fur et à mesure que les moyens musicaux seront là, il faudra une très grande continuité en ce domaine, sinon, ça ne marchera pas. En revanche, dans le secteur artistique, on a tendance à constater que quand les gens restent sur place, les idées font de même. Quand quelqu'un reste trop longtemps sans bouger, il va se fermer sur lui-même et perdre son rayonnement. C'est toujours préjudiciable à une institution, car on manque d'ouverture sur l'extérieur et les problèmes se limitent à des questions personnelles, respectables, mais insuffisantes pour animer une institution pareille. Le mieux est donc d'avoir des compositeurs qui viennent faire des oeuvres spécifiques et qui apportent ainsi des idées qui se trouvent mises en circulation. Les idées artistiques fonctionnent beaucoup plus par impulsion que les idées technologiques. C'était l'essentiel de la réforme. Il n'y a deux cellules mais plus de départements, car ils se chevauchaient trop. C'était un peu l'isolement et l'empiètement. Il faut supprimer l'isolement et éviter que l'empiètement devienne redondant.

     

    Qu'est-ce que cela implique pour les années à venir ?

    Nous avons pas mal de projets, et ils seront suivis individuellement, aussi bien du point de vue scientifique que du point de vue musical. La cellule pédagogique s'est beaucoup développée. On se rend de plus en plus compte que son rôle est fondamental, pour les débutants qui viennent se mettre au courant comme pour ceux qui ont déjà un certain bagage musical et qui veulent faire quelque chose sans trop entrer dans les détails techniques. Il faut un groupe de tuteurs, au sens anglais de « tutors Â», des sortes de précepteurs, qui sont chargés de faire des cours sur les techniques à apprendre, de suivre les projets d'un compositeur donné, et de définir dans quel sens les techniciens doivent s'orienter pour aider les compositeurs d'aujourd'hui à réaliser leurs aspirations. C'est assez difficile, car l'ingénieur ou le technicien n'est pas obligé de savoir exactement comment le compositeur s'aiguille, quels sont les mécanismes de la composition. Ce groupe de tuteurs s'occupe spécialement de ces connexions. Les compositeurs arrivent en général difficilement à sortir de leurs propres problèmes et de leur propre vie. Quand ils sont plus jeunes, ils sont plus motivés pour participer à une activité commune. Et puis, on ne peut pas toujours demander à des compositeurs d'être des organisateurs. Il y a d'excellents chefs d'orchestre qui sont de mauvais directeurs musicaux. Ce n'est pas forcément compatible. Ce sont les principales raisons de cette réforme, sans que l'on puisse dire combien de temps elle durera. Elle correspond à la souplesse que l'on cherche et aux différents types d'invention qu'on veut avoir. Le point de départ de la première structure avait été d'éviter une non-définition, une absence d'attribution précise des tâches. Cette rigueur devient gênante. On la supprime. C'est tout.

     

    Que deviennent ceux qui avaient la responsabilité des différents départements ?

    Ils vont continuer à collaborer s'ils le souhaitent, mais en fonction d'un projet précis, soit un projet de recherche, soit un projet d'écriture. Mais tant qu'il n'y a pas de projet, ce n'est pas nécessaire. Le cloisonnement a empêché l'attirance pour les autres de se créer. C'est mortel pour une maison comme la nôtre. Il faut avoir une curiosité pour ce que les gens font à l'extérieur. Maintenant, on invite les compositeurs et on fait que la maison soit dérangée par ça. Je suis là pour ça, pour empêcher que l'on s'installe. Il n'y a rien de pire pour moi que de se dire : « Ici, j'ai trouvé ma place et j'y reste Â». Je trouve ça épouvantable. Nous avons beaucoup de gens qui veulent venir, mais cela prend du temps. Si quelqu'un comme Ferneyhough veut venir, il doit d'abord passer trois mois ici avant de pouvoir seulement préciser un projet. Ensuite, il devra le travailler pendant six mois, puis s'interrompre pour prendre du recul et se mettre ensuite à vraiment commencer à composer quelque chose. Ce sont des projets à longue échéance, sur environ trois ans. Il faut avoir la possibilité de transposer ses propres problèmes dans une vue générale plus vaste, plus globalisante, et qui laisse place à l'interrogation. C'est donné à très peu de gens. J'avais bien étudié tous ces problèmes avant de lancer cette réforme, pour ne pas agir sur un coup de tête. Je me suis renseigné et j'ai vu que c'était pareil dans tous les instituts. On dépérit si on ne déplace pas les gens tous les quatre ou cinq ans. Il y a dans l'être humain une faculté d'installation qui est très remarquable ! C'est la chose contre laquelle il faut lutter avant tout.

     

    L'Ensemble Intercontemporain connaît-il les mêmes problèmes ?

    Les problèmes de l'Intercontemporain sont beaucoup plus simples. Il y a une tendance à s'installer dans l'exécution, mais le vrai problème est celui de la polyvalence des membres. Il faut que certains s'intéressent à l'analyse, d'autres à la pédagogie, d'autres à la recherche. Cela reste à développer. L'emploi du temps n'est pas toujours commode. Quand on a autant de manifestations à assurer, il est très difficile de demander à des gens s'ils ont du temps libre pour venir en plus faire de la recherche. Il faut qu'il y ait une coordination plus grande entre l'IRCAM et ce secteur là. Peter Eötvös est très bien pour ça car il a une grande expérience de tout ce qui est direction artistique et il peu aiguiller les musiciens là-dessus, ou sur le côté instrumental où l'on peut intéresser plus le public que nous ne l'avons fait actuellement. Le trop grand succès de l'orchestre ne doit pas être un frein au travail de recherche. L'animation marche bien et l'on essaie de faire une sorte de jonction entre l'Ensemble et l'IRCAM, entre la composition et l'exécution. On a organisé des rencontres autour de certaines oeuvres jouées par l'Ensemble. C'est une expérience. Si cela prend, on verra comment organiser ça l'année prochaine de façon plus importante. Si on pouvait le faire sur le plan compositeur et sur le plan interprète, cela servirait à accoutumer les compositeurs à penser au même niveau avant les stages. En ce moment, ils viennent en ordre très dispersé et cela n'aide pas dans l'organisation des sessions, car il y a des niveaux de conception des créateurs très différents. Quelquefois c'est un handicap terrible. On ne peut pas apprendre à se servir d'une machine s'il n'y a pas quelques concepts par derrière. Ensuite il faut lier les compositeurs à l'exécution. Une nouvelle oeuvre sera analysée avant exécution par un groupe de compositeurs qui assisteront aux répétitions. Enfin, si les musiciens y assistent ils verront que l'analyse est finalement quelque chose d'assez simple. Par ailleurs, si on trouve le terrain propice, cela permettra de confier soit à des interprètes, soit à ces jeunes compositeurs, des tâches d'animation et de présentation de concerts. De temps en temps, il est bon de savoir s'expliquer. S'expliquer pour les autres c'est aussi s'expliquer à soi-même. J'espère que cette cellule fera une jonction entre l'Ensemble et l'IRCAM. Je compte rattacher toutes les études instrumentales au travail de l'Ensemble. Plusieurs personnes y travaillent déjà.

    A part ça, on essaie d'avoir des commandes. Je me suis lassé de dépendre de ces espèces de jurys qui délibèrent pour moi en me disant ce que je dois faire et ce que je ne sois pas faire. On a réuni un comité de mécènes qui me permet de me passer de l'avis de tous ces messieurs que je ne connais pas. Ce genre d'approbation ou de désapprobation anonyme ne me concerne plus. Il ne s'agit en plus pas de sommes fabuleuses. Alors, pourquoi attendre le verdict d'imbéciles quand on peut s'en passer ? L‘Ensemble assume aussi ses autres fonctions, notamment de faire du musée, avec Stravinsky par exemple en ce moment. Nous allons essayer aussi, quand l'Opéra fera des oeuvres contemporaines, de prolonger son action avec des séries de ces mêmes compositeurs. Il y a par exemple le Grand Macabre de Ligeti la saison prochaine. Nous faisons aussi un concert Ligeti, et au dernier moment j'annoncerai des ateliers qui seront faits soit à l'IRCAM soit au Centre Pompidou, uniquement consacrés à l'oeuvre de Ligeti. Bernard Lefort a aussi l'intention de passer des commandes à de jeunes compositeurs et les exécutions pourraient se faire soit à l'IRCAM soit à la salle du Centre Pompidou et nous ferions aussi des ateliers qui mettraient cet évènement en valeur. Nous avons en outre beaucoup de tournées et des disques à réaliser, ce que je n'ai pas voulu trop faire avant que l'Ensemble ne soit bien rôdé. J'ai une politique prudente en ce domaine. Il ne sert à rien d'aller trop vite, car on retombe. Mieux faut faire les choses progressivement.

     

    Pour un Ensemble qui n'a que quatre ans d'âge, trouver des tournées ne pose pas de problème ?

    Ce n'est pas une question de nombre. Il n'y a aucune difficulté à cet égard. Le vrai problème est ailleurs. Quelquefois les organisations sur place désirent seulement dépenser un budget, sans aucune préparation. Ce sont des coups d'épée dans l'eau qui ne m'intéressent pas beaucoup. Ils ont une certaine somme à dépenser et veulent montrer au ministère une liste importante d'invités. Qu'il y ait cinq personnes dans la salle ou cinq cents, ils s'en moquent complètement. Pas nous. On repère les organismes intéressants pour faire des opérations suivies. Nous sommes par exemple allés plusieurs fois à Aubervilliers où s'est créé un terrain très animé. Il y a beaucoup de monde, avec toute la pyramide des âges. Comme aux ateliers d'Orsay.

     

    Que vous reste-t-il comme activités personnelles, en dehors de l'IRCAM et de l'Ensemble Intercontemporain ?

    Je concentre tout ce que je fais dans la maison en vue d'un projet pour octobre 1981 et qui fait travailler pas mal de choses, toutes les idées que j'ai sur les instruments, sur les échelles à intervalles non tempérés, les modifications réciproques d'instruments, c'est à dire par intermodulations, et tout ce qu'on n'a pas travaillé beaucoup ici pour l'instant, notamment ce qui concerne les structures automatiques de composition. Ca m'intéresse beaucoup pour créer un matériau musical qui n'est pas destiné à être entendu dans son entier, mais à s'ouvrir ou à se refermer en continuant à fonctionner. Cette oeuvre couvre donc un assez grand éventail de choses, ce qui mobilise une grande part de mon temps. Je veux aussi travailler dans le domaine purement instrumental. Je poursuis la fin de Notations qui me prend beaucoup de temps. Je voudrais aussi reprendre en particulier Domaines et quelques autres oeuvres non finies, notamment pour la Philharmonie de Berlin en 1982. Vous voyez que je ne manque ni d'idées ni de travail. Finalement, cela m'a fait beaucoup de bien de m'occuper moi-même de tout ce que les chefs de départements de faisaient pas avant. Comme rien n'était décidé de façon très urgente, je me suis senti tout à fait libre de prendre moi-même les décisions en fonction de ce que je pense. Je crois être capable de ne pas me borner à des idées qui ne servent qu'à moi, mais de projeter dans tous les coins des idées qui vont servir à tous.

     

    Et dans le domaine de la direction d'orchestre ?

    Je fais le dernier Ring à Bayreuth et c'est terminé. Je veux travailler pour moi. Je refuse toutes les propositions, sauf des opérations très particulières comme le centenaire Bartók à Londres. Je suis décemment voué aux centenaires en ce moment ! La direction répertoire, c'est fini. Eventuellement ici, de temps à autre, mais plus de voyages !




    A suivre



    La semaine prochaine : François-René Duchâble

     

    Le 01/08/2005
    Gérard MANNONI


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